Citations sur Dino. : La belle vie dans la sale industrie du rêve (10)
Et dès le début, il (Jerry) fut impressionné également par le sens inné de la comédie de Dean. Pour Dean le monde était une blague obscène et il semblait en prendre conscience à chaque respiration. (...) Il n'avait pas seulement le sens de l'humour, il avait un sens de l'humour qui s'appliquait à tous les gens et à toutes les choses qui l'entourait.
Les artistes de music-hall étaient comme l'alcool, comme mes machines à sous et toute cette merde entassée dans l'entrepôt de Longie : un moyen supplémentaire pour un club de piquer du fric aux pigeons.
« Les gens travailleront davantage, ils mèneront des vies plus morales. Les valeurs seront rajustées, les plus entreprenants récupéreront les vestiges abandonnés par les moins compétents. »
La jeunesse de Dino, ne serait-ce que dans son souvenir, fut idyllique. Jamais il ne chercherait à l’enjoliver en y ajoutant de dures épreuves romantiques. « Je n’ai pas été obligé de vendre des journaux dans la rue pour aider mes parents. Mon père, déclarait-il avec fierté, était un coiffeur très demandé. Chez nous, les Crocetti, on ne manquait de rien. J’avais une bicyclette. On avait une voiture et on mangeait bien. Ma mère était la plus grande des cuisinières. »
À contrecœur, il apprit l’orthographe des mots, car ne pas apprendre signifiait se retrouver à la traîne et refuser d’apprendre encore et toujours, ce qui serait plus insupportable que d’apprendre, d’oublier et de passer à autre chose. Et ça continua ainsi, jusqu’au moment où vous n’appreniez pas seulement l’orthographe de la pomme, mais aussi du ver qui était à l’intérieur ; jusqu’au moment où vous additionniez une pomme avec une autre pour en avoir deux, puis vous divisiez les deux par deux et vous vous retrouviez avec une seule pomme. Au point que lorsque la bonne sœur au catéchisme commença à parler d’Adam et Ève et de la pomme, Dino se représenta cette pomme comme celle qui était responsable de toute cette orthographe, ces additions, ces soustractions et divisions. Il y voyait le symbole du péché, de la chute. Dieu avait dit à Adam et Ève de manger tout ce qu’ils voulaient, sauf la pomme de l’arbre de la connaissance. Mais non, ça ne leur suffisait pas de manger ; ils voulaient la connaissance en plus, ces imbéciles, ils ne voulaient pas seulement manger, ils voulaient écrire ce qu’ils mangeaient, le diviser, l’additionner et le soustraire également. Voilà quel était le véritable péché originel. Et il en payait encore les conséquences aujourd’hui, avec toute cette orthographe, cette arithmétique cinq jours par semaine, plus les histoires de pomme du dimanche matin par-dessus le marché.
le petit livre de l’école recelait un mystère, pour qui la prononciation rituelle de ces mots, si différente de celle de son père ou de ses oncles, ressemblait au plaisir tumultueux d’un voyage en bateau qui l’emmenait loin d’ici. Dino, lui, ne voulait pas en entendre parler. Pour lui, une pomme n’était pas une poignée de lettres ou un crétin qui dessine dans un vieux bouquin moisi. Une pomme, c’était une chose qui se mangeait. L’orthographe n’avait rien à voir là-dedans. Son père disait une mela. Son professeur appelait ça une pomme. Son père aussi parfois, sauf que dans sa bouche ça devenait une pommela. Mais quel que soit le nom qu’on lui donne, la manière dont on l’écrive, c’était toujours la même chose.
Il n’avait jamais vu un ciel si vaste et terreux, habité par une fureur vide ; jamais il n’avait entendu pareils grondements sinistres et incessants, pareils hurlements assourdissants. C’était comme si le désespoir, ce plus humain de tous les états, avait pris l’ampleur d’une existence séparée de l’humanité, car ce n’était pas un sentiment de désespoir humain qu’il percevait ici, ni un quelconque désespoir céleste – il n’y avait pas de ciel – mais plutôt le désespoir des éléments eux-mêmes, de la terre et des feux de charbon, de l’humidité de l’air. Il avait imaginé le creuset au cœur de l’Amérique comme un gigantesque scintillement majestueux sous le soleil, comme le bouclier d’Énée dans le livre de contes, cent fois plus grand. Il avait imaginé un tas de choses. Comme lui avait dit son père, il y a longtemps : « Rêve dans une main, chie dans l’autre, et regarde quelle main est pleine. »
Ce que Carnegie l’immigrant avait réussi en Amérique façonna le rêve de tous ceux qui vinrent par la suite. Certes, se disaient-ils, c’était un Écossais, et les Écossais étaient de sales radins qui rangeaient leur porte-monnaie où ils auraient dû ranger leur queue, mais ces nouveaux venus ne réclamaient pas des millions, ils voulaient juste, comme disaient les Siciliens, fari vagnari u pizzu, tremper leur nez. Après un certain temps dans ce pays, les pieds tendres découvrirent la vérité. L’inspiration du rêve et sa Némésis ne faisaient qu’une ; pourvoyeuse et destructrice. L’ennemi du travailleur était celui qui le payait, celui sans qui il périrait. Ainsi allait le monde après tout, l’ancien comme le nouveau. Aucun rêve ne changerait jamais cela, aucune American Federation of Labor ne transformerait en véritable pouvoir l’accumulation de l’impuissance et de l’insignifiance des rêveurs.
L’acier avait libéré le nègre, il l’avait élevé, au nom de Dieu, du rang d’objet à celui d’esclave salarié ; il fit venir à sa place le nouveau nègre – le boche, le polak et le rital (en 1870, leur nombre dépassa celui de leurs prédécesseurs) – dans la mine de la liberté. La statue de Stanton se dresserait un jour devant le Jefferson County Courthouse dans Market Street, mais en 1871 ce fut l’argent de l’acier qui construisit ce tribunal et étendit les limites de la ville.
Leur existence s’appauvrissait chaque année, à mesure que la lire de la terre perdait de sa valeur face à la lire des usines. Le Sud dépérissait, il devenait une terre oubliée, un mendiant à la porte de l’industrie et de la richesse florissantes du Nord.