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Critique de HordeDuContrevent


Quand un livre vous harponne l'âme…Coup de coeur !

Ce premier roman d'une jeune auteure de 24 ans, Perrine Tripier, me rappelle ces romans du terroir à l'écriture ciselée, ceux de Pierre Bergounioux notamment, ces romans qui magnifient la nature en en soulignant toute la sensorialité, ceux de Jean Giono par exemple, ces romans à la fois naturalistes et réalistes, ceux de Colette entre autres. Une prose poétique, une figure de femme singulière à la fois indépendante et fragile, une maison personnage à part entière du livre, tels sont les ingrédients de ce roman à l'ambiance surannée et bucolique.
C'est un véritable coup de coeur, une vraie claque quand on pense à l'âge de l'auteure, je suis sincèrement impressionnée…Chaque page chante et est remplie de mille et une sensations, le phrasé est exquis, frais, splendide, équilibré, jamais lourd. de la dentelle, voilà ce que nous offre cette très jeune auteure vraiment prometteuse !

Les guerres précieuses sont ces efforts salvateurs, ces combats quotidiens, visant à garder intactes nos racines. Elles sont constituées des souvenirs à raviver et partager, des liens avec la nature et les saisons à entretenir, et éventuellement de la maison d'enfance à sauvegarder de la décrépitude et de l'oubli. Ces guerres précieuses sont-elles vaines, le temps de l'enfance étant une parenthèse, un temps suspendu qu'on ne retrouvera plus ? N'est-ce pas devenir adulte de non pas couper mais prendre de la distance un tant soit peu avec nos racines ? La guerre menée par Isadora dans ce livre m'a bouleversée… Que reste-t-il des printemps, des étés, des automnes et des hivers de l'enfance ? La guerre précieuse n'est-elle pas guerre dangereuse ?

« Je me souviens d'avoir désiré que le bleu du ciel imprègne tant mes iris qu'ils en deviendraient tout azurés, tout lumineux de soleil, et je m'aveuglais en vain, noyant désespérément mes pupilles d'éther incandescent ».

Hantée par son enfance et la vie familiale avec ses deux soeurs et son frère, cette femme, Isadora, décide de passer toute son existence dans la grande maison dans laquelle elle a grandi. Un lieu qui la harponne. Alors qu'elle est désormais très âgée, se « laissant patiner par le temps exactement comme la rampe de l'escalier en colimaçon », et contrainte de finir ses jours dans une maison de retraite, elle nous entraine dans ses souvenirs au gré des saisons, au gré des années, chapelet dont elle égrène les boules irisées d'une main tremblante. Chaque souvenir convoqué est une aquarelle aux tonalités sépia dont elle nous fait sentir avec émotion les aplats de couleur, la tessiture des sons, la granularité des odeurs, avec une forme de sensualité, ou plutôt une certaine animalité, donnant à voir des tableaux totalement envoutants, immersifs, qui convoquent, enfoui en chacun de nous, notre propre vécu.

« Nous laissions les journées s'écouler comme un filet de lumière liquide. C'était le temps précieux des heures élastiques, des matinées évanescentes, des après-midi infinies ».

Lorsque IIsadora nous prend par la main pour nous entrainer dans son enfance, j'ai éprouvé immédiatement une certaine fascination. C'est une enfance rêvée, en tout cas qui représente pour moi un idéal, celui dont je rêvais moi-même enfant, je me souviens. Une enfance faite de connivence avec la fratrie et les cousins, de liberté dans un domaine enchanté, de rires et de secrets murmurés, de cavalcades dans les couloirs, d'échappées dans les bois, de cabanes dans les arbres, d'histoires racontées dans le grenier, de malles à jouets remplies. Une enfance de rêve dans une maison, la Maison de l'enfance, qui l'est tout autant : Une Maison imposante, haute, aux planches de bois blanc, blottie entre de grands sapins bleus et des érables. Une Maison « avec les colonnes de bois sculpté encadrant la porte d'entrée, glacée d'un vernis chaud de caramel solide, et le vitrail de fleurs entrelacées qui laisse filtrer, quand le soleil brillait au travers, des éclats de couleur dans le hall. Peint d'immenses treillis de feuillage tropical, le hall luisait d'un doux bleu. Là s'élançait l'escalier en colimaçon, dans un tourbillon de bois cuivré ». La Maison familiale fantasmée. Immense, avec une forêt, un potager, un étang entre les joncs et des libellules pleins les nénuphars.

Isadora va tout sacrifier pour rester dans cette Maison, elle va même refuser une demande en mariage, et deviendra petit à petit la seule gardienne de ce temple familial et des souvenirs d'enfance, seule et isolée dans cette maison qui, malgré sa présence, va devenir une masure glaciale et décrépie, un peu à son image il faut dire, les deux semblent se fondre progressivement l'une dans l'autre.

Rarement un premier roman m'aura autant émerveillée, m'aura autant réjouie mais aussi autant fait mal.
Chapeau bas Perrine Tripier pour cet enchantement qui a le don de convoquer l'enfance rêvée mais aussi l'angoisse de la solitude et de la vieillesse en chacun de nous !

Un immense merci à @Afleurdelivres à qui je dois, décidément ces temps-ci, un certain nombre de mes lectures…


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