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Critique de fbalestas


Disons-le tout net, je ne suis pas un fan de Jean-Philippe Toussaint. J'ai lu sa trilogie, je lui reconnais un style, mais souvent je m'ennuie un peu.

Ici, le récit commence lorsque le narrateur arrive en Chine pour le tournage de son film The Honey Dress – ceux qui connaissent l'auteur connaissent déjà l'histoire : un mannequin défile avec une « robe d'abeilles », un essaim virevoltant autour d'elle, mais qui finit par la piquer et l'anéantir – un film qu'il va comme d'autres tourner dans un pays dont il ne maîtrise pas la langue. Toussaint est un habitué de la Chine où il a déjà tourné ses trois films précédents.

On pourrait ne voir, au premier abord, que les tribulations de notre narrateur-auteur à la recherche de son lieu de tournage, puis de l'actrice qui va porter la robe de miel, puis de l'apiculteur s'occupant des abeilles, façon Tintin au Tibet.
On y découvre le personnage de Chen Tong, avec qui il a noué une amitié datant de 1999. Une amitié étrange à cause de la barrière de la langue mais immédiate et sincère, il faut dire aussi que chinois n'est pas n'importe qui, c'est l'éditeur chinois de Robbe Grillet - son premier livre publié, Miroir qui revient, publié à ses frais – et on va croiser des amoureux de la littérature, comme Jérôme Lindon des éditions de Minuit.

Mais la thématique principale du livre est ailleurs.
Je vois dans « Made in China » une réflexion sur la fiction, sur sa construction, comme celle d'un film, une réflexion sur le rapport au temps aussi, sur ce qui se joue dans le temps de l'écriture de la relecture et de la re-relecture.
Le passage le plus intéressant selon moi se trouve dans les pages 76- 81.
« le sujet de mon livre, c'est le hasard dans l'écriture, c'est la disponibilité au hasard que requiert toute création artistique, aussi bien le livre que je suis en train d'écrire que le film que je m'apprête à tourner dans les prochains jours.
Lorsque j'écris « dans les prochains jours », comme je viens de le faire à l'instant, je sous-entends un présent de référence, qui ne peut être en l'occurrence que celui du soir de mon arrivée à Guangzhou pour tourner The Honey Dress (…) mais j'ai bien conscience qu'il y a d'autres « présent » dans ce livre »

« La probabilité qu'un livre achevé ait été écrit exactement comme il a été écrit est quasi nulle », dit-il aussi. C'est donc une réflexion sur le processus de création, la place du hasard, sur toutes les potentialités possibles écartées au fur et à mesure. En lisant cette phrase : « On aurait pu faire un autre choix, prendre une autre décision, et la vie alors, ou le livre se seraient engagés dans une autre direction, on pense à un autre livre récent, « 4, 3, 2,1 » de Paul Auster, qui traite justement de différents scénarios que la vie peut prendre.

« Ce que je peux faire, ce sur quoi je peux agir, c'est accueillir le hasard, le laisser entrer dans les pages de mon livre ou la réalisation de mon film, et non le rejeter, comme s'il constituait une menace pour la toute-puissance de mon statut de créateur. »
Il me semble que ce sont là les pages les plus intéressantes de « Made in China », et peut-être que la fascination que l'auteur produit sur son ami chinois Chen Tong et sur ses collaborateurs vient-elle de là, un respect pour l'aura de créateur qu'il dégage, une acceptation d'office de toutes ses excentricités (trouver un apiculteur à proximité est une véritable gageure, mais dans les films précédents Chen Tong a déjà dû trouver un cheval ou un Boeing pour des tournages aussi rocambolesques).

On peut voir les quelques 180 pages tout autour comme un habillage de cette réflexion, une sorte de corset comme celle que va porter cette mannequin ukrainienne pour symboliser la robe de miel, et s'en tenir là, tout en se laissant bercer par la vidéo finale qui nous est proposée à la dernière page, et que vous pouvez, comme moi, vous laisser bercer par la musique qui l'accompagne et voir ce court-métrage comme le point d'aboutissement de ce « Made in China » : honey.jptoussaint.com

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