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Critique de Meps


Meps
18 février 2024
Le deuxième livre est toujours une étape importante. Pour l'auteur, qui doit confirmer les espoirs placés en lui après un premier succès ou inverser la tendance si le premier livre n'a pas trouvé son public. Mais également pour le lecteur, qui se lance dans l'aventure de relire un auteur qui soit lui a beaucoup plu (au risque de découvrir que ce n'était qu'un heureux hasard) soit lui a déplu mais à qui il souhaite donner une seconde chance (au risque de vivre une deuxième désillusion et d'enterrer ainsi définitivement l'écrivain en le sortant de toutes ses PAL).

Ce livre est le troisième roman de la prix Nobel polonaise Olga Tokarczuk... mais le deuxième traduit en français. Son premier roman n'a en effet pas eu les honneurs de la traduction... alors qu'ironiquement le lieu de l'action est la France du 17ème siècle. Avis aux éditeurs français qui pourraient avoir intérêt à commander une traduction, avec en plus le bandeau "Lauréate du Prix Nobel" toujours garantie de vente.

Ce livre est ma deuxième lecture... après celle du premier roman, je fais dans la lecture chronologique mais totalement par hasard puisque j'ai choisi ce livre uniquement parce qu'il était disponible dans ma bibliothèque. Mais tant mieux cela sera l'occasion de voir en quoi l'écriture de Tokarczuk évolue et en quoi elle se ressemble en avançant.

J'avais vraiment adoré Dieu, le temps, les hommes et les anges. Et quand on entame une deuxième lecture d'un auteur qu'on a fortement apprécié, on voit s'ouvrir plusieurs chemins: soit l'auteur restera dans la veine de ce qu'elle a écrit, soit l'auteur changera totalement de style, de genre, de narration. La première solution est à la fois rassurante et frustrante : l'auteure ne risque-t-elle pas de se répéter, de faire moins bien de la même façon et donc se révéler décevante ? La seconde solution serait inquiétante et excitante : va-t-elle déployer son talent d'écriture dans un nouveau format ou se perdre en cherchant à innover ?

Cette deuxième lecture prend le premier chemin. Tokarczuk reprend le format de son deuxième roman dans le troisième. le récit est organisé autour d'un cadre mais laisse se déployer plusieurs histoires en son sein. Là ou Dieu, le temps... se positionnait dans le village fictif d'Antan qui lui permettait ainsi d'explorer plusieurs périodes de l'histoire polonaise, elle pose son histoire dans un hameau proche de la ville de Nowa Ruda, en Silésie, à deux pas de la frontière tchèque. Dans cette région au carrefour des influences entre Allemagne, République Tchèque et Pologne en fonction des vicissitudes de l'Histoire et des déplacements de population, l'auteure peut ainsi encore nous promener dans le temps pour nous raconter un territoire, cette fois-ci réel, à travers le prisme des époques différentes.

Là où elle avait joué avec la fantasy en créant un monde à part entière dans son deuxième roman, elle prend ici comme fil rouge les rêves, ce qui lui permet aussi de garder une vraie liberté dans le récit, puisque rien n'est réellement impossible dans les rêves. L'auteur semble se sentir à l'étroit dans la réalité pure et froide et elle cherche à s'affranchir de ces limites et le biais du rêve est particulièrement bien choisi puisqu'elle l'utilise comme grille d'analyse de plusieurs phénomènes (religion, divination, et même lycanthropie cannibale à un moment).

Au delà des rêves, ces différents récits bénéficient également d'une histoire cadre avec une narratrice mystérieuse au mari seulement initialé (le taiseux R.) et ressemblant particulièrement par beaucoup d'aspects à l'auteure elle-même. En visite dans la région, acquéreurs d'une maison de vacances ô combien originale (traversée par une rivière, pas idéal pour l'humidité, mais avouez-le très poétique), ils nous permettent ainsi de rencontrer la galerie de personnages pittoresques, la voisine perruquière Marta, les bûcherons occasionnels Bidule Machin et Marek Marek. D'autres personnes ne sont que croisés mais cela ne les empêche pas de devenir les protagonistes principaux d'histoires plus développées, plus originales les unes que les autres, d'un cadavre trop proche de la frontière pour avoir une mort tranquille à un moine en questionnement sur son genre, en passant par une femme amoureuse d'un rêve.

La connaissance de la région et l'amour pour celle-ci se sentent parfaitement dans les mots de Tokarczuk. Elle s'est installée à Walbrzych, toute proche de Nowa Ruda, au début de sa carrière de psychothérapeute et a du sillonner ces chemins vallonnées, admirer ces paysages enneigés dans sa jeunesse. Son amour des champignons , déjà très présent dans le deuxième roman, s'exprime ici tout au long du récit, s'épanouissant même dans plusieurs recettes bien détaillées. Cet amour va même jusqu'à remettre en cause la classification de vénéneux, préférant tester par soi-même si le caractère comestible ne dépend pas autant de la femme qui le mange que du champignon lui-même... On ne conseille pas forcément de suivre ces conseils !

Avec tous ces ingrédients, vous devez vous dire que me voilà conquis et ravi... Et bien pas totalement ! J'ai beaucoup moins trouvé mon compte dans cette lecture que dans la première. Est-ce dû à la perte de la surprise de la découverte ou à une organisation qui m'a semblé moins ciselée ? Je me suis à certains moments perdu dans l'entremêlement d'histoires pourtant toutes très intéressantes. Peut-être que le récit cadre plus terre à terre m'a moins emporté que le village d'Antan si féérique dans sa normalité apparente.

Cela reste néanmoins une lecture très agréable, pleine de questions originales que je ne m'étais jamais posée, comme celle que j'ai relevée en citation : pourquoi ne change-t-on pas de nom lorsque la vie fait de nous des personnes parfois tellement différentes de celles que nous étions à la naissance ? Je vous laisse sur cette question, le temps de programmer pour dans quelques temps ma prochaine lecture de Tokarczuk, Les Pérégrins sans doute si je suis l'ordre chronologique que le hasard m'a créé !
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