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Critique de karmax211


Il existe peu d'historiens capables de nous en apprendre beaucoup sur la vie du premier grand poète que fut François Villon et pour cause... beaucoup de blancs dans les trente-deux années où l'on sait qu'il fut en vie avant de disparaître dans les brumes d'un chemin ; le monde perdant la trace du contemporain de Jeanne d'Arc et de Louis XI... mystérieusement.
De là à faire naître plus d'une légende, il n'y avait qu'un pas que les conteurs, troubadours, poètes, hommes de lettres puis cinéastes et dramaturges franchirent avec plus ou moins de talent et de crédibilité.

Talent et crédibilité sont deux ingrédients dont Jean Teulé fait preuve dans SA biographie d'un Villon romancé façon picaresque où la truculence rabelaisienne se mêle au sordide, à l'horreur, à la monstruosité, à la puanteur, au glauque de manière étonnamment "digeste".

Et pourtant... ma lecture commença par un haut-le-coeur qui faillit me faire abandonner le cours du récit.
"Le corps carbonisé fumait entre les chaînes du poteau fixé sur un haut socle de pierre. Sa jambe droite s'était écroulée , provoquant un curieux déhanchement. le buste penchait en avant. Les volutes ondulantes, s'élevant du crâne, lui faisaient une drôle de chevelure verticale. Un souffle d'air, comme une gifle, lui emporta une joue de cendre, découvrant largement sa mâchoire où les gencives flambaient. Dans la boîte crânienne, le cerveau s'était effondré. On le voyait bouillir par les orbites oculaires d'où il déborda et s'écoula en larmes de pensées blanches. le bourreau lança un coup de pelle latéral dans les hanches. le bassin se démantela entraînant la jambe gauche dans un nuage de poussière et de débris d'os. de la poitrine restée enchaînée au poteau, les côtes flottantes pendaient. le coeur y glissa et tomba encore rouge."

Si vous vouliez savoir comment Teulé voit " la Pucelle " post mortem, vous en avez ici un aperçu édifiant.
D'où le haut-le-coeur évoqué précédemment.
Plus glauque que ça... il y a gore...
Alors exhibitionnisme morbide et voyeurisme malsain... j'ai hésité... et puis j'ai poursuivi ma lecture.

Teulé fait sienne la croyance selon laquelle Villon serait né le jour de la mise au bûcher de Jeanne.
Et comme son François va pis que pendre être le reflet de toutes les monstruosités de son époque... monstruosités sur lesquelles vont éclore les plus belles fleurs de la poésie qui dit la vie... il fallait se familiariser avec l'univers du poète et sa personnalité mi-démon... mi-démon, et des vers dont les roses ont plus à voir avec les épines maudites d'un Baudelaire qu'avec les rimes au pli pourpré d'un Ronsard.

Non content de naître à l"Hôtel-Dieu au moment où Jeanne se fait lécher par les flammes attisées par l'haleine fétide d'un évêque Cauchon, François est dans le même temps orphelin de père ; le pauvre bougre est pendu alors que sa toute jeune et jolie femme met au monde, privée de ses deux oreilles ( une première oreille pour le premier délit... souvent mineur... après le second, c'est l'exécution publique ), leur premier enfant.
Celui-ci aurait pu ne jamais voir le jour, car un autre évêque... Thibaut d'Aussigny, à l'origine de la pendaison de son père, voulait faire subir un sort analogue à sa pauvre mère.
Les fées et les sorcières s'entendirent pour qu'il en fût autrement.
Six années s'écoulent avant que François Montcorbier ne devienne cette fois orphelin de mère ; la vengeance de Thibaut d'Aussigny ayant rattrapé la pauvre jeune femme... qui finit suppliciée.
François est recueilli par le chanoine de Saint-Benoît-le-Bétourné, Guillaume de Villon dont il prendra le nom.
À noter à propos du nom de Bétourné, ces explications ( que tous mentionnent avec application ) :
"Alors que la tradition exigeait une orientation Est-Ouest, une erreur du maître compagnon architecte-bâtisseur fut de construire le choeur de cette église à l'ouest, ce qui lui valut d'être appelée « le bétourné » (pour « mal tourné », ou « détourné »)"
Élevé par le brave chanoine et son fidèle bedeau, Gilles Trassecaille, François étudie à la faculté des arts de Paris pour accéder au statut privilégié de clerc.
Mais Villon traîne des pieds, très vite sèche les cours pour leur préférer les tavernes et les lieux de débauche.
Et à ces études ennuyeuses, il préfère l'écriture : la poésie sous forme essentiellement de ballades.
Très vite il devient la coqueluche de la jeunesse parisienne, des gens de mauvaise vie, des hors-la-loi, des prostituées.
Dans ce Paris de 200 000 habitants où la mort est perpétuellement en maraude, où elle fauche indistinctement les pestiférés ( l'épidémie bat son plein ), les nouveau-nés, les jeunes femmes en couches, les condamnés ( ils se bousculent vers l'échafaud, les fosses où on les enterrent vivants ), les enfants aux ventres pleins de rien, les occis qu'on jette à la Seine, les quelques ceux qui parviennent à "vieillir", Villon se fait un peu le roi d'une cour des miracles où les arts... la poésie en premier, occupent une place de choix.
C'est un aperçu vite résumé du Villon concocté par Teulé... le "pire" reste à venir ( sourire ).

Il y a dans cette biographie des passages ( nombreux ) qui restent longtemps gravés dans la mémoire ( j'ai lu ce bouquin il y a presque deux mois... ).
Robin le rouquin, confectionneur avec son frère de "terrines" faites maison. le vol des enseignes. Pierret et la grosse Margot.

Ballade de la grosse Margot

"Si j'aime et sers la belle de bon coeur,
M'en devez-vous tenir pour vil et sot ?
Elle a en elle les qualités qu'on peut souhaiter :
Pour son amour, je prends dague et bouclier.
Quand les gens viennent, je cours et happe un pot.
Au vin, je m'en vais sans faire grand bruit.
Je leur tends eau, fromage, pain et fruit.
S'ils paient bien, je leur dis: "ça va.
Revenez ici quand vous serez en rut,
Dans ce bordel où nous tenons notre cour."

La borne. Isabelle de Bruyère. La Coquille. La Machecoue. La loge de la recluse.

"Mort, j'appelle de ta rigueur,
Qui m'a ma maîtresse ravie
Et n'est pas encore assouvie
Si tu ne me tiens qu'en langueur.."

La mort de Sermoise. le Collège de Navarre. L'écorcherie des Coquillards entre Strasbourg et Bâle. Meung-surLoire, la vengeance de Thibaut d'aussigny... la rencontre ( rêvée ? ) avec Louis XI.

-"Charles d'Orléans qui m'accompagne dit que tu es le premier rossignol de France, que tu innoves dans les idées et la forme, qu'avec toi, on n'en est plus au Roman de la rose, que ta poésie commence là où finit la féodalité.
Villon, je sais que tu mêles à tes ballades tous les patois : poitevin, limousin, picard, flamand, normand, breton, angevin, lorrain et des quantités de jargons... Nous travaillons en même temps, moi à l'oeuvre d'unité de la nation et toi à l'oeuvre d'unité de notre langue. Je serai haï comme homme et admiré comme ouvrier de l'unité nationale. Toi, tu es méprisé par tes moeurs et admirable comme ouvrier de l'unité de notre langue."

Un bon Teulé.
Une biographie très romancée mais étayée par quelques poutres historiques solides et fiables.
L'auteur réussit à faire de cette biographie un vrai roman d'aventures... un peu à la Till l'Espiègle... mais en beaucoup beaucoup beaucoup plus noir... et cru.
La structure narrative est heureusement structurée.
La plume de l'auteur s'adapte à l'époque et nous offre une richesse lexicale qui m'a régalé, laquelle s'adapte parfaitement au souci de réalisme souhaité.
C'est violent, âpre,fangeux, laid... mais la beauté est fille de cette hideur. Et quelle fille !

Ballade des pendus

Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
A lui n'ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
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