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Critique de MicheleP


Encore une harraga, une exilée, une déracinée, une brûleuse de route. Mais Kim est vietnamienne, et sa harraga à elle est celle des boat peoples obligés de fuir devant les bouleversements politiques, petite enfant qui ne comprenait pas grand chose à ce qui lui arrivait, petite fille de la famille d'un riche préfet d'origine chinoise qui fuit Saigon devenu communiste. "Mon père avait prévu, si notre famille était prise par des communistes ou des pirates, de nous endormir pour toujours, comme la Belle au bois dormant, avec des pilules de cyanure. Pendant longtemps, j'ai voulu lui demander pourquoi il n'avait pas pensé à nous donner le choix, pourquoi il nous aurait enlevé la possibilité de survivre." le ton est donné, style net, froid et pourtant empreint d'une infinie tendresse, une émouvante retenue qui donne à ces menus chapitres, des paragraphes, plutôt, une charge affective considérable. Les paragraphes se suivent dans le désordre, évoquant l'horreur des bateaux de tous les dangers, les camps de Malaisie, l'arrivée misérable dans un Canada gelé, l'intégration d'enfants qui ne parlaient du français que le peu qu'ils avaient cru apprendre de leurs institutrices. Pas une plainte pour ces vies qui se reconstruisent dans le plus grand dénuement, les boat peoples n'ont rien, n'emportent rien et, si d'aventure ils parviennent à cacher de minuscules diamants dans un bracelet en plastique dentaire, ils se le font voler. Les parents abandonnent leurs enfants à des inconnus en espérant qu'ils sauvent ainsi leur vie…

La vision de Kim Thùy est toujours morcelée, comme les souvenirs qu'elle garde des hommes qu'elle a aimés : un battement de cil de l'un, une mèche rebelle de l'autre, des leçons de certains, des silences de plusieurs. Par petites touches pointilliste, mosaïque de détails, se met en place la vie du Vietnam d'autrefois, ces grandes familles de dix-huit enfants, régies par une grand-mère étroitement corsetée experte en diamants, avec "l'oncle Deux" séducteur et irresponsable ou l'émouvante "tante Sept", simple d'esprit et fugueuse, qui ne sait pas pourquoi son ventre a gonflé, pourquoi elle a été endormie dans une clinique, ni que ce petit neveu est en fait son fils ; ou encore avec les impossibles et touchantes amours ancillaires d'une pauvre journalière et du jardinier.

Vietnam ravagé par la guerre et les bouleversements politiques, avec ces fillettes prostituées pour survivre, aperçues derrière une porte, ou comme ses petits cousins :" Ils m'ont décrit en ricanant comment ils avaient masturbés des hommes en échange d'un bol de soupe à deux mille dông. Ils ont dépeint sans retenue ni réserve ces gestes sexuels avec le naturel et la pureté de ceux qui considèrent que la prostitution est uniquement une affaire d'adultes et d'argent, qu'elle n'implique pas des enfants de six à sept ans comme eux, qui s'y adonnaient pour un repas à quinze cents. "Vietnam où vainqueur et vaincus connaissent la même misère, comme ces miliciens communistes qui stockent leurs poissons dans la cuvette des toilettes, objet incongru pour eux, qui ne peut donc servir que de garde manger.

Camps de réfugiés de Malaisie, cloaque puants et couverts de mouches, où des femmes tombent et se noient comme dans des sables mouvants.

Vietnam d'aujourd'hui enfin, avec ses odeurs, ses saveurs et ses formes retrouvées.

J'aimerai tout citer, parce que ce livre est une petite merveille, un premier roman (est-ce vraiment un roman) dépaysant, poignant, et poétique qu'il faut que je vous laisse découvrir, pour y puiser une magnifique leçon de courage et de dignité.

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