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Critique de PatriceG


Nous sommes en janvier 1905, une pétition de 135000 ouvriers de Saint-Pétersbourg est adressée au Tsar :
"Nous travailleurs de Saint-Pétersbourg, nos femmes, nos enfants et nos parents, vieillards sans ressources, sommes venus à toi, ô Tsar, pour te demander justice et protection. Nous sommes réduits à la mendicité. Nous sommes opprimés, écrasés sous le poids d'un travail épuisant, abreuvés d'outrages. Nous ne sommes pas considérés comme des êtres humains, mais traités en esclaves qui doivent subir en silence leur triste destin"

Les ouvriers arrêtent les machines et la grève devient générale.
La capitale est alors paralysée, et le dimanche 22 janvier 1905, les manifestant convergent vers le palais d'Hiver.

Toutes leurs doléances ont été jusque là rejetées au niveau des entreprises, elles portent sur des conditions de travail désastreuses, des salaires de misère, sur les maladies, les intempéries. On leur oppose la loi qui les expose à la prison et à l'exil.

On voit déjà que cette première révolution sera une révolution ouvrière et non paysanne à la base, même si elle prétendra représenter tous les "dépossédés" de la Russie.

Le cahier de doléances ne sera pas moins un cahier de renversement complet des valeurs, auquel on peut s'en douter Nicolas II opposera une fin de non recevoir. Qui n'adhérerait pas à cette pétition avec ses mots si justes. En revanche le cahier révolutionnaire qu'elle sous-tend est un casus belli, et naturellement la loi va rester la loi. le choc aura lieu, profitera au plus grand nombre, le temps des belles espérances : trop beau pour être honnête. Tout ça d'un coup, ça sent la conspiration !

Le choc aura lieu, pourtant avec une lueur d'espoir cependant en ce Georges Gapone en tête de cortège qui fut influencé par les idées de Tolstoï. Il sera alors le porte parole de tous les déshérités de la sainte Russie sans idées fratricides. Les choses sont encore possibles ! le cortège des "humbles travailleurs" file sur le palais d'Hiver, on y voyait même des portraits à l'effigie du Tsar. Dans cette manifestation, il y aura des femmes et des enfants. Nicolas II ne veut pas de cette rencontre forcée, il fait bloquer leur ascension. La charge des troupes du Tsar sera terrible, plusieurs centaines de morts, et autant de blessés. Au sol des enfants, des femmes, des hommes morts sans avoir combattu : c'est le fameux Dimanche rouge ! La Neva charriera du sang des braves travailleurs. le brave prêtre Georges Gapone sera tué à Saint Pétersbourg le 6 mars 1906, par des gens du parti socialiste révolutionnaire qui l'accusèrent, à tort, d'être un traître à la solde du Tsar. Encore un élément troublant dans cette histoire !

Charger son peuple, n'est jamais ce qu'on fait de mieux. Cette infamie dépassera toutes les autres..

Cette révolution est capitale car elle sera irréversible et aboutira au nouvel ordre que l'on sait. Elle sera confisquée. On a dit qu'un certain nombre d'intellectuels et d'artistes avaient favorisé la révolution, soufflé sur la braise. Autrement dit ne pas avoir eu la lucidité d'en prévoir les conséquences qui furent assurément plus désastreuses pour le genre humain que l'ancien régime tsariste. En tout cas, Léon Tolstoï n'est pas de ceux-là : il voulait réformer certes, avec ou sans le Tsar qui signifiait l'immobilisme pour les paysans et les ouvriers, il ne voulait surtout pas quitter la proie pour l'ombre et se méfiait des révolutionnaires de tout poil (lire Lettre à un révolutionnaire) qui voulaient abolir un système pour un autre plus dangereux encore ..

Pour la petite histoire (littéraire), le prêtre Georges Gapone, comme c'est induit plus haut, échappera à ce massacre et se réfugiera chez Maxime Gorki. le lien sacré du Tsar protecteur avec son peuple est désormais rompu.

Tolstoï est alors consulté : "une conscience au dessus de la mêlée". Sa voix est attendue de partout : il entre dans la danse, si tant est qu'il l'a quittée un jour. Voici ce qu'il va dire à la presse française,anglo-saxonne :
"Cette opinion, je vais vous la dire : elle n'a, hélas ! jamais varié. Voyez-vous. Je n'ai jamais été, et je crois que je ne serai jamais, pendant les quelques jours que je puis avoir encore à vivre, d'aucun parti. Je ne puis ni avec l'autocratie ni avec la révolution, car toutes deux sont partis de violences et me répugnent autant l'une que l'autre. Il est aussi affreux et aussi abominable de voir des soldats qui tirent sur des gens sans armes, qu'un homme qui jette une bombe sous une voiture .."

Le ton est admirable et juste, sa lucidité est à son maximum, et sa connaissance, son expérience du monde des hommes est à maturité et grave ses bonnes paroles dans le marbre de l'humanité.

Deux ou trois points de sa doctrine rappelée à l'occasion mérite une attention toute particulière, car j'ai lu un peu n'importe quoi à ce sujet :
"- Non, obtenir une Constitution, une Assemblée nationale et quelques droits individuels, importer les institutions politiques des démocraties occidentales, tout cela ne conduit pas le peuple à la liberté et ne supprime pas les causes de l'oppression sociale : "L'Angleterre et l'Amérique exploitent tout autant le peuple que les classes dirigeantes russes, même si elles le font par d'autres moyens.
-Non, les citadins libéraux ou socialistes qui prétendent parler au nom du peuple ne le représentent pas. Ils ne sont qu'une minorité, très éloignées des préoccupations de la majorité paysanne. En vérité, la population ne considère pas la journée de huit heures ou la liberté de la presse comme des priorités, elles ne se sent pas concernée par les réformes portées par l'intelligentzia. Ce que les paysans désirent avant tout, c'est l'affranchissement de la terre : mettre fin à l'inique propriété foncière, pour que le sol revienne à ceux qui le cultivent.
- Oui, la véritable libération du peuple passe par cet affranchissement de la terre. Et ce n'est pas l'émeute, le pillage ou l'activité des socialistes dans les assemblées qui permettront de l'obtenir, mais le perfectionnement individuel, la non-participation au mal, le refus d'obéissance. Tout pouvoir d'une minorité reposant sur la servitude volontaire de la majorité, c'est à chacun qu'il revient de ne plus collaborer à son propre asservissement : ne plus s'échiner pour les propriétaires fonciers et les exploiteurs, ne plus servir le gouvernement et l'armée, ne plus soutenir un système qui se nourrit de la docilité générale. Alors les paysans, qui constituent l'essentiel du peuple russe, pourront répondre à leurs besoins, s'entraider et s'organiser dans les communes en se passant du gouvernement. de tout gouvernement, qu'il s'agisse d'une monarchie absolue ou d'une république parlementaire."

J'ai trouvé que cette doctrine avait bien des aspects modernes, à considérer les problèmes sociaux d'aujourd'hui dans nos pays occidentaux.

Cette farouche indépendance exaspère certains révolutionnaires. Maxime Gorki somme Tolstoï de choisir son camp..

C'est absolument loufoque ! Comment Gorki peut-il sommer Tolstoï de choisir son camp ? C'est l'hôpital qui se moque de la charité ! Cette duperie ne peut évidemment échapper à qui suit l'affaire ; et évidemment Tolstoï n'a cure des appels de Gorki. Personne n'a jusqu'à présent fait infléchir la volonté indépendante et anarchiste de Tolstoï, hormis Dieu et peut-être ce parasite de Tchertkov !
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