AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JacobBenayoune


"Les voyages de Gulliver" font partie de ces oeuvres universellement connues à l'instar de "Roméo et Juliette", de "Don Quichotte", Des "Mille et Une Nuits", qui ont subi l'effet négatif de leur renommée ; tout le monde les connait mais rares sont ceux qui les ont lues.

Qui ne connait les adaptations multiples de cette oeuvre ? et surtout celles de la première partie. Or le roman contient quatre parties et il est loin d'être un roman de jeunesse (ou pour enfants) et les quelques anecdotes loufoques et désopilantes ressemblent à celles qu'on retrouve chez Rabelais et que La Bruyère a vivement critiquées dans son fameux aphorisme.

Si "Don Quichotte" est souvent considéré comme une parodie du roman de la chevalerie, je crois que "Les voyages de Gulliver" sont aussi une parodie des récits de voyages. Mais cela ne se rapporte qu'à la forme et l'on trouve certains passages où le narrateur critique les auteurs de récits de voyages qui essaient de transformer leurs oeuvres en épopée glorifiante et ne cessent de mentionner qu'ils ont reçu les faveurs de tel grand souverain. le narrateur lui se veut honnête et franc avec ses lecteurs car non seulement il décrit en détails ce qu'il a vécu, mais il ne cache jamais les mésaventures dégradantes qu'il a subies lors de ses voyages. Il essaie d'expliquer de manière scientifique les événements et faits les plus incroyables. En somme, il nous présente son livre comme un récit de voyages véridique.

Swift utilise un procédé très connu et surtout très prisé par certains auteurs français du siècle des Lumières comme Voltaire et Montesquieu ; celui de l'étranger qui visite des sociétés qui lui sont inconnues et qui est frappé de stupeur devant l'extravagance de leurs moeurs ("Candide", "Micromégas", "Lettres persanes"…). Dans "Les Voyages de Gulliver", la surprise et la curiosité sont réciproques. de plus, Swift est plus direct dans la critique de son époque et de ses contemporains ; ce sont plus les choses que son héros raconte qui sont un sujet de dégoût et d'étonnement. Lui-même il est un objet de surprise : géant, nain minuscule, bête bien pensante.

L'une des caractéristiques essentielles de ce roman est son imaginaire extravagant. Et l'on peut constater l'admiration des lecteurs de cette époque devant cette oeuvre ingénieuse. Hélas ! cela peut paraître dépassé pour un lecteur du XXIe siècle habitué aux films de Spielberg, ou de G. Lucas, mais aussi aux films d'animation de Miyazaki. Mais parfois, il faut s'évader du siècle où l'on vit pour pouvoir apprécier certaines oeuvres immortelles comme le font certains auteurs contemporains pour écrire des romans dont l'action se situe dans des siècles révolus ("Mon nom est Rouge", "Le Nom de la rose", "Le Parfum"…). On doit vivre dans ces époques en lisant ces romans ; une vie dans la lecture.

Dans ce roman la tension monte en crescendo, et l'intensité des critiques et de la satire devient de plus en plus acerbe jusqu'à l'explosion finale. Cette évolution du roman est accompagnée par l'évolution du caractère du narrateur-héros. Gulliver devient misanthrope. Ce personnage qui est un peu bizarre car en même temps il s'efface devant les événements qu'il raconte et se veut neutre mais qui est au coeur de ces événements, et un centre d'intérêt pour ceux qui le rencontrent, mais aussi pour nous lecteurs. C'est un aventurier qui vit sous la tentation du mouvement (comme Ibn Battûta) et ne battra cette envie qu'après avoir goûté aux plaisirs d'une vie simple et pieuse dans la dernière partie (comme Ibn Battûta qui, en voyage, envia la vie simple et rustique d'un vieux pêcheur, et rêva de s'installer définitivement et de finir ses jours comme ce vieillard).

Les idées et la critique qu'on trouve dans ce roman ne pouvaient être exprimé ni nous atteindre après tant de siècles que grâce à la forme du roman. Exprimées dans un essai ou un pamphlet, elles auraient tombées dans l'oubli et devenues une simple oeuvre de circonstance. Doit-on connaitre les événements qui se passaient à l'époque de Swift pour apprécier ce roman et pouvoir le comprendre ? Pas du tout (il existe en tout cas un texte très pertinent du grand écrivain Walter Scott qui met en parallèle les événements et personnages avec les faits historiques et les contemporains de Swift). Ce roman comme tous les grands chefs-d'oeuvre du genre ne se résume pas à une époque spécifique ou une région. Il s'inscrit dans l'universel. Les caractères décrits existent toujours dans tous les domaines (politiciens, médecins, avocats …), les problèmes et faits sociaux présentés sont d'actualité. Et la bêtise humaine ne date pas d'aujourd'hui.
Commenter  J’apprécie          642



Ont apprécié cette critique (28)voir plus




{* *}