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Critique de gerardmuller


Éloge de l'ombre / Junichirô Tanizaki (1886-1965)
Ce petit ouvrage d'une centaine de page est un essai évoquant et analysant l'esthétique japonaise. Publié en 1933 au Japon, il le fut en 1977 en France avec une magnifique traduction de René Sieffert.
Junichirô Tanizaki, tout au long de cet essai très facile à lire et extrêmement intéressant, défend une manière d'esthétique de la pénombre en réaction parfois à l'esthétique occidentale où la lumière fait loi.
Par ailleurs il compare les divers usages de la lumière chez les Japonais et les Occidentaux. L'exemple du très symbolique « tokonoma » nippon (alcôve décorative dans la maison traditionnelle japonaise), chef d'oeuvre du raffinement, vient illustrer ce goût du clair-obscur.
L'esthétique du « sabi », c'est-à-dire la patine du temps, fait partie des canons de la beauté chez les japonais, et s'oppose à la manie de la netteté chez les Occidentaux.
Tout l'art nippon est ainsi passé en revue, l'architecture, la peinture, la décoration, et aussi les maisons et les matériaux utilisés, bois, chandeliers, papiers des « shôji » (cloisons) et « fusuma » (porte coulissante), couleurs des peintures, lumière des toilettes. Tanizaki écrit :
« La lumière indirecte et diffuse est le facteur essentiel de la beauté de nos demeures…En jouant sur le degré d'opacité de l'ombre, on se passe de tout accessoire. ».
L'art de choisir un chandelier est lié au besoin d'obtenir une lueur incertaine qui mette en valeur la beauté des laques japonais. L'auteur va même jusqu'à dire que l'obscurité est la condition indispensable pour apprécier la beauté d'un laque. La couleur d'un bol est capitale pour apprécier une soupe miso : il doit être de laque noir. Et tout l'art culinaire et gastronomique est ainsi analysé. Pour que ce soit bon, il faut que cela soit beau et pour ce faire il faut accorder cette cuisine avec l'ombre.
Les Japonais ont une préférence pour les tons et les reflets adoucis et voilés, ainsi que la patine alors que les Occidentaux aiment la netteté et la nitescence. L'exemple du papier hôsho est bien développé qui occupe une place importante dans l'agencement des pièces des maisons japonaises : il absorbe la lumière mollement au lieu de la refléter.
Est abordé aussi l'exemple du cinéma et du théâtre nô japonais qui aime les jeux d'ombres et l'art des contrastes. Même réflexion pour l'art photographique. L'art oratoire est même évoqué en ce sens que l'auteur compare les pauses à des ombres. L'orateur japonais aime cultiver l'ellipse et la métaphore et accorde une importance capitale aux silences. La création artistique selon l'auteur, que ce soit la peinture ou la sculpture ne peut créer de la beauté qu'en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants. Et il ajoute : « le beau n'est pas une substance en soi, mais rien qu'un dessin d'ombres, qu'un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses…Le beau perd son existence si l'on supprime les effets d'ombre. »
L'esthétique de la femme japonaise est également abordée livrant des clés pour la compréhension d'un des types de femmes qui hantent la plupart de ses romans, à savoir la « femme de l'ombre ».
À la fin, c'est le paradoxe absolu, Tanizaki se désespère de voir que le Japon use de l'éclairage sans compter dans les villes, dépassant l'Europe et presque l'Amérique et il ajoute : « Nous voyons à quel degré d'intoxication nous sommes parvenus, au point qu'il semble que nous soyons devenus étrangement inconscients de l'éclairage abusif. » de nos jours, ces lignes sont devenues prémonitoires.
En cadeau de fin, Junichirô Tanizaki nous offre la recette complète des sushi aux feuilles de kaki, son mets préféré.


Ce petit ouvrage est considéré par nombre de spécialistes comme son chef-d'oeuvre, livrant au lecteur attentif ses réflexions sur la conception japonaise du beau.
Junochirô Tanizaki, un des plus célèbres écrivains japonais, a toujours voulu rester étranger à toutes écoles et tendances littéraires, et offre de ce fait une oeuvre exceptionnelle extrêmement divers, tout à fait hors catégorie. Accusé de diabolisme, il en rajouta une couche afin de bien persuader les moralistes de l'insondable noirceur de son âme. Il fut alors taxé d'esthétisme décadent et en rit.
Mot final : « J'aimerais élargir l'auvent de cet édifice qui a nom « littérature », en obscurcir les murs, plonger dans l'ombre ce qui est trop visible, et en dépouiller l'intérieur de tout ornement superflu. » Pour qui a lu ses beaux romans, ces lignes annonçaient la couleur.


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