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Critique de boudicca


Révélé en 2018 en tant que « pépite » des éditions Les Moutons Électriques avec sa trilogie « Monts et merveilles », Nicolas Texier est revenu cette année sur la scène des littératures de l'imaginaire français avec un nouveau roman jouant sur un tout autre registre. Exit l'Europe magique uchronique des années 1930 et ses complots, bonjour l'Antiquité grecque et sa mythologie. L'ouvrage se déroule en effet peu de temps après la Guerre de Troie et met en scène une Grèce ancienne dans laquelle les créatures telles que les cyclopes, les satyres ou encore les centaures arpentent bel et bien la terre et où les mythes tirent leurs origines de véritables événements. Fortement inspiré de l'Odyssée, narrant le périlleux voyage d'Ulysse vers son Ithaque natale, le récit met en scène trois jeunes femmes lancées dans une quête désespérée sur la Méditerranée. Originaires de Psili, une petite île jusqu'à présent fort paisible, nos héroïnes se sont résolues à quitter leur foyer afin de partir à la recherche de leurs proches, enlevés par un groupe de guerriers thébains afin d'être réduits en esclavage. Seules rescapées de l'attaque, Lyra, Agame et Enyo ne tardent pas à comprendre que les assaillants cherchaient manifestement moins à se livrer à un raid qu'à rattraper un curieux personnage doté de grands pouvoirs et ayant fait escale à Psili quelques jours seulement avant le drame. Bien décidées à délivrer leurs amis et voisins, et à percer le mystère entourant le mage pourchassé, les jeunes filles entament un long voyage semé d'embûches au cours duquel elles auront à affronter quelques unes des créatures les plus célèbres de la mythologie grecque, du fameux minotaure reclus dans son labyrinthe aux Lotophages auprès desquels s'arrêta un temps Ulysse lui-même, sans oublier un cyclope amoindri, des centaures lubriques ou encore un peuple de demi-géants. Si vous êtes amateur/amatrice de fantasy historique en générale, et de mythologie en particulier, le roman ne pourra que vous ravir tant la reconstitution de la période aussi bien que la réappropriation par l'auteur des certaines grandes thématiques misent en avant dans les mythes grecs sont réussies.

Le récit emprunte évidemment beaucoup à « L'Odyssée », et ce par plusieurs aspects à commencer par sa construction narrative. le récit est en effet rythmé par une succession d'escales sur des îles de la Méditerranée qui donnent chaque fois lieu à une confrontation avec un nouvel adversaire face auquel les Ménades devront rivaliser de force ou de ruse, selon les circonstances. L'auteur fait de plus explicitement référence à Ulysse dans les pas duquel nos héroïnes marchent à plusieurs reprises, que ce soit lors de leur rencontre avec le cyclope Polyphemos ou encore avec le peuple des Lotophages. C'est avec beaucoup d'intérêt que l'on suit cette course poursuite à travers la Méditerranée qui, en dépit de son caractère à priori répétitif, parvient à ne jamais lasser. le traitement original proposé par l'auteur des mythes grecs évoqués y est pour beaucoup, Nicolas Texier ayant manifestement potassé de nombreuses sources lui permettant de prendre du recul sur les épisodes mis en scène, et ainsi de surprendre son lecteur. La place des femmes dans la mythologie grecque occupe notamment une place de choix dans la réflexion proposée ici par l'auteur, un peu à la manière de ce que proposait récemment Melchior Ascaride dans sa réinterprétation de l'histoire d'Orphée et Eurydice (« Eurydice déchaînée »). le choix de mettre en scène des héroïnes, et non des héros comme c'est d'ordinaire le cas dans ce type de récit, n'est évidemment pas anodin, surtout que le profil des jeunes femmes est plutôt atypique puisqu'il s'agit de trois marginales, méprisées ou mises de côté par les autres habitants de Psili en raison de leur physique imposant ou de leur désir d'indépendance. L'auteur fait également référence à plusieurs reprises à une pratique couramment évoquée, mais seulement à titre anecdotique, dans les mythes, à savoir le rapt des femmes par les hommes. Ici remise à plusieurs reprises sur le devant de la scène, cette « tradition » est analysée avec finesse par l'auteur et lui permet d'évoquer plus ou moins ouvertement l'incroyable violence subies par les femmes dans beaucoup de légendes grecques.

Les personnages figurent également au nombre des qualités du roman, qu'il s'agisse des trois Ménades ou bien de la galerie de figures secondaires qui viennent peu à peu s'ajouter à leur expédition. Chacune possède sa spécificité (l'art oratoire pour Enyo, celui de la chasse et du pistage pour Lyra, la force physique pour Agame), ce qui leur permettra de briller à tour de rôle en fonction des épreuves à surmonter ou des adversaires à affronter. Chacune possède aussi une faille (le départ non digéré d'un proche, la maltraitance d'un parent ou encore la volonté d'échapper à un chemin tout tracé), ce qui contribue à rendre ces jeunes femmes parfois un peu distantes plus humaines, et donc plus attachantes. Les habitants de Psili rencontrés au fur et à mesure de l'avancée de la quête des Ménades disposent bien sûr d'une personnalité moins étoffée mais séduisent malgré tout grâce à un trait de caractère dominant à même d'attirer la sympathie (la candeur de Polyphémos, la sagesse de la mère de Lyra, la bonhommie des hommes de Psili qui acceptent sans trop rechigner de se soumettre à l'autorité des jeunes filles…). En dépit de ses nombreuses qualités le roman est cela dit loin d'être parfait et souffre d'un certain nombre de défauts qui viennent parfois rompre le charme. Parmi ces bémols, on peut notamment citer la trop faible place accordée aux dialogues dans le récit qui mise trop souvent sur la narration. Les échanges entre les personnages sont ainsi relativement peu nombreux et tranchent avec le récit par leur registre assez familier et plutôt moderne quand tout le reste du texte est écrit avec une plume élégante et dans un langage plus soutenu, à l'image de ce que l'on peut retrouver dans les sources antiques (le choix de l'auteur de privilégier l'orthographe des noms en grec ancien n'est d'ailleurs pas anodin). Au nombre des déceptions on peut également mentionner la conclusion du roman qui se termine bien trop abruptement par un rebondissement prévisible et peu convainquant.

Nicolas Texier signe avec « Les Ménades » un roman de fantasy historique qui s'inspire et se réapproprie astucieusement certains des plus grands épisodes de la mythologie grecque. Porté par un trio d'héroïnes attachantes, l'ouvrage a le mérite de questionner la place des femmes dans les mythes et de proposer une immersion plaisante dans la Grèce ancienne, et ce en dépit de quelques maladresses qui n'ont cependant rien de rédhibitoires.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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