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Christophe Glogowski (Traducteur)
EAN : 9782221250532
416 pages
Robert Laffont (05/11/2020)
4.09/5   372 notes
Résumé :
Antan a tout l'air de n'être qu'un paisible village polonais. L'existence y est ponctuée par le temps ; le temps d'aimer, de souffrir puis de mourir. Antan est situé au centre de l'univers - cœur du monde, cœur des hommes, cœur de l'Histoire. Mais qui préside à son destin ? Dieu, qui du haut des cieux lui envoie les maux et les bonheurs dévolus aux humains, ou le châtelain Popielski, envoûté par le Jeu du labyrinthe que lui a offert le rabbin qui, d'un coup de dés,... >Voir plus
Que lire après Dieu, le temps, les hommes et les angesVoir plus
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"Antan est l'endroit situé au milieu de l'univers."
Antan le bled où le temps s'est réfugié (Titre original , « Prawiek, et autres temps »).
Antan , Prawiek dans l'édition originale, un village fictif dans la région de Kielce, ville située au centre de la Pologne, que pour une raison obscure, traduit ici en Antan
- Prawiek en polonais signifiant," depuis la nuits des temps” - , est le lieu où le prix Nobel de Littérature 2018 Olga Tokarczuk nous déploie sa fabuleuse fresque en miniature de notre monde intemporel . Un monde qu'on découvre «  de l'intérieur », une perception instinctive, corporelle , sensuelle et non nécessairement rationnelle. Dans le cadre insolite de ce village dont les quatre points cardinaux sont protégés par quatre archanges, Raphaël, Gabriel, Michel et Uriel, mais où la présence de Dieu est plus que douteuse , le temps d'une lecture, on va traverser un siècle entier avec deux guerres mondiales, en temps que témoins de toutes les facettes familières de la Vie, l'amour, le mariage, l'enfantement, la maladie, la joie ,la douleur, le délit, le désespoir, la vieillesse, la mort.....
Olga est une magicienne de l'écriture, sous fond de fable, le mystère et le surnaturel débouche chez elle, sur l'évident. Elle nous déroute constamment avec poésie et images époustouflantes couplées d'une imagination sans borne, où le réalisme magique a la place d'honneur, pour en arriver à des réflexions et des vérités intemporelles sur l'homme et la vie. le désir charnel entre la meunière et un gamin de dix-sept ans, la désillusion de la vie du châtelain d'Antan qui perd la foi et s'attache à un Jeu, la vie éternelle d'un moulin à café, le dialogue du curé avec Dieu pour régler ses affaires matérielles, l'icône de la Vierge de Jeszkotle qui sur demande surveille le chien de la folle du village et intervient avec un “Laisse ce chien ! “, lorsque le sacristain s'en mêle pour sauver ses paniers pascals ( j'adore!).....un univers qui prend son élan vital aussi bien du genre humain , surtout les femmes , ici aux premières loges, que des animaux, des plantes et même des choses ( le moulin à café). Ce livre est à son image, un grand puzzle constitué de petits chapitres révélant chacun un temps de la vie d'un personnage, d'un végétal, d'un animal ou d'une chose. En plus chaque chapitre ayant droit à une chute, comme une nouvelle, géniale ! Une épopée collective, où les histoires individuelles se croisent et inéluctablement influencent le destin des uns et des autres, articulant une avancée collective dans ce bled « au milieu de l'univers », après lequel, “il n'y a plus rien.”.

C'est mon troisième Tokarczuk, et celui que m'a plue le plus pour le moment. J'admire son intelligence, son imagination, son humour et sa lucidité pour nous parler des choses très sérieuses de l'existence sous forme de fable burlesque, mais toujours avec un pied bien ancré dans la réalité. C'est sérieux et pas sérieux , comme la Vie 😁!
"Huit de trèfles fusillé ", ajouta le châtelain d'Antan, phrase que vous risquez vous aussi d'ajouter, au cas où vous vous poseriez trop de questions existentielles 😁!

“Le mur du cimetière s'ornait d'une plaque où une main malhabile avait gravé :

Dieu nous voit
Et le temps fuit.
La mort nous poursuit,
L'éternité attend. “

"L'homme attelle le temps au char de sa souffrance. Il souffre à cause du passé et il projette sa souffrance dans l'avenir. de cette manière, il crée le désespoir."



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Le livre est de prime abord étrange et dégage, avant même de l'ouvrir, une odeur de conte, de nature enchantée, de magie…une senteur de rêves…la couverture, au charme suranné, le titre merveilleux, l'origine polonaise de l'auteure, oui je sens que je vais entrer dans un univers différent des livres que je lis en ce moment. Et qu'il s'agira d'une nouvelle expérience.

Et en effet, il me faut lire tout d'abord deux fois le premier chapitre pour plonger dans cet univers. L'histoire se déroule dans un petit village polonais, Antan, et le premier chapitre précisément nous détaille Antan, « situé au milieu de l'univers », entouré de frontières gardées chacune par un archange. Antan c'est ici et c'est nulle part à la fois. Nous sommes en 1914 au début de l'histoire mais je ne cessais de penser à une période bien plus ancienne tant la féérie qui se dégage semble médiévale. le nom du village amplifie certainement cet effet. Nous avons l'impression de voir ce village à travers une carte moyenâgeuse, sur laquelle les repères sont les rivières (la Noire et la Blanche, avec tout le symbolisme qu'il y a derrière), la butte aux hannetons, les prés, la forêt, le moulin, la place centrale boueuse ; et les personnages qui y vivent, des figures emblématiques, le plus souvent associées à leur métier ou leur fonction : la Glaneuse, la meunière, le mauvais bougre, le couvreur, le châtelain, ; les éléments naturels sont également des personnages bien vivants : le noyeur, maître des brouillards, le verger, le mycélium…mais aussi l'ange gardien, les morts, la statue de la vierge de l'église, la lune…Seule l'arrivée des allemands et leurs exactions vont permettre de dater ce récit, ainsi que l'arrivée du communisme suite à la Guerre.

Il est question de la vie des habitants d'Antan, de leurs difficultés et de leurs faiblesses, de leurs passions et de leurs jalousies, mais aussi de leurs amours et de leurs amitiés. Chaque chapitre, assez court, est consacré à une de ses figures (un chapitre est même consacré à une chose : un moulin à café, l'auteur considérant que les choses durent et que « cette durée relève plus de la vie que quoi que ce soit d'autre » ; il aura d'ailleurs le dernier mot dans le livre) avec pour titre « le temps de… ». le temps de l'ange gardien, le temps de la Glaneuse, le temps de Misia, le temps du merveilleux Isidor…le temps du moulin à café donc. Un temps de conte et de féérie leur est accordé, une petite histoire magique ou tragique si agréable à lire que nous enchainons ainsi avec délice les chapitres les uns après les autres, pénétrant de plus en plus sans même s'en apercevoir dans ce monde hors du temps, presque primitif, où l'extrême pauvreté et les instincts les plus vils et les plus primaires côtoient richesse, grandeur et bonté d'âme. Ce sur trois décennies. Nous voyons évoluer les personnages, grandir ou vieillir, mourir. Sachant que Dieu est là, dans le mouvement…

Il est question en effet de Dieu comme nous pouvons le deviner, du destin, du temps. de questions existentielles : « vers où allons-nous ? ». le Jeu que reçoit le châtelain de la part d'un rabbin est central et donne des clés de compréhension. Comme si le châtelain « jouait à Dieu » avec moult figurines et coups de dés. Est-ce ainsi que Dieu, en créant ses mondes, préside à la destinée des hommes ? Ou est-ce les lois de la Nature qui dominent à l'image du mycélium (merveilleux chapitre consacré au mycélium) ? Sommes-nous, fragiles humains, comme pris dans les engrenages d'un moulin à café, broyés en poussière ? le destin et ses lois sont en effet des thèmes centraux qu'Olga Tokarczuk distille avec subtilité, l'air de rien sous ses allures de conteuse pour enfant. J'ai hâte de découvrir un peu plus son univers et mon prochain livre d'elle sera sans aucun doute les Pérégrins.
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Le temps d'Olga Tokarczuk n'est pas celui de la banalité. Avec elle le temps prend au gré de personnages étonnants toutes les formes. le temps de naître, de grandir, d'aimer, de vieillir, le temps de la guerre, et évidemment celui de mourir sont autant de moments de la vie des habitants d'Antan, un village polonais situé au coeur de l'univers. Des hommes et des femmes, riches comme pauvres, éduqués comme incultes, beaux comme vilains qui s'interrogent, ou pas, sur l'existence de Dieu, sur sa bienveillance, sur son intervention ou non dans leur destin. Même si certains sont convaincus que Dieu n'a rien à voir dans l'ordre du monde et pensent qu'il est des endroits où la matière se crée toute seule à partir de rien, que la nature est le centre de tout. Il en est ainsi de la Glaneuse qui a élu domicile dans les bois et du Mauvais Bougre, un paysan ordinaire qu'un crime a transformé en bête sauvage de la forêt. Ou encore du jeune Paul Divin, le bien nommé, qui pour conduire sa vie ne s'en remet pas à Dieu mais à sa capacité à devenir ce qu'il veut être...
On ne peut qu'être fasciné par le monde étrange, merveilleux, inédit qui naît sous la plume poétique et envoûtante d'Olga Tokarczuk. Un monde où des hommes bien réels sont traversés par des interrogations qui ne le sont pas moins. Un monde où hommes, choses, animaux, végétaux interagissent dans un équilibre impalpable à la réalité pourtant irréfragable.
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Il y a un temps pour tout, disait le plus desabuse des sages, L Ecclesiaste. Un temps pour naitre et un temps pour mourir; un temps pour planter et un temps pour deraciner; un temps pour batir et un temps pour demolir; un temps pour pleurer et un temps pour rire; un temps pour aimer et un temps pour hair; un temps pour la guerre et un temps pour la paix.
A ces temps d'actions et d'emotions Olga Tokarckzuk ajoute un temps particulier pour chaque homme et chaque femme, un temps pour les morts, un temps pour leurs ames, un temps pour chaque animal, un temps pour les anges, des temps pour la nature (pour la riviere, le verger, les tilleuls), un temps pour les saintes icones, des temps pour les choses (un moulin a café), un temps pour un jeu (mais a-t-il un temps, ce jeu, ou en fait comprend-il, definit-il tous les temps?). Et tous ces temps melanges tissent la legende d'un hameau, Antan, qui est le centre de l'univers. Comme beaucoup d'autres hameaux en d'autres lieux. Et tous ces temps enchevetres tissent la legende des siecles d'Antan, et plus specifiquement la legende d'un siecle d'Antan, la legende du dernier siecle europeen.


Chaque temps particulier, que ce soit celui d'un personnage, d'un animal ou d'une chose, s'inscrit dans des cycles plus larges, les cycles des jours et des semaines, des saisons, des semailles et des moissons, des naissances et des morts; des cycles de croissance alternant avec d'autres d'atrophie, des cycles eveilleurs d'espoir coupes d'autres hantes d'apprehension, des cycles d'ordre et des cycles de turbulences. Chacun de ces cycles est un monde en soi, different, tous crees par Dieu. Dieu est un, mais il est sujet a differentes humeurs, chacune d'elles creant un autre monde, alterant ainsi le temps ou les temps des gens, des animaux et des choses. Cette connaissance de Dieu et de ses creations sera leguee au chatelain d'Antan par un vieux rabbin juif, avant de disparaitre, comme tous ses coreligionnaires abattus en masse dans les forets des alentours.


Tous ces temps d'Antan sont traites par Tokarczuk comme de petites legendes, qui m'ont rappele d'un cote des legendes hassidiques et d'un autre certaines oeuvres du realisme magique, des legendes qui, juxtaposees, hissent Antan au rang de mythe. Un mythe accole a de plus anciens, bibliques, par les noms de famille adoptes (Seraphin, Cherubin, Divin, Celeste, et quand une femme n'a pas de nom de famille, on l'appellera La glaneuse et elle aura pour fille Ruth). Un mythe ou les adultes se comportent comme des enfants et les enfants comme des adultes; les hommes comme des animaux et les animaux comme des hommes; les morts comme des vivants et les vivants comme des morts; les choses comme des humains et les humains comme des choses. le mythe de la grandeur et misere de l'homme, ses ambitions, ses reves et ses chimeres. le mythe des heurs et malheurs du 20e siecle.


Tokarczuk nous offre la un livre fastueux. Different des autres que j'ai lus d'elle, avec peut-etre le souffle qui caracterisait Les livres de Jakob, bien qu'il ait ete ecrit longtemps avant. C'est un livre que je pourrai relire, sur que chaque relecture sera differente. Ce sera le septieme livre que je tirerai de la malle qui a echoue dans mon ile deserte, car, pour paraphraser L Ecclesiaste: Vanite des vanites, a dit Kohelet, vanite des vanites; tout est vanite! […] Une generation s'en va, une autre generation lui succede, et Antan subsistera perpetuellement.
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«Le temps n'a pas de prise quand l'absence fait souffrir. »
Monique Hangartner

Je viens tout juste de terminer la lecture d'un roman bien étrange et déroutant, un roman à la fois intemporel, suranné et hors du temps, entre le conte philosophique et le récit historique.

Prix Nobel de littérature 2018, Olga Tokarczuk ne m'était pas inconnue. Je l'avais découverte récemment avec son très beau roman « Sur les ossements des morts ».

Ici, le style est très différent, sans humour, assez pessimiste je dois dire, non plus centré sur un personnage mais sur un village, ses alentours, et ses habitants.
Tout au long du roman, j'ai eu cette curieuse impression d'être dans un monde à la fois réel, « obscur, rempli de souffrance, à l'image d'un étang trouble, couvert de lentille d'eau », et en même temps dans un monde factice, clos où le destin de chacun est scellé.
Cet équilibre subtil crée une ambiance très particulière, onirique, poétique, irréelle, mais aussi très authentique par son cadre historique.
*
« Dieu, le temps, les hommes et les anges » raconte l'histoire du petit village d'Antan et de ses habitants à travers les grands moments de l'histoire de la Pologne de 1914 aux années 80.
Le lecteur va suivre ces villageois sur trois générations.

Le roman s'ouvre sur un premier chapitre de toute beauté dans lequel l'auteure décrit le village d'Antan, un village reculé de Pologne, abandonné de tous, où le destin des habitants s'apparente à un jeu de hasard.
« Antan est l'endroit situé au milieu de l'univers… Au pied du moulin, les rivières s'unissent. Elles coulent tout d'abord côte à côte, indécises, intimidées par ce rapprochement tant attendu, puis elles se précipitent l'une dans l'autre et se perdent dans leur étreinte. »

La trame du récit est adroitement conçue.
Le texte, composé de chapitres très courts, voire fragmentaires, agence avec habileté des morceaux de vie des villageois.
L'auteure déploie tout son talent pour décrire des vies ordinaires, et à travers elles, le monde rural, les traditions et les coutumes polonaises.

La vie des hommes est ponctuée par le temps qui les soumet.
Il fait son oeuvre, omniprésent, immuable.
Le temps de naître, de vivre, de jouir de bonheurs simples mais éphémères, de souffrir et de mourir.
L'auteure ébauche ainsi de multiples portraits, sans complaisance, tant dans leur générosité, leurs manques que leur bassesse.
*
« le ciel y était sombre, presque noir ; le soleil, embué et lointain ; la forêt semblait n'être qu'un rideau de piquets nus plantés en terre ; quant à la terre, ivre et chancelante, elle était criblée de trous. Les gens glissaient à sa surface et chutaient dans l'abîme. »

L'auteure donne de la densité à son récit par cette dimension historique. Entre les bombardements, l'envahissement de leur village par les soldats nazis, les exécutions, la déportation des juifs, puis la soumission au régime communiste après le retrait des troupes allemandes, ces villageois sont emportés dans le tourbillon de l'Histoire. La quiétude d'Antan sera bouleversée par cette « invasion d'insectes mortellement dangereux… »

« Faire table rase du passé pour qu'un monde nouveau puisse voir le jour. C'était horrible, mais il fallait qu'il en soit ainsi. »

*
Dieu est présent aussi, mais soumis comme les hommes à la loi du temps. Parfois, capricieux, il s'absente et abandonne les hommes à leur sort.
« L'homme le tente et Il (=Dieu) s'approche furtivement du lit des amants pour y retrouver l'amour. Il s'approche à la dérobée du lit des vieillards et Il y trouve la fuite du temps. Il s'approche à pas de loup du lit des agonisants et Il y trouve la mort. »

Les anges également gravitent autour des hommes, plus vaporeux, détachés du monde physique.
*

Mais le personnage qui m'a le plus interpellé est sûrement le châtelain Popielski.

Pour oublier le monde réel et ses tourments, celui-ci se refugie dans un monde virtuel, celui d'un étrange jeu labyrinthique de huit cercles qui forment un réseau inextricable de chemins avec au centre le village d'Antan. le joueur doit traverser chaque zone pour se libérer des huit mondes.
Ce jeu est peut-être ce qui m'a le plus questionné car même fictif, il a des résonnances dans la réalité.
« Je suis né trop tard, le monde va vers sa fin, tout est fichu. »
*
J'ai apprécié cet effet kaléidoscopique, ces petits bouts de vie qui se croisent sur la ligne du temps, ces destins qui se jouent des désirs humains. La magnifique écriture d'Olga Tokarczuk traduit à merveille tous ces instants de vies qui s'imbriquent pour constituer un tout, sans compromis.
Mais le texte, plus complexe qu'il n'y paraît à première vue, diffuse également un brin de mystère car il prête à de multiples interprétations et amène à de nombreuses réflexions sur les hommes, la vie, le temps qui passe, le destin et la mort.
« L'homme attelle le temps au char de sa souffrance. Il souffre à cause du passé et il projette sa souffrance dans l'avenir. de cette manière, il crée le désespoir. »
*
Au final, c'est un très beau roman, dont l'écriture fluide rend la lecture agréable.
Alternant de multiples récits, l'auteure fait la part belle aux femmes qui se révèlent fortes.

Un roman sombre, original, subtil et intelligent.

Un beau moment de lecture que je dois à HordeduContrevent. Merci Chrystèle pour cette invitation à lire de la belle littérature.
Le titre ne me plaisait pas, mais je dois reconnaître que mes préjugés étaient infondés et injustes.
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Citations et extraits (103) Voir plus Ajouter une citation
Cependant, ne croyez pas, mon frère, que je ne ferais que lire. J’aimerais me rendre utile, et je sais que votre ordre, les réformateurs de Dieu, c’est précisément ce qu’il me faut. Je voudrais améliorer le monde, y réparer tout ce qui est mauvais…
Le religieux se leva, et coupa Isidor au milieu de sa phrase :
—Réparer le monde, dis-tu. C’est très intéressant, mais irréaliste. Le monde ne saurait être amélioré ni rendu pire. Il doit rester tel qu’il est.
—Mais pourtant, vous vous êtes appelés « réformateurs ».
—Ah, tu as mal compris, mon garçon. Nous n’avons pas l’intention de réformer le monde. Nous réformons Dieu.
Un silence passa.
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[Le temps de la chienne Lalka]
Lalka ne pense pas comme Misia ou comme un autre humain. Sous ce rapport, un abime separe Lalka de Misia. Pour penser, il faut avaler le temps, interioriser le passe, le present, l’avenir, ainsi que leurs perpetuelles mutations. Le temps travaille a l’interieur de l’esprit humain, pas a l’exterieur. Dans le petit cerveau canin de Lalka, il n’existe pas de circonvolution, pas de dispositif apte a filtrer l’ecoulement du temps. Lalka habite donc dans le present. C’est pourquoi, quand Misia s’habille pour aller dehors, Lalka a l’impression qu’elle part pour toujours. C’est pour toujours, chaque dimanche, qu’elle se rend a l’eglise. C’est pour toujours qu’elle descend a la cave chercher des patates. Quand elle disparait du champ de vision de Lalka, elle disparait a jamais. Le chagrin de la chienne est alors infini, elle pose son museau entre ses pattes et elle souffre. L’homme attelle le temps au char de sa souffrance. Il souffre a cause du passe et il projette sa souffrance dans l’avenir. De cette manière, il cree le desespoir. Lalka, elle, ne souffre qu’ici et maintenant.
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Jeune, l’être humain est obnubilé par son propre épanouissement, par le recul des frontières : son champ d’activités s’étend du lit d’enfant aux cloisons de la chambre, puis à toute la maison, au parc, à la ville, au pays, au monde. À l’âge d’homme vient le temps de rêver à quelque chose d’encore plus grand. Mais aux environs de la quarantaine survient un clivage. À force de manifester sa puissance, la jeunesse se fatigue. Une nuit, un matin, l’homme franchit la ligne de démarcation, atteint son sommet, esquisse le premier pas de la descente. Survient la question : faut-il descendre fièrement, défier le crépuscule, ou bien tourner son visage vers le passé, s’efforcer de sauver les apparences, prétendre que cette pénombre résulte simplement du fait qu’on a provisoirement éteint la lumière dans la chambre ?
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Le verger a deux temps qui alternent d'une année sur l'autre : le temps des pommiers et celui des poiriers. En mars, quand le sol se réchauffe, le verger frémit, étreint le corps de la terre de ses souterraines pattes griffues, les arbres la sucent comme des chiots, leurs troncs palpitent de sève.
Dans les années de pommiers, les arbres absorbent les eaux acides de rivières souterraines - dotées du pouvoir de changement et de mouvement. Ces eaux recèlent une vertu germinative, suscitent la pression, l'expansion.
Il en va tout autrement dans les années poiriers. Le temps des poiriers, c'est celui du prélèvement dans le monde minéral de sucs doux, celui de leur mariage lent et tendre avec les rayons du soleil dans le corps des feuilles. Les arbres s'arrêtent dans leur croissance et se délectent de la douceur d'être. Sans mouvement, sans expansion. Le verger paraît alors immuable.
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Quand elle circulait dans le verger, Misia songeait avec amertume qu’il n’y avait pas moyen de faire durer la floraison des arbres, que les pétales tomberaient irrémédiablement par terre, les feuilles bruniraient avec le temps et chuteraient à leur tour. Penser que l’année suivante tout recommencerait ne la consolait en rien car elle savait bien que ce n’était pas vrai. L’année suivante, les arbres seraient plus vieux, plus grands ; leurs branches, plus épaisses ; l’herbe, différente ; ce ne seraient plus les mêmes fruits. Cette branche fleurie ne serait plus jamais la même. « Cette lessive-ci ne se répétera jamais, se disait-elle. Et moi-même, je ne serai plus jamais celle que je suis aujourd’hui. »
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Vidéo de Olga Tokarczuk
Avec Catherine Cusset, Lydie Salvayre, Grégory le Floch & Jakuta Alikavazovic Animé par Olivia Gesbert, rédactrice en chef de la NRF
Quatre critiques de la Nouvelle Revue Française, la prestigieuse revue littéraire de Gallimard, discutent ensemble de livres récemment parus. Libres de les avoir aimés ou pas aimés, ces écrivains, que vous connaissez à travers leurs livres, se retrouvent sur la scène de la Maison de la Poésie pour partager avec vous une expérience de lecteurs, leurs enthousiasmes ou leurs réserves, mais aussi un point de vue sur la littérature d'aujourd'hui. Comment un livre rencontre-t-il son époque ? Dans quelle histoire littéraire s'inscrit-il ? Cette lecture les a-t-elle transformés ? Ont-ils été touchés, convaincus par le style et les partis pris esthétiques de l'auteur ? Et vous ?
Au cours de cette soirée il devrait être question de Triste tigre de Neige Sinno (P.O.L.) ; American Mother de Colum McCann (Belfond), le murmure de Christian Bobin (Gallimard) ; le banquet des Empouses de Olga Tokarczuk (Noir sur Blanc).
À lire – Catherine Cusset, La définition du bonheur, Gallimard, 2021. Lydie Salvayre, Depuis toujours nous aimons les dimanches, le Seuil, 2024. Grégory le Floch, Éloge de la plage, Payot et Rivages, 2023. Jakuta Alikavazovic, Comme un ciel en nous, Coll. « Ma nuit au musée », Stock 2021.
Lumière par Valérie Allouche Son par Adrien Vicherat Direction technique par Guillaume Parra Captation par Claire Jarlan
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