Jacques Lavandier était aveugle, mais ça ne l'empêchait pas de voir. A l'âge de huit ans, il avait perdu la vue dans un accident et, depuis, un monde abstrait, tout en couleurs, se déployait autour de lui. Désormais, il était capable de percevoir ce que les autres ne soupçonnaient pas : la véritable nature des choses.
Le Vercors ce n'est pas une montagne qu'on aborde par défi. C'est un endroit où on doit se laisser bercer par ses émotions.
Ici, il n'y avait rien pour empêcher la montée de ses véritables richesses intérieures. Celles que tout homme abritait sans le soupçonner.
Cela résonnait sans doute avec ses propres origines, lui, fils d'immigré algérien ayant grandi dans un pays où l'intégration n'était qu'un mythe.
Le petit Bensaïd était devenu Chef Réda et, au rythme des pow-wow, il avait atteint le statut de Nunavimmiut, fils du monde sauvage, pour retrouver en lui la liberté que la civilisation moderne lui avait ôtée.
La piste constellée de larmes écarlates n'en finissait pas de se perdre dans la brume. Chaque pas lui paraissait plus lourd.
Fernand, le patron, était un ancien motard qui avait sillonné les routes du monde entier avant de venir se garer définitivement en fond de vallée. Dès 10 heures du matin, il servait un rhum arrangé qui facilitait grandement la lutte contre le froid et le travail des gendarmes sur les ronds-points.
Et elle eut l'impression qu'en guise de transmission c'était une malédiction qui pesait désormais sur ses épaules.
Pourtant elle savait au fond d'elle que la vie ne valait pas d'être vécue sans être partagée.
Deux prunelles d'un noir opaque s'étaient posées sur elle comme les billes d'un rapace. Elle se dit que ce regard lui paraissait aussi glacé que cette vallée.
Mais je ne suis pas guéri ...je ne serai jamais plus comme avant, le petit garçon sur la photo est mort il y a bien longtemps ...la blessure est dans mon corps, dans mon âme ...elle est dans mon histoire ...tu comprends ...mais toi ...tu m'as aidé à déchirer la brume. Merci pour ça...