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Critique de le_Bison


Aucun train, aucun bus pour me déposer au milieu de nulle part. Juste un camion et son chauffeur russe qui accepte de m'abandonner au pied de cette cabane. L'arrière remplie de provisions, tenir six mois, avec des centaines de bouquins – de tous genres, des soupes lyophilisées – de tous goûts chimiquement aromatisés, des pâtes - de toutes formes et des litres de vodka – de toutes contenances. Une passion justement pour la vodka et ce besoin vital de se retrouver seul avec son verre à la main, de parler avec son soi-intérieur et découvrir la vérité profonde, celle de l'intérieur du coeur. le sang bat, deux tons en-dessous, comme si lui aussi est gelé par cet apport soudain de glace dans l'atmosphère. D'où la vodka, anesthésiant antigel nécessaire à la survie de cette solitude choisie.

« Sur la neige, avec un bâton, je trace le premier poème d'une série de « haïkus des neiges » :
Pointillé des pas sur la neige : la marche
Couture le tissu blanc.
L'avantage de la poésie inscrite sur la neige est qu'elle ne tient pas. Les vers seront emportés par le vent. »

-33°C et je compose déjà des haïkus. Si je fais le plein de vodka, je devrais tenir le choc. Éloge de l'inactivité et de l'oisiveté. Quelle merveilleuse vie. J'aurais pu crapahuter à travers toute la Sibérie à la rencontre des bêtes sauvages ou des autochtones bourrés. Non à la place, j'ai choisi, le temps d'un bouquin, de me poser. Et me reposer. Là-bas, au bord du lac Baïkal, il n'y a pas grand-chose à faire, et pourtant tant d'envie et de besoin. Se lever et aller couper du bois. Boire un thé brûlant, et puis une bouteille de vodka. Essayer d'aller pêcher pour changer de soupes lyophilisées au dîner. Ne jamais oublier sa bouteille de vodka au cas où une rencontre impromptue avec quelques russes se présente. C'est la base de l'hospitalité dans cette région. Écouter les oiseaux venir frapper au carreau de ma fenêtre après y avoir jeté quelques miettes de pain en dégustant une bouteille de vodka. Pisser contre un arbre en surveillant l'ours à l'horizon. Bref, la nature telle que je l'aime, à l'abri de la civilisation néfaste à mon développement personnel.

Voilà donc que j'ai découvert – enfin - la plume de Sylvain Tesson… Une plume de mésange ou d'ours ? Un récit de voyage comme je les aime, même si ce dernier reste dans l'immobilité absolue d'une cabane remplie de bouteilles de Tabasco et de vodka. Il y a de l'émotion, des vérités profondes, une introspection sur la condition humaine, un besoin de se justifier, une ode à la nature, à l'âme russe et humaine, à la vodka. Qu'est-ce que je n'aurais pas donné pour m'asseoir sur cette souche d'arbre, les pieds dans la neige, à côté de lui. L'envie de partager ses silences. Y aurait-il eu assez de bouteilles de vodka ? Et je reviens sur ce bonheur qu'il y a à pisser contre un arbre, de reproduire un dessin de Picasso de son jet d'urine fumant sur la neige immaculée. Un moment à kiffer dans une vie.

Et plus j'avançais dans les banalités de ses journées, et plus je me sentais moi aussi à l'aise dans cet espace couvert d'un manteau blanc, neigeux et ouaté. le lac Baïkal, toujours aussi majestueux, les frissons de glisser sur sa couche de glace hivernal, son silence, ses oiseaux migrateurs et les rencontres improvisées avec des russes, ermites comme moi, par nécessité ou par opportunité. Là-bas, si tu y viens par hasard, tu n'y restes que par besoin.

Lorsque j'ai fini ce bouquin - nul doute que je le relirai même encore - j'ai réfléchi à mes envies, mes besoins, et les 10 raisons pour lesquelles j'aimerais m'isoler dans une cabane au bord d'un lac en hiver :
- Pour écouter le silence.
- Pour pouvoir vivre nu.
- Pour boire de la vodka. Tous les jours. Plusieurs fois par jour.
- Pour chasser l'ours, nu et à mains nues.
- Pour donner à manger aux oiseaux.
- Pour pisser contre un arbre, qui est plus jouissif que de viser le trou d'un chiotte blanc.
- Pour être seul avec moi-même, l'ours, les oiseaux et le phoque encore plus sauvage que moi.
- Pour regarder l'immobilité d'un lac gelé.
- Pour lire. Pour lire et boire. Pour boire et lire.
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