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Critique de enjie77


Il y a 63 ans, le 23 juillet 1957, Giuseppe Tomasi di Lampedusa décédait à l'hôpital sans être parvenu à convaincre deux éditeurs de publier son unique roman qui se verra attribuer, un an après, à titre posthume, le Prix Strega.

C'est donc avec beaucoup d'attention que je rédige ces quelques modestes lignes eu égard à ce chef d'oeuvre de la littérature italienne et à tous ses acteurs qui ne sont plus et qui nous ont précédés.

« Nous fûmes les guépards, les lions ; ceux qui nous remplaceront seront les chacals et les hyènes ».

C'est en ces termes que s'exprime Don Fabrizio, totalement désabusé, devant les inévitables changements sociétaux qui se préparent, engendrés par la période du Risorgimento.

C'est avec tristesse que j'ai refermé ce livre écrit par Giuseppe Tomasi di Lampedusa qui s'est inspiré de la vie de son arrière grand-père, Giulio Fabrizio di Lampedusa, tout en lui prêtant ses propres réflexions. L'écriture classique est très raffinée, on sent l'homme lettré, cultivé. Il y a de très belles pages, notamment un fragment sur le chien Bendico (mon côté SPA ou BB). Personnellement, j'ai ressenti qu'une émotion se dégageait de l'écriture de l'auteur. Elle se diffuse tout au long de la lecture. L'auteur a dû certainement beaucoup admirer ou idéaliser son aïeul, c'est ce qui émane de la lecture. Giuseppe a toujours rêvé d'écrire sur la vie de son arrière grand-père avec, pour toile de fond, cette période extrêmement féconde en bouleversements qu'est le Risorgimento et pour l'aristocratie italienne, une forme de banalisation de leur position, avant de parvenir à l'unification de l'Italie contemporaine.

Le récit débute avec le débarquement, en mai 1860, de Garibaldi à Marsala afin de conquérir la Sicile pour la rattacher au Royaume de Piémont-Sardaigne. L'unification de l'Italie progresse sous l'autorité du Roi Victor-Emmanuel de Savoie. L'ombre de la Révolution française plane encore au-dessus des têtes de l'aristocratie italienne. Mais Don Fabrizio tente de se préserver de cet avenir incertain, en se passionnant pour les mathématiques, l'astronomie ; les étoiles lui parlent, il se sent apaisée sous la voûte étoilée comme il apprécie la chasse en compagnie de l'organiste, Ciccio Tumeo et des chiens.

Mais l'Histoire bouscule les indécis sur son passage. Et le désordre s'incarne en la personne de son neveu, noble désargenté mais très ambitieux, audacieux, Tancredi Falconeri dont il est le tuteur légal. Ce dernier s'est engagé dans les troupes garibaldiennes afin d'être au plus près des évènements. Il justifie sa décision par cette phrase marquante du récit :

« Si nous ne sommes pas là nous non plus, ils vont nous arranger une république. Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change. Est-ce clair ? ».

Tancredi préserve son intérêt personnel avant tout. C'est toujours dans cette optique qu'il épouse la très belle Angelica, fille du maire Calogero Sedara, lui-même en pleine ascension sociale, richissime, symbole de la nouvelle classe sociale émergeante « les nouveaux riches ». Bien que les conventions, l'éducation, la culture soient à mille lieues des codes de la noblesse, qu'importe, tout s'apprend même si le côté parvenu incommode parfois.

Giuseppe Tomasi di Lampedusa dépeint avec réalisme, l'atmosphère de ces magnifiques palais siciliens. On imagine aisément ce prince au port altier, grand, dépassant d'une tête tout son entourage, coléreux aussi, pouvant parfois effleurer de sa tête les lustres placés chez le commun des mortels, se promenant dans le palais de Donnafugata chargé du passé de cette illustre famille. La tête se lève, le regard scrute le plafond vers les fresques qui représentent les divinités, cet Olympe d'où « descend » la famille Salina et dont l'emblème est le Guépard.
On croit entendre le frottement des robes de soie des jeunes femmes qui se déplacent et remettent les plis de leur robe en place.

C'est la Sicile, écrasée sous le soleil, qui luit sous nos yeux avec son tempérament insulaire, sculpté par les invasions successives auxquelles elle a dû faire face mais c'est aussi la misère dans les rues, derrière les murs lépreux où s'entassent des mères en deuil, inquiète pour la santé de leurs enfants tant l'insalubrité est présente et des animaux faméliques qui cherchent la nourriture dans les détritus qui jonchent les rues.

Et pourtant, ce Prince, je l'ai compris, je m'y suis attachée, j'ai éprouvé ses regrets, ses tourments, lui qui voit, pressent, son monde s'écrouler sous ses yeux, le déclin de celui-ci entraînant la fin de certaines valeurs, d'une façon de vivre voire d'un art de vivre. Cet avenir inconnu que réserve-t-il à cette noblesse ? Toujours cette Révolution française qui plane dans l'atmosphère.
Don Fabrizio partage avec nous, ses méditations sur la mort, son désenchantement. « La mort d'un monde donne la vie à un autre ». Il lui faut accepter la perte de ses repères et son cortège d'angoisses, le temps que d'autres références deviennent habitude, une manière de lâcher-prise. le dernier chapitre sur les reliques du temps passé comme la symbolique du geste accompli par Concetta, la fille de Don Fabrizio, est poignant et cruel.

Roman sur le temps qui passe, l'auteur nous offre une fresque remplie de nostalgie. Giuseppe Tomasi devient un auteur de la mémoire. Il se range au côté de Zweig, Maraï, Roth pour nous offrir une image d'une époque révolue.
C'est donc ce futur qui défile sous nos yeux depuis 1860 jusqu'à 1910. le roman est construit sur plusieurs séquences et pour bien suivre l'Histoire de cette famille qui se confond avec l'Histoire de l'Italie, il est utile de tenir compte de la date de chaque chapitre pour mieux appréhender le contexte.
L'écriture est très agréable mais par moment, le sens des réflexions de Don Fabrizio me devenait abscons, je serais incapable d'expliquer ce que Don Fabrizio reproche aux siciliens.

Je terminerai par cet encart de Paris-Match : il a attendu la soixantaine pour le faire. Se savait-il malade ? Il est pris de frénésie en remplissant ses pages. Il les propose à de nombreux éditeurs qui tous refusent le manuscrit. Lorsque sa femme reçoit la lettre enthousiaste de Feltrinelli – l'éditeur qui révéla « le Docteur Jivago » - grâce à un lecteur – éditeur d'exception, Georgio Bassani, futur auteur du chef d'oeuvre, le Jardin des Finzi-Contini. Il repose depuis trois semaines au cimetière de Palerme près de son aïeul et héros.
Avoir Georgio Bassani comme protecteur, ce roman possédait déjà les atouts d'une destinée exceptionnelle et comme protectrice « michfred » ce qui lui prédit une longue vie parmi les lectrices et lecteurs.
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