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Critique de LesPetitesAnalyses


L'air peine à se rafraîchir quand la pénombre envahit Madrid. le dernier employé sort par une porte dérobée sur la Plaza Murillo et les effluves ne trompent personne sur l'heure du dîner; cela sent l'épicé, la friture, la tomate. Au musée du Prado, le conservateur n'a pas encore faim. Tel un rituel, il s'installe dans la salle où est accroché le célèbre triptyque de Jérôme Bosch: le Jardin des délices. Une oeuvre magistrale où chacune des trois parties vient nourrir la suivante afin que l'ensemble crée une véritable histoire.

On pourrait attribuer ce même terme de triptyque à trois nouvelles de Tolstoï: le Bonheur conjugal, la Sonate à Kreutzer ainsi que le Diable. Des écrits qui s'alimentent les uns les autres autour d'un thème commun – le couple – et qui mettent en lumière la vie de l'écrivain russe dans son rapport pratique à la religion chrétienne.

La nouvelle “Le Diable”, dont il est question ici, va un pas plus loin que ses consoeurs quant aux descriptions de l'amour physique. Tolstoï se met dans la peau d'un jeune homme qui a des rapports sexuels fréquents avec une paysanne. Certes nous somme loin d'une d'histoire érotique ou pornographique mais l'écrivain russe effleure la sensualité quand il décrit la relation entre Eugène Irténiev et Stépanida:

« Il sentait qu'il marchait dans le jardin, et il se disait qu'il réfléchissait à quelque-chose, mais il ne réfléchissait à rien, il attendait follement Stépanida, il attendait que par une sorte de miracle elle comprenne à quel point il la désirait, que brusquement elle vienne ici ou en un autre endroit où personne ne les verrait, ou bien encore par une nuit sans lune, où personne ni elle-même ne verrait rien, qu'elle vienne par une telle nuit, et qu'il touche son corps »

Tolstoï met le doigt sur ce qu'on appellerait aujourd'hui… « un plan cul ». A l'instar de la Sonate à Kreutzer, le narrateur se retrouve face à un dilemme dont il a bien du mal à s'extraire. L'amour passion ou l'amour de raison? le plaisir sexuel ou le sexe uniquement pour procréer ? le couple reconnu socialement ou l'illégitime ? La richesse ou la paysannerie ? Dieu ou le Diable? En soulignant ces contradictions Tolstoï en fait ressortir l'origine de l'époque: La religion chrétienne, celle qui déteste le corps et les femmes.

Le Diable, parachevé en 1909, soit peu de temps avant la mort de Tolstoï, est l'écrit de Tolstoï où l'on sent l'auteur russe venir se heurter au plafond de verre de ses réflexions sans jamais arriver à le faire voler en éclats.

En prenant pour exemple la vie du personnage de fiction Eugène Irténiev, nous pouvons remarquer que la morale tolstoïenne fait un aveu de faiblesse. Face à son problème, le narrateur ne voit que le suicide ou le meurtre comme seules solutions possibles. En passant d'un extrême à l'autre, Irténiev fait l'impasse sur des solutions rationnelles car celles-là nécessitent un choix, une prise de responsabilité humaine. Mais comment arriver à des choix heureux et raisonnés quand on pose pour toute prémisse que Dieu est au dessus de tout?

Le Diable restera cette nouvelle où la morale tolstoïenne montre sa propre limite. Tolstoï pouvait tout penser, tout écrire, à condition de ne pas vraiment remettre en question Dieu. Il en va de même de certaines contradictions dans sa vie: ou comment penser l'abstinence sexuelle … mais, quand même, avoir treize enfants (sic)

Enfin, il n'en reste pas moins que le triptyque le Bonheur conjugal, la Sonate à Kreutzer et le Diable mérite d'être lu dans cet ordre tel le conservateur du musée scrutant, de gauche à droite, le tableau du Jardin des délices.
Lien : https://lespetitesanalyses.c..
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