Des héros démythifiés.
Les Atrides sont connus dans la mythologie grecque antique pour être une famille maudite marquée par un destin tragique. Colm Toibin réalise dans son livre Maison des rumeurs une réécriture de ce mythe en s'appuyant sur quelques faits connus : sacrifice d'Iphigènie, assassinat d'Agamemnon au retour de sa victoire de Troie par sa femme Clytemnestre, meurtre de Cassandre, assassinat de Clytemnestre par son fils Oreste. Ces jalons mythologiques permettent à l'auteur de déployer une histoire romanesque en explorant les caractères des principaux personnages, en se mettant à leur place, en laissant son imagination remplir les vides. Cette démarche littéraire lui permet de forger un récit personnel qui découle de ces prémices et qui lui laisse une liberté suffisante pour une création à la fois rigoureuse et imaginative.
On peut y discerner d'abord une réflexion sur le pouvoir. Égisthe et Clytemnestre sont prêts à tout pour y accéder, puis pour le conserver. En général, le pouvoir renforce le caractère dominant du personnage. Mais on s'aperçoit aussi que le personnage qui prend les commandes va modifier son comportement : c'est le cas de Léandre qui se révèle plus intransigeant et moins accommodant. C'est aussi pour l'auteur l'occasion de montrer la destruction de milliers d'êtres humains, de verser des litres de sang devant nos yeux, de se complaire dans des récits de tortures, en un mot à faire du trash. Ce goût, cette délectation pour ces bas instincts affaiblissent considérablement la portée du livre : trop de sang complaisamment répandu rend peu crédible un roman de fiction et peut même parfois provoquer l'effet inverse de celui recherché.
La religion et les dieux représentent le deuxième centre d'intérêt de ce livre. En effet, la plupart des Grecs (les anciens, les citoyens, Agamemnon, Electre, …) font le plus grand cas de ce qu'ils analysent comme étant des signes des dieux (victoires à la guerre, prise de pouvoir politique) beaucoup attachent même une grande valeur à ce qui nous apparaît comme de la superstition. Par exemple, les paroles publiques de malédictions proclamées haut et fort auxquelles ils accordent une efficacité d'autant plus redoutable qu'elle peut être différée. Cependant, pour les héros du roman, la remise en doute de ces dieux et de leur puissance leur permet à la fois leur actions impies et de mieux contrôler, pensent-ils, leurs sujets.
Pour donner vie à ces figures de l'antiquité, Colm Toibin n'hésite pas à avoir recours à de nombreux dialogues et de décrire des faits et gestes de façon simple ce qui redonne une certaine « jeunesse », une certaine vitalité à cette histoire. Il conserve cependant une certaine réalité historique des mentalités grecques antiques (telles que nous les supposons plausibles). Ces deux pôles de son écriture ne l'empêchent pas de développer un imaginaire tout personnel.
En résumé, un livre qui est un véritable roman à partir d'un fonds historique léger mais solide, un goût du trash discutable même pour les mentalités grecques antiques (infliger la mort sans l'accord des dieux était un acte impie), une réflexion intemporelle sur le pouvoir et les dieux, une écriture agréable et sans surprise ayant pour but d'humaniser et de rendre plus ordinaires ces héros et héroïnes de la Grèce antique et peut-être de les rapprocher de notre époque. On peut y voir une discrète incitation à (re)lire l'Orestie d'Eschyle, l'Electre de Sophocle ou d'Euripide; pourquoi pas ?
NB : Lu dans le cadre de Masse Critique, merci aux Editions Robert Laffont.
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