Vues d'atelier : Une image de l'artiste de la Renaissance à nos jours

J'ai trouvé ce livre à la fois passionnant et d'une beauté inouïe. On rentre dans l'intimité des artistes et dans leur atelier depuis en gros l'époque moderne jusqu'à nos jours avec une peut-être une période davantage au coeur du livre, le 19ème siècle. L'auteur nous raconte l'histoire de ses ateliers, la fascination qu'ils ont pu exercer sur les visiteurs et le public, les quartiers dans lesquels ils se trouvent, les relations entre artistes et mécènes, les relations entre artistes et modèles, la façon dont l'artiste choisit de se représenter...Le livre dessine en même temps une histoire de la sociologie de l'artiste.
Du point de vu de son contenu, l'ouvrage est déjà très riche, mais le livre se distingue par la richesse, la qualité et la diversité de ses illustrations. Photographies, tableaux occupent de très belles doubles pages garni format, et c'est magnifique. Incroyable tableau de Dufy représentant son atelier de Guelma en Algérie, très belle photo de John Sargent dans son atelier boulevard Thiers à Paris. On trouve ainsi des centaines d'illustrations et tout y passe, Corot, Manet, Picasso, Lucian Freud, Brassai, Mondrian, Velasquez...J'ai trouvé que c'était une extraordinaire façon de relire l'histoire de l'art, avec un angle qui peut paraître un peu pointu mais qui se justifie de manière évidente.
J'ai gardé le meilleur pour la fin. le livre est édité par Citadelle et Mazenod, qui produit de manière générale des livres d'art superbes. Mais là leur maquette est différente, et tout est non pas beau, mais sublime. C'est un des plus beaux livres d'art que j'ai vus. La mise en page, le coffret (avec une sorte de lin et du très beau vert), les couleurs des titres...Une incroyable réussite.

Apparu à la Renaissance, le statut d'artiste confère aux peintres, sculpteurs ou graveurs une nouvelle dignité, refusée jusque-là à l'artisan considéré comme un simple exécutant. Celui-ci fait alors valoir la dimension intellectuelle de toute création et hisse dans le même temps son activité au rang d'art libéral. Cette mutation profonde bouleverse la perception de ce personnage, devenu central dans la sociabilité mondaine, et se répand ainsi sur le lieu même de son travail. À mesure que croît l'attrait pour les artistes, l'atelier se pare d'une aura mystérieuse. S'y déploient des objets d'une grande diversité, parfois insolites, qui mettent en lumière la curiosité sans borne du démiurge le conduisant à appréhender le monde de façon personnelle, et font de son lieu de travail une manifestation tangible de son esprit bouillonnant. L'ouvrage de Bertrand Tillier dresse un vaste panorama des enjeux touchant à cet endroit singulier, tant sur le plan matériel que sur celui des représentations. À la fois témoin d'une activité laborieuse requérant patience, discipline, rigueur et espace d'apparat, il revêt différents visages qui sont autant d'aspects de la carrière de l'artiste. de l'atelier immortalisé par Adriaen van Ostade donnant à voir la réalité du métier de peintre dans la Hollande du XVIIe siècle, à celui de Jackson Pollock filmé par Hans Namuth dans les années 1950, la riche iconographie de ce bel ouvrage retrace l'évolution de ce lieu fascinant au fil de l'Histoire.

Par Milène Cuvillier, critique parue dans L'Objet d'Art 507, décembre 2014