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EAN : 9782253244318
672 pages
Le Livre de Poche (07/02/2024)
4.13/5   216 notes
Résumé :
Une existence hors du commun adossée à une histoire familiale extraordinaire, une œuvre littéraire majeure couronnée par le Prix Nobel, et la traversée de toutes les tragédies politiques de la première moitié du XXème siècle – voilà comment on pourrait résumer la vie de Thomas Mann en quelques mots. La prouesse du Magicien consiste à nous faire vivre de l’intérieur – comme seul le roman peut le faire – cette vie exceptionnelle.
Thomas Mann naît dans une famil... >Voir plus
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Colb Toibin nous dépeint avec délicatesse et introspection une des figures les plus éminentes et complexes de la littérature européenne de la première moitié du XXieme siècle, Thomas Mann , prix Nobel de littérature 1929.
Cadet d'un riche négociant en grains de Lübeck , son père le considère comme son successeur à la tête de la compagnie, mais la mort prématuré de ce dernier chamboule tous les projets et les destins tout tracés. Alors que lui déjà de son vivant , incité par ses premières prouesses de poète inspiré de son éveil à son homosexualité, ne pensait que Littérature. Il profitera de l'exemple de son frère aîné Heinrich , écrivain soutenu matériellement par leur mère pour avoir à son tour le consentement maternel et le soutien matériel pour s'y consacrer très jeune. Toibin le suit de l'enfance au marriage, de son succès précoce avec le Nobel en 29 à son exil suisse et américain de l'Allemagne nazie. Une vie complexe vu que malgré son choix sexuel bien défini , il se mariera avec une femme avant gardiste dont il aura six enfants dont « trois homosexuels – ou deux homosexuels et une bisexuelle. Plus deux filles qui aiment les vieux. Plus Monika …Et Michael …Le seul qui soit normal », une famille dysfonctionnelle , aux membres célèbres, vaniteux, narcissiques, incestueux….

Toibin à travers la vie des Mann nous brosse un tableau magistral des grands changements et tumultes de l'histoire de l'Europe de la première moitié du XXieme siècle. de la montée du nazisme suite à la défaite de l'Allemagne de la première guerre mondiale ( le parti d'Hitler aux élections de décembre 1924 remportera que 3% du vote national), à leur arrivée au pouvoir que Mann était loin d'imaginer, et finalement la guerre, des moments de grandes turbulences où nous suivrons la famille en fuite n'arrivant pas à accepter les grandeurs d'un temps passé à jamais révolues.
Côté vie privée, Toibin nous rend avec brio la complexité du personnage de Thomas Mann. D'une part fortement attiré par les hommes dont il fera d'ailleurs très tôt l'expérience et le reflètera souvent dans son oeuvre, qu'ironiquement le public l'interprètera d'une manière plus inoffensive pour l'époque, de l'autre une femme exceptionnelle, très intelligente ( sa réaction à la lecture de la Montagne magique est étonnante ), sa muse , à laquelle il sera fortement lié, et six enfants qui lui assureront l'honorable statut de père de famille. Ses journaux intimes enfermés dans un coffre fort à Munich dans son bureau , alors qu'il est déjà exilé en Suisse, deviendront un de ses plus gros soucis, vu que s'ils arrivaient à être publié révéleraient clairement qui il était et quel était l'objet de ses pensées secrètes…..surtout que ces pensées secrètes se portaient sur des garçons assez jeunes….Mann avait choisit le grand compromis. Avec son respect de l'ordre qu'il observait dans ses réflexions et sa façon d'accueillir la vie en général, «  il aurait pu être un homme d'affaire », or il rêvait de trouver « une voix, où un contexte , qui soit au-delà de lui, enraciné dans ce qui brillait, scintillait, pouvait être vu, mais qui planait au-dessus du monde des faits, en un lieu où esprit et matière se confondaient, se séparaient, se confondaient encore. » Mais sa prudence et son souci de contrôle ne lui permettront que dans de rares occasions d'ouvrir la porte à l'obscurité qui était là , hors de sa propre sphère de compréhension. Or sa production littéraire et ses sources d'inspiration sont étroitement liée à cette vie privée qu'il agrémente de son imagination féconde et de sa production d'illusion, l'essentiel du travail de l'écrivain. Et c'est là qu'entre en scène la magie , cette magie que Mann ressentira dès l'écriture de son premier roman à grand succès, Les Buddenbrook « L'oeuvre avait beau être basée sur la vie des Mann à Lübeck, Thomas savait bien qu'elle avait aussi une source extérieure à lui, sur laquelle il n'exerçait aucun contrôle. Cela relevait un peu du tour de magie, et il savait que cela ne se reproduirait pas si facilement. »
Le Magicien c'est aussi le surnom que lui donnaient ses deux aînés Klaus et Erika, et par la suite tout ses enfants, parce que tout simplement il leur faisait des petites tours de magie quand ils étaient petits !

Un livre fascinant qui sort d'une biographie classique, que Toibin termine avec une histoire magnifique et où l'on croise de nombreuses célébrités de la littérature et la musique du XXieme siècle dont Gustav Mahler, Alma Mahler, W.H. Auden, Arnold Schönberg, Bertholt Brecht….Intéressant aussi dans le sens qu'on se rend compte une fois encore que l'Allemagne qui a connu la dictature la plus impitoyable de l'Histoire mondiale est aujourd'hui un des rares pays au monde où la démocratie fonctionne au mieux qu'elle peut fonctionner, et les États Unis soit disant une grande démocratie est un des pays au fascisme le plus redoutable qu'il exerce prioritairement à travers le CIA et le FBI , deux organisations qui contrôlent le pays et tout les pays qui les intéressent.
Je pense que relire Mann après ce livre sera une nouvelle expérience , ce que j'essaierais de faire avec les Buddenbrook et pourquoi pas entamer le docteur Faustus qui m'a toujours fait peur avec ses 600 pages.

« L'esprit de l'écrivain était protéiforme, son imagination ouverte au changement . L'humour et l'ironie étaient pour lui des outils essentiels. »

«  Sa vie illustra son oeuvre. »
François Mairiac

Un grand grand merci aux éditions Grasset et NetGalleyFrance pour l'envoi de ce très très beau livre !
#LeMagicien #NetGalleyFrance

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Plus de quinze ans après le maître* - ouvrage accueilli avec succès et malheureusement épuisé, Colm Tóibín se réadonne à l'exercice périlleux du roman biographique, s'intéressant cette fois-ci à l'une des figures majeures de la littérature allemande  : Thomas Mann (1875-1955). 

Si je ne peux émettre d'avis sur le précédent, le magicien lui, m'apparaît comme une merveilleuse réussite. Par un jeu d'ombre et de lumière, en touches délicates, l'écrivain irlandais révèle les multiples facettes de son "personnage" tant dans la sphère privée que publique. S'appuyant sur un solide travail de recherche mais aussi de mise en perspective, il livre un écrit incroyablement riche, fouillé et sensible. 

Portrait introspectif d'un homme éminemment complexe, fenêtre ouverte sur le clan Mann et ses pierres d'achoppement, c'est également une plongée saisissante dans le fracas de l'Histoire de la première moitié du XXème Siècle.

*

Le récit débute en 1881, année de la disparition du sénateur Mann - Thomas a alors seize ans - et s'achève en 1950 lorsque ce dernier retourne à Lübeck, berceau de son enfance, après un exil aux États-Unis. Entre les deux périodes, six cents pages condensant l'essentiel d'une vie voire de plusieurs vies - du déterminant à l'anecdotique, de l'apparent au dissimulé.

Fils cadet d'un riche négociant céréalier, il semble prédestiné à prendre un jour la tête de l'entreprise familiale mais le testament paternel en prévoit  contre toute attente la dissolution. S'il feintait de s'intéresser jusqu'ici aux affaires, nourrissant davantage une passion pour la poésie, la nouvelle n'en demeure pas moins un "choc" face à la perte de ce qu'il pensait "lui revenir de droit". Un désaveu source de rancoeur et d'incompréhension.

"Thomas  éprouvait une tristesse lancinante à la pensée que tout le labeur des Mann (...) allait à présent être anéanti. L'ère de la famille était révolue."

Lycéen aux résultats médiocres, il suivra sa mère partie s'installer à Munich, où un poste dans le secteur des assurances lui est réservé. Poste qu'il occupera pendant une courte durée, car c'est là au coeur de la capitale bavaroise, haut lieu intellectuel et artistique, que s'affirmera son ambition littéraire. À l'instar de son frère aîné Heinrich,  il désire ardemment vouer son existence à l'écriture.

*

Au fil des pages, le lecteur assiste avec engouement à la naissance de l'écrivain et au processus de création - des premières publications à la rencontre du succès. À travers son oeuvre, Thomas M. dévoile de façon déguisée une partie de lui-même et de son histoire, s'inspire de ce qu'il observe et capte autour de lui, en témoignent les précieux éclairages apportés sur ses romans (genèse, contexte, accueil,...).

Ainsi concernant Les Buddenbrook (paru en 1901), pourra-t-on lire par exemple : " Il vit dans son entièreté le roman auquel il songeait depuis un certain temps. Il allait se réinventer (...) dans le rôle d'un enfant unique et il transformerait sa mère en une riche héritière allemande, délicate et musicienne. Il ferait de sa tante Élisabeth une héroïne fantasque. le héros ne serait pas une personne. Ce serait la firme familiale (...). L'atmosphère d'assurance mercantile de Lübeck en  formerait l'arrière-plan, mais la firme serait condamnée,  et le fils unique de la famille serait condamné lui aussi. (...) Il entrerait dans l'esprit de son père,  de sa mère, de sa grand-mère et de sa tante. Il les verrait tous et il tiendrait la chronique du déclin de leurs fortunes."

Partageant ses pensées les plus intimes et ses échappées imaginaires, le lecteur découvre également le rapport qu'il entretient avec son homosexualité, perceptible depuis l'adolescence. Éclatant en de rares et fugaces occasions, ce désir refoulé s'exprimera par l'écriture -  sans doute une forme d'exutoire.

"Ses rêveries sexuelles s'étaient glissées dans ses nouvelles et romans, mais à l'abri de la fiction on avait tout loisir de les interpréter comme des jeux littéraires."

*

De son union avec Katia Pringsheim - d'origine juive, verront le jour six enfants. le couple se montre complice, soudé. L'épouse n'ignore d'ailleurs rien des penchants de son mari; entre eux deux, existe un "accord tacite" visant à préserver l'harmonie du foyer. Ensemble,  ils traverseront  tragédies intimes et grands bouleversements mondiaux.

Les guerres de 14/18 et 39/45 mettront un frein temporaire à l'ascension de Thomas M. qui malgré tout continue d'écrire et remporte le prix Nobel en 1929. Sa famille se voit écartelée par des divergences d'opinions politiques. Lui qui se pose en soutien à la cause allemande lors du premier conflit, s'engagera dans la lutte contre l'idéologie nazie quelques années plus tard et sera contraint d'emprunter le chemin douloureux de l'exil - direction Suisse, France , États-Unis.

" le prix le marquait encore un peu plus aux yeux des nazis. La forme de culture qu'il représentait depuis la fin de la guerre - bourgeoise, cosmopolite, équilibrée,  dépassionnée - était précisément celle qu'ils cherchaient le plus farouchement à détruire. le ton qu'il privilégiait dans sa prose - pesant, cérémonieux, civilisé- était l'exact opposé du leur. "

"Ce que mes compatriotes infligent à ce l'humanité est si atroce, si inoubliable, que je ne peux concevoir comment ils pourront vivre à l'avenir parmi les peuples frères de la planète comme parmi des égaux."

*

600 pages captivantes, enrichissantes et éclairantes qui me laissent avec quelques interrogations : Où commence la pensée de Colm Tóibín et où s'arrête celle de son "sujet" ? Où se situe la frontière entre imagination et réalité? Aussi, trouverai-je pertinent de parcourir en parallèle Le Journal tenu par Thomas Mann jusqu'au soir de sa vie et dont Colm Tóibín du reste s'est inspiré.

Quoiqu'il en soit, elles sont invitation à découvrir (mon cas) ou redécouvrir la production littéraire de cet illustre et énigmatique écrivain - personnalité marquante du Siècle dernier - mais également celle de ses proches qui comme lui, prennent vie sous nos yeux  dans leurs travers et leurs éclats, loin de toute idolâtrie. Une lecture vers laquelle je retournerai c'est certain, et qui en appelle de nombreuses autres pour mon plus grand plaisir.

***

" Sa vie illustra son oeuvre." (François Mauriac)
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Passionnant même si parfois, sur les six cents pages, je me suis essoufflée un peu. La tribu Mann, les parents et grands-parents entraînent une abondance de portraits sans lesquels, il serait difficile de cerner le contexte familial avec discernement comme il eut été difficile de ne pas évoquer les Roosevelt, Alma Malher et Christopher Isherwood.

L'écriture de Colm Toibin, traduit de l'irlandais par Anna Gibson, est agréable, fluide, visuelle, sans artifice. Elle permet d'entrer facilement dans l'intimité de la famille Mann et d'aborder avec une acuité accrue, la complexité de ce génie littéraire, nobélisé en 1929, Thomas Mann, celui que ses enfants appelaient « le Magicien ».

Malgré les excellents billets qui ont déjà été rédigés sur cette biographie romancée de Colm Toibin, il m'a semblé utile d'apporter ma modeste contribution afin d'inciter les indécis à se plonger dans ce roman qui bénéficie d'une recherche approfondie mais surtout, qui ouvre des portes sur la création littéraire, ses motivations et l'ambivalence d'un des plus grands auteurs allemands du vingtième siècle.

Colm Toibin se glisse, s'immisce, dans la tête de Thomas Mann qu'il accompagne depuis sa naissance, à Lubeck en 1875, jusqu'à son décès à Zurich, en 1955, en passant par Sanary-sur-mer dans le Var et les Etats-Unis, l'auteur chemine à ses côtés. La famille, l'époque, les évènements, tout est passé à la lumière d'un travail de documentation rigoureux et, il me semble, aussi d'une certaine proximité avec son modèle.

Connaissant certains ouvrages de Thomas Mann, ayant lu les mémoires de son fils Klaus, il m'est apparu intéressant, à la fois, de découvrir l'origine de certains ouvrages du Magicien comme de procéder à une approche plus large des ressentis de chacun en comparant avec les mémoires de Klaus.

A travers l'histoire de la famille Mann, c'est une vision en accéléré du vingtième siècle qui nous est proposée et qui tout comme « Mémoires d'un européen de Zweig » et les mémoires d'Ernst Toller sur la République des conseils de Bavière, nous permet de mesurer avec force, la fureur qui a traversé l'Europe tout au long de ce 20ème siècle sans oublier ces années d'entre deux-guerres où, même dans les milieux réputés « intellectuels », régnait une certaine incrédulité devant les élucubrations d'Hitler.

Cette biographie romancée s'alimente des tourments du 20ème siècle, des drames auxquels la famille Mann a été confrontée. Rien ne sera épargné à Thomas Mann. de la judéité de son épouse, Katia, dont cette dernière ne faisait pas cas jusqu'à ce que les nazis le lui rappellent, de la vie tumultueuse et des prises de positions de ses enfants terribles qu'étaient Erika et Klaus, des épreuves douloureuses d'Heinrich, des deuils, des déménagements successifs, sans compter la période du maccarthysme qui est l'épisode qui m'a le plus interpelé, le mauvais sort s'est vraiment acharné sur cette famille malgré un Prix Nobel, un auteur acclamé dans le monde entier, un couple très uni – ce que leurs enfants leur reprocheront d'ailleurs et un univers d'une grande culture tant littéraire que musicale.

De cette lecture, le lecteur peut méditer sur la versatilité du destin tout comme sur l'opportunisme de certains pays d'accueil. Ce livre est riche d'enseignements. Il démontre aussi qu'il fut très difficile à Heinrich et Klaus d'être le frère et le fils de cette célébrité écrasante et étouffante qu'était le Magicien.


Colm Toibin décrit avec délicatesse l'homosexualité refoulée de notre Prix Nobel. L'auteur, lui-même homosexuel, sait décrire avec beaucoup de doigté, les pensées de Thomas Mann à la vue d'un beau garçon,- il y a de très beaux passages sensuels - comme toute biographie romancée, il joue à l'équilibriste entre le chercheur érudit et le romancier.

Au fur et à mesure des évènements, l'auteur dépeint l'évolution des opinions politiques de Thomas Mann. Enfermé tous les matins dans la tour d'ivoire de l'écrivain – son bureau – il vit au rythme de sa création littéraire. On ressent parfois à quel point Thomas Mann est désorienté par rapport à la réalité qui lui échappe. Mais sa personnalité littéraire, spirituelle, évolue, elle touchera à la perfection tant ses oeuvres sont profondes et multiples, toujours à chercher le juste milieu entre l'humanisme et la politique. Ses récits resteront un témoignage des plus éloquents de cette période du 20ème siècle. Je suis ressortie enchantée de cette lecture. Après une telle lecture, je ne lirai plus Thomas Mann avec le même regard, c'est, à mes yeux, tout l'intérêt de ce roman. Je vais, de ce pas, ressortir les Buddenbrook de ma bibliothèque !
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Je m'abstiendrais de résumer les 600 pages de ce roman biographique ou biographie romancée sur la vie et la personnalité de Thomas Mann. D'abord parce que le résultat ne pourrait être que médiocre, ensuite parce que tout l'intérêt du livre de Toibin est justement de prendre son temps pour mettre en scène le caractère éminemment complexe, contradictoire et paradoxal de Thomas Mann. Un homme effleuré par ses démons, ceux de son homosexualité, qui ont nourri son oeuvre mais ne l'ont pas empêché d'opter pour le calme de la vie conjugale (avec une femme intelligente, alliée et complice indéfectible de son mari), et les positions mesurées dans sa vie publique. Une attitude que certains ont pu trouver pusillanime quand il s'agissait de prendre clairement parti en politique (notamment au début contre les nazis), mais qui semble-t-il correspondait à son peu d'appétence pour la chose publique. En fait un homme multiple, qui soutenait ses enfants à sa façon, tolérante et un peu distante, même si ceux-ci multipliaient les engagements et les excès, « qui aimait la musique de chambre, la poésie lyrique, le calme domestique » mais également « un homme qui ignorait la prudence, dont l'imagination était aussi radicale et flamboyante que l'était sa voracité sexuelle, (...) qui cherchait à créer un art austère, un art qui méprisait les traditions, un art aussi dangereux que le monde en train d'advenir. »
Une lecture que je conseille vivement (merci Idil 😊).

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On suit la vie de Thomas Mann durant tout ce formidable récit qui s'ouvre en 1891 dans l'austère maison familiale où le patriarche le sénateur règne en maître tant sur son épouse d'origine brésilienne que sur ses enfants.

Il est prévu que Thomas reprenne l'affaire familiale à laquelle il a fait semblant de s'intéresser durant son enfance, alors qu'Heinrich veut devenir écrivain. Quand le pater familias décède, ils s'aperçoivent qu'il a déshérité tout le monde, mis l'entreprise en vente… Adieu la vie bourgeoise aisée. le tout sous l'oeil acerbe de la tante Elisabeth, la soeur du patriarche.

Vus les résultats scolaires de Thomas la famille le fait embaucher dans une compagnie d'assurance mais il préfère écrire des poèmes. Ce que sa mère a permis à Heinrich (une rente mensuelle et le financement de la publication de son premier livre) elle le lui refuse et se réfugie au piano avec Chopin dès qu'il tente d'aborder le problème.

Il finira par obtenir gain de cause, mais cette famille rigide et bourgeoise où il ne sent pas aimé, critiqué par les uns et les autres, dans cette ville bourgeoise de Lübeck, il va finir par lui régler son compte avec « Les Buddenbrock » mais il ne parlera de son projet à personne. Il veut bien montrer ses nouvelles à Heinrich mais c'est tout.

Direction Munich donc, où il fera la connaissance de Katia Pringsheim et son frère Klaus, des jumeaux au caractère fort et provocateur. Il finira par épouser Katia et fonder une famille avec elle, l'attirance pour les corps masculins, l'homosexualité latente, il réussit à les enfouir le plus profondément possible.

On va suivre toute la famille, Thomas, Katia et leur progéniture durant les grandes épreuves de la première guerre mondiale, la ferveur patriotique de l'époque, puis le désastre de la défaite, la révolution de Munich, la montée du nazisme, la nuit de cristal, la nécessité de l'exil car la famille Mann n'est pas bien vue par les nazis, prix Nobel ou non, car les prises de position de Klaus et Erika pro communistes ne peuvent qu'attirer le courroux hitlérien.

Il ne pouvait imaginer, comme beaucoup de ses compatriotes à l'époque, que ceux qu'il considérait comme des « voyous en uniforme » pourraient un jour tenir l'Allemagne sous leurs bottes.

L'idée d'un avenir des nazis dans la politique allemande, sous quelque forme que ce soit, ne valait même pas qu'on s'y attarde. Les nazis avaient surgi de nulle part et ils ne tarderaient pas à disparaître…

Ce sera donc l'exil forcé, la Suisse, les USA, où il sera bien accueilli au départ, dans la mesure il ne s'exprime pas sur la nécessité d'entre en guerre, on l'adule, mais il reste un Allemand et les migrants venus d'Allemagne commencent à lasser le brave peuple (cela n'a guère changé) …

Colm Tóibín nous permet de revisiter toute l'histoire de l'Allemagne, la fragilité de l'Unité Allemande, les guerres, la guerre froide qui se met en place mais aussi la culture de ce pays, les particularités de la société protestante marchande austère car Thomas est né en 1875 alors manifester ses fragilités, son homosexualité, sa bisexualité du moins, était impensable. Quand on apprécie une oeuvre, il arrive que découvrir la personnalité de son auteur puisse entraîner des désillusions mais j'ai apprécié l'homme que j'ai rencontré avec ses forces et ses faiblesses, même si parfois il m'a quelque peu agacée parfois. Il n'est pas nécessaire d'aimer les livres de Thomas Mann pour apprécier ce pavé de 608 pages car on fait un beau voyage.

J'aime beaucoup Thomas Mann que j'ai découvert avec « Mort à Venise » (lu au moins deux fois) « Tristan » et surtout un immense coup de coeur il y a quelques années pour « La montagne magique » que je voudrais relire dans sa nouvelle traduction. Il faudrait maintenant que je sorte « Les Buddenbrock » de ma liseuse spéciale « classiques ». Cette lecture était donc une évidence pour moi.

Comme Colm Tóibín le précise, dès le départ, il s'agit d'un roman, inspiré du journal de Thomas Mann mais également d'une bibliographie intéressante dont seulement quelques ouvrages ont été traduits en français.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions qui m'ont permis de découvrir ce roman (qui sera je l'espère salué par la critique comme par les lecteurs) et la plume de son auteur dont j'aimerais bien découvrir « le Maître » consacré à Henry James.

#LeMagicien #NetGalleyFrance !
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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critiques presse (4)
LesInrocks
04 octobre 2022
Ce livre remarquable est radicalement différent de tout ce que Tóibín a écrit jusqu’ici. Ses 600 pages, dont aucune n’est de trop, couvrent toute la vie et l’œuvre du génie des lettres allemandes, de sa naissance à Lübeck jusqu’à ses dernières années en Suisse en passant par ses rêves érotiques à Venise et son exil américain. Il tient plus du roman que de la biographie.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
LaCroix
15 septembre 2022
Né sur une île riche en prix Nobel de littérature, l’écrivain irlandais Colm Toibin consacre son nouveau roman, Le Magicien, à la vie puissante de l’Allemand Thomas Mann. Les concordances entre ces deux romanciers ne manquent pas.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Marianne_
09 septembre 2022
Sous la plume envoutante de l'écrivain irlandais, une nouvelle biographie romancée de Thomas Mann suit, jusque dans son exil, le prix Nobel de littérature aux prises avec le fracas de son temps.
Lire la critique sur le site : Marianne_
LeMonde
05 septembre 2022
Avec « Le Magicien », le grand écrivain irlandais livre un superbe roman biographique, hommage nuancé à ce moderne absolu qu’est l’auteur de « La Mort à Venise ».
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (45) Voir plus Ajouter une citation
Le soir, quand le sénateur s'était absenté (...), leur mère leur parlait de son pays natal, le Brésil,  un pays si vaste que nul ne savait combien il comptait d'habitants ni quelle pouvait bien être la physionomie de certains d' entre eux ou la langue qu'ils parlaient. (...)

"Parles-nous des étoiles,  disait Heinrich.

-Notre maison de Paraty était située au bord de l'eau. (...) À la nuit tombée, nous voyions apparaître les étoiles,  basses dans le ciel et très lumineuses. Ici, dans le Nord, elles sont hautes et lointaines. Au Brésil,  elles sont visibles comme le soleil en plein jour. D'ailleurs ce sont elles-mêmes de petits soleils, scintillants et proches, surtout pour nous qui vivions au bord de l'eau. Ma mère disait que dans les pièces du premier étage on pouvait parfois lire un livre en pleine nuit grâce à la clarté des étoiles qui se reflétait sur l'eau. (...) Petite fille,  quand j'avais l'âge de vos sœurs, je croyais que le monde entier était ainsi. La première nuit à Lübeck a été un choc pour moi.
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Jusque-là, il s’était vu comme quelqu’un d’exceptionnel, raison pour laquelle il n’avait pas voulu se joindre à la cohorte des dissidents. La raison principale, cependant, était qu’il avait peur. Katia comprenait cela, mais Erika non, et Klaus et Heinrich non plus. Ils ne comprenaient pas la timidité. Pour eux, seule la clarté existait. Mais en cette période trouble, une telle clarté n’était accessible qu’aux rares individus qui possédaient le courage suffisant ; pour les autres, c’était un temps de confusion. Lui-même faisait partie de ces autres, et cela, à présent, ne le rendait pas fier. Il se présentait au monde sous les airs d’un homme intègre, mais en vérité il était faible.
( Thomas Mann en exil ne se prononçant pas ouvertement contre le régime nazi)
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Les discours de Thomas à destination de l'Allemagne étaient produits et retransmis par la BBC. Au début, on lui demandait de rédiger simplement son discours qui était ensuite enregistré à Londres par un présentateur germanophone mais à présent, on l'enregistrait en train de prononcer son discours, lui -même, à Los Angeles, après quoi l'enregistrement était envoyé à New York puis transmis par téléphone et enregistré de nouveau à Londres où on le diffusait ensuite au micro.

" ON dirait de la magie, dit-il jà Katia. Mais ce n'en est pas. C'est le résultat de ces merveilleux mots anglais - organization, détermination."

"Un écrivain allemand vous parle, un écrivain dont l'œuvre et la personne ont été mises au ban par vos chefs. C'est pourquoi je suis heureux de saisir l'occasion que m'offre le service de radiodiffusion britannique de vous faire part, de temps à autre, de tout ce que je vois ici, en Amérique, ce grand pays livre où j'ai trouvé refuge".
........

" C'est dans l'ordre des choses, disait-il. L'Allemagne n'est pas, par nature, hors du commun. Si elle est à présent encerclée d'ennemis, c'est uniquement de son propre fait. Et ses actes barbares contre la population juive l'ont placée au-delà de toute rédemption. Pour être sauvée, elle va devoir être vaincue."
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La Suisse, aux yeux de Thomas, survivait grâce à un mythe de grande moralité protestante alors même qu’elle protégeait l’argent des crapules. Tout comme ses banques étaient ouvertes aux riches, ses frontières étaient en général fermées aux gens dans le besoin. Le pays possédait des montagnes et des lacs, quelques villes et de nombreux villages de conte de fées, mais cela ne suffisait pas à créer quoi que ce soit de sérieux. Ses citoyens, pensait Thomas, passaient l’essentiel de leur temps à rester propres. Ils le faisaient avec tant de zèle que leur hygiène enragée se communiquait à leurs lacs et à leurs montagnes, à leurs trains et à leurs chambres d’hôtel, à leur chocolat et à leur fromage, et surtout à leurs billets de banque.
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Herr Huhnemann avait une façon bien à lui de le scruter du regard avant de se détourner comme si on l’avait surpris à enfreindre le règlement. Ses cheveux gris fer se dressaient tout droit sur sa tête comme autant de petits clous. Il avait un visage émacié tout en longueur et des yeux d’un bleu profond. Thomas trouvait son regard déstabilisant, mais il découvrit que le fait de le fixer à son tour et de l’obliger à baisser les yeux lui donnait une étrange sensation de pouvoir. À mesure que le temps passait, il comprit que ces menues rencontres, ces simples échanges de regards, constituaient un élément important de la journée de Herr Huhnemann.
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