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Splendide ! Immense coup de coeur et en même temps coup d'cafard. J'ai rarement lu un premier roman aussi beau. Il me hante encore autant que cette Maison d'enfance, personnage central du roman, hante la narratrice. « il est des lieux qui vous harponnent. Qui enroulent leurs mailles autour de vos songes, qui ajustent leurs griffes, juste assez pour vous laisser grandir, mais avec dans votre chair la meurtrissure de leur emprise. Il est des portes dont le bruit quand on les pousse est comme un cri du temps qui brise encore l'oubli. Il est des escaliers dont on aimerait tant gravir à nouveau les marches, juste une fois, en laissant couler dans sa paume le poli froid de la rampe». Ce récit poétique et mélancolique m'a bouleversée. Des passages vous nouent la gorge et en même temps une féérie se dégage de ce récit difficile à expliquer tant il touche à l'intime, à l'originel. La Maison si familière était une matrice protectrice où Isadora la narratrice coulait en famille des jours heureux et insouciants. Aujourd'hui vieille et désillusionnée elle se souvient. Contraindre par l'âge d'abandonner la Maison à laquelle elle est viscéralement attachée et a tout sacrifié. Navigant entre désillusion et amertume, de sa mémoire tristement imparfaite rejaillissent comme par fondus enchaînés les images de la Maison délabrée, vidée, superposées à celles flamboyantes, grouillantes de vie du passé, clichés couleur sépia d'un monde qui n'est plus et que seule la mémoire et quelques photos ressuscitent. Entre nostalgie de sa jeunesse et détestation de sa vieillesse elle empreinte le flot du temps à contre-courant pour déjouer l'oubli convoquant ses souvenirs de façon forcenée avec le désir brûlant de tout revivre, livrant ce qu'elle y a vécu, ce qu'elle y a laissé. Marquée par un deuil impossible, « s'accrochant à ses ombres » elle invoque la présence des morts avec grâce et émotion.
Perrine Tripier prend par la main notre enfant intérieur et l'emporte avec elle vers un passé tourbillonnant de rires, d'odeurs, de cavalcades en pleine nature, de cabanes et malle à jouets au milieu de sa fratrie, des cousins, des parents, dans la Maisonnée d'enfance Sur la fin seule gardienne du temple familial, éloignée des siens, elle erre dans les couloirs froids telle peau d'âne recluse dans sa masure « Je marchais à pas lents de bout en bout dans la Maison, et la traîne de fourrure me suivait comme un lourd serpent louvoyant. Bêtes fauves, bois de camphre, pin qui brûle et pain qui fume, j'emplissais la Maison de chaleur et de lumières. J'en étais la force vitale, l'organe palpitant dans un thorax de charpentes et de pignons. » le récit descriptif mais aussi métaphorique des étés animés puis des hivers solitaires dans son « palais de glace » est d'une beauté inouïe.
Merci à Perrine Tripier avec ses mots enchanteurs de m'avoir fait du mal, de m'avoir du bien. Splendide je vous dis.
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Quand un livre vous harponne l'âme…Coup de coeur !

Ce premier roman d'une jeune auteure de 24 ans, Perrine Tripier, me rappelle ces romans du terroir à l'écriture ciselée, ceux de Pierre Bergounioux notamment, ces romans qui magnifient la nature en en soulignant toute la sensorialité, ceux de Jean Giono par exemple, ces romans à la fois naturalistes et réalistes, ceux de Colette entre autres. Une prose poétique, une figure de femme singulière à la fois indépendante et fragile, une maison personnage à part entière du livre, tels sont les ingrédients de ce roman à l'ambiance surannée et bucolique.
C'est un véritable coup de coeur, une vraie claque quand on pense à l'âge de l'auteure, je suis sincèrement impressionnée…Chaque page chante et est remplie de mille et une sensations, le phrasé est exquis, frais, splendide, équilibré, jamais lourd. de la dentelle, voilà ce que nous offre cette très jeune auteure vraiment prometteuse !

Les guerres précieuses sont ces efforts salvateurs, ces combats quotidiens, visant à garder intactes nos racines. Elles sont constituées des souvenirs à raviver et partager, des liens avec la nature et les saisons à entretenir, et éventuellement de la maison d'enfance à sauvegarder de la décrépitude et de l'oubli. Ces guerres précieuses sont-elles vaines, le temps de l'enfance étant une parenthèse, un temps suspendu qu'on ne retrouvera plus ? N'est-ce pas devenir adulte de non pas couper mais prendre de la distance un tant soit peu avec nos racines ? La guerre menée par Isadora dans ce livre m'a bouleversée… Que reste-t-il des printemps, des étés, des automnes et des hivers de l'enfance ? La guerre précieuse n'est-elle pas guerre dangereuse ?

« Je me souviens d'avoir désiré que le bleu du ciel imprègne tant mes iris qu'ils en deviendraient tout azurés, tout lumineux de soleil, et je m'aveuglais en vain, noyant désespérément mes pupilles d'éther incandescent ».

Hantée par son enfance et la vie familiale avec ses deux soeurs et son frère, cette femme, Isadora, décide de passer toute son existence dans la grande maison dans laquelle elle a grandi. Un lieu qui la harponne. Alors qu'elle est désormais très âgée, se « laissant patiner par le temps exactement comme la rampe de l'escalier en colimaçon », et contrainte de finir ses jours dans une maison de retraite, elle nous entraine dans ses souvenirs au gré des saisons, au gré des années, chapelet dont elle égrène les boules irisées d'une main tremblante. Chaque souvenir convoqué est une aquarelle aux tonalités sépia dont elle nous fait sentir avec émotion les aplats de couleur, la tessiture des sons, la granularité des odeurs, avec une forme de sensualité, ou plutôt une certaine animalité, donnant à voir des tableaux totalement envoutants, immersifs, qui convoquent, enfoui en chacun de nous, notre propre vécu.

« Nous laissions les journées s'écouler comme un filet de lumière liquide. C'était le temps précieux des heures élastiques, des matinées évanescentes, des après-midi infinies ».

Lorsque IIsadora nous prend par la main pour nous entrainer dans son enfance, j'ai éprouvé immédiatement une certaine fascination. C'est une enfance rêvée, en tout cas qui représente pour moi un idéal, celui dont je rêvais moi-même enfant, je me souviens. Une enfance faite de connivence avec la fratrie et les cousins, de liberté dans un domaine enchanté, de rires et de secrets murmurés, de cavalcades dans les couloirs, d'échappées dans les bois, de cabanes dans les arbres, d'histoires racontées dans le grenier, de malles à jouets remplies. Une enfance de rêve dans une maison, la Maison de l'enfance, qui l'est tout autant : Une Maison imposante, haute, aux planches de bois blanc, blottie entre de grands sapins bleus et des érables. Une Maison « avec les colonnes de bois sculpté encadrant la porte d'entrée, glacée d'un vernis chaud de caramel solide, et le vitrail de fleurs entrelacées qui laisse filtrer, quand le soleil brillait au travers, des éclats de couleur dans le hall. Peint d'immenses treillis de feuillage tropical, le hall luisait d'un doux bleu. Là s'élançait l'escalier en colimaçon, dans un tourbillon de bois cuivré ». La Maison familiale fantasmée. Immense, avec une forêt, un potager, un étang entre les joncs et des libellules pleins les nénuphars.

Isadora va tout sacrifier pour rester dans cette Maison, elle va même refuser une demande en mariage, et deviendra petit à petit la seule gardienne de ce temple familial et des souvenirs d'enfance, seule et isolée dans cette maison qui, malgré sa présence, va devenir une masure glaciale et décrépie, un peu à son image il faut dire, les deux semblent se fondre progressivement l'une dans l'autre.

Rarement un premier roman m'aura autant émerveillée, m'aura autant réjouie mais aussi autant fait mal.
Chapeau bas Perrine Tripier pour cet enchantement qui a le don de convoquer l'enfance rêvée mais aussi l'angoisse de la solitude et de la vieillesse en chacun de nous !

Un immense merci à @Afleurdelivres à qui je dois, décidément ces temps-ci, un certain nombre de mes lectures…


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« Il est des lieux qui vous harponnent. Qui enroulent leurs mailles autour de vos songes, qui ajustent leurs griffes, juste assez pour vous laisser grandir, mais avec dans votre chair la meurtrissure de leur emprise. » Alors qu'elle a dû se résoudre à quitter sa chère Maison pour un hospice, une vieille dame ne cesse d'y retourner en pensée, hantée par ses souvenirs qu'elle feuillette par saisons, comme les pages d'un album de famille enfermant tristement années enfuies et êtres chers disparus.


Cette Maison avec une majuscule, baignée de la saumure de la nostalgie, est, avec son grand jardin, son petit bois et son étang où se réverbèrent encore les rires des enfants heureux de s'y retrouver chaque été, lorsque la famille toute entière s'y réunissait pour les vacances, la réincarnation littéraire de celle que les grands-parents de l'auteur ont vendue, à la si grande tristesse de cette dernière qu'elle l'a étirée jusqu'à en faire une fiction. Elle est toute la vie d'Isadora, qui, après y avoir grandi dans un bonheur ponctué de chaque tohu-bohu estival, ne l'a jamais quittée, refusant même de se marier pour ne pas partir et pour devenir à son tour la prêtresse des lieux, la fillette cédant bientôt la place à une vieille fille percluse de solitude, à jamais dévorée par l'impossible désir de retenir les jours heureux.


« J'ai assez aimé la Maison pour ne rien souhaiter d'autre, dans toute mon existence, que d'y demeurer, blottie, au creux des choses familières. » A cet attachement pour le lieu, point fixe d'une succession de tableaux saisonniers dont les plus infimes détails sensoriels, entre odeur du soleil et de fleurs déjà trop mûres, bruissement de feuilles mortes soulevées par le vent, froid éblouissant de neige bientôt sale, paillettes de lumière sur une moisson de corolles printanières, restent tellement prégnants dans la mémoire de la narratrice qu'ils parviennent encore, entre deux cruels retours à l'insupportable réalité présente, à effacer les murs de sa triste chambre médicalisée, se superpose une incapacité quasi névrotique à se détacher du passé et à faire face, autrefois à la vie, aujourd'hui à la mort. Comme une vieille cassette inlassablement rembobinée jusqu'à l'usure, la vie d'Isadora s'est répétée chaque année à l'identique, chaque cycle de saisons buttant éternellement sur le même anniversaire, celui de l'accident qui lui a ravi sa jeune soeur Harriet.


« Rester, c'était ma façon de résister à l'effacement, à l'oubli. » Et même lorsque contrainte par le grand âge, alors qu'approche l'heure de l'apaisement définitif, la vieille dame ne peut encore se résoudre à rendre les armes : « Je désirais laisser pourrir la Maison. La laisser se démantibuler, s'effondrer sur elle-même, comme un cheval éreinté qui plie sur ses jambes, l'écume aux flancs. Je voulais qu'elle meure de mon départ, et qu'elle m'attende pour que je vienne la hanter, avec tous les autres fantômes de ma famille, quand je serais morte. »


A seulement vingt-quatre ans, Perrine Tripier signe un premier roman éblouissant, sur le temps qui passe et nous efface. Sublimé par la finesse et la beauté de son écriture, son texte minutieusement ciselé exhale une nostalgie si épaisse qu'elle vous prend à la gorge et vous accompagne longtemps après son excipit. Coup de coeur.

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Est-ce l'histoire d'une maison ou l'histoire d'Isadora ? A moins que… et très probablement, la maison soit le personnage principal et Isadora est son âme. Isadora pourrait être aveugle, aucune importance, de ce refuge, elle connaît le moindre recoin, la plus petite tuile, tout craquement lui est familier, tout dommage devient blessure. Et pourtant Isadora a dû quitter ce havre paix pour la maison de retraite, et Isadora se rappelle et nous livre un récit emprunt de nostalgie mais si plein de vie.

On y goûte saison après saison, la joie des retrouvailles entre cousins, les aventures sylvestres d'une poignée de gamins, les repas en famille où il fait bon se retrouver, les mystères du grenier, les rivalités, les peines, les éclats de rire et telle, la première gorgée de bière, les petits plaisirs : le chocolat chaud du papa, dégusté à la mauvaise saison, celui qui réchauffe le corps et le coeur, les glissades dans les neiges d'hiver, la petite fleur qui naît sous le timide soleil du printemps.

Cette maison, Isadora l'a chérie au point de tourner le dos aux amants, de fuir les animations qui attirent d'ordinaire tant les jeunes filles pour choisir la solitude, pour rester maître d'elle-même et de son milieu de vie, pour se livrer à son autre passion : la lecture au coin de la fenêtre.

Ce roman est une petite pépite, un bonbon que l'on suce avec parcimonie, que l'on voudrait faire durer. En racontant sa nostalgie des temps anciens sans dissimuler les émotions d'Isadora, saison après saison, l'autrice réveille en nous d'agréables souvenirs, on se laisse bercer par son écriture ciselée, on se trouve comblé par tant de poésie.

Au moment ou j'écris ces lignes, mon être frissonne de plaisir et mon âme est en éveil.

Ne passez pas à côté de ce bijou littéraire, un livre que l'on se doit de garder sur sa table de chevet pour, de temps en temps, se faire plaisir en lisant un passage.
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Je suis impressionnée par la maitrise et la maturité de cette jeune autrice de 24 ans dans ce premier roman.

Isadora, maintenant vieille femme, revient sur sa vie, intimement mêlée à celle de la Maison, avec un M majuscule. La Maison est certainement le deuxième personnage le plus important du roman. Isadora a passé toute sa vie à la Maison, sauf ses derniers mois, où la vieillesse, la sienne et celle de la Maison ont eu raison de son désir d'y mourir. Reléguée dans un hospice, elle revit sa vie, et nous la raconte par l'évocation des quatre saisons.

L'été symbolise la jeunesse, les enfants, la réunion de la famille, le temps chaud, les cavalcades, les cabanes dans les arbres
L'automne est la saison des rentrées scolaires et de l'adolescence et la première jeunesse Isadora y revient sur celles qui l'ont éloignée de la Maison. Interne dans la semaine, elle a l'impression de manquer les évènements importants. D'une semaine à l'autre, des changements jadis imperceptibles se produisent, et elle souffre de ne plus les vivre.
L'hiver c'est le froid, la neige, le plaisir de la luge enfants, mais aussi la recherche de compagnie dans la maturité quand Isadora reste seule à la Maison. C'est aussi la saison de la mort.
Le printemps, c'est le renouveau, les fleurs, mais aussi paradoxalement la saison de la rupture de la séparation avec cette Maison tant aimée, préférée à tous les humains.

Un roman original qui célèbre l'attachement aux lieux de l'enfance, aux souvenirs de celle-ci, qui est une ode à la nature dans toutes les saisons, mais aussi qui décortique avec beaucoup de finesse les liens familiaux, qui raconte la solitude et la vieillesse, la décrépitude. N'aura-t-elle pas fini par perdre cette guerre, cette femme seule, condamnée à finir ses jours loin de ses racines?

Et, le plus important, ce qui fait que ce livre fut un bonheur de lecture de bout en bout, une écriture merveilleuse, féérique, qui déroule pour nous ses mots enchanteurs, qui nous berce de sensations multiples.

Une autrice dont j'attendrai avec curiosité le deuxième roman.
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Isadora est en maison de retraite, dans une chambre quelconque tapissée d'un horrible papier peint jaune. Alors Isadora s'évade par la pensée, repense à sa vie dans la Maison, son cocon, auquel elle a dû s'arracher. Cette Maison était pourtant toute sa vie, son havre, son refuge, le lieu de ses plus beaux souvenirs, celui de ses rires d'enfant auprès de sa petite soeur Harriett.
Petit à petit, nous découvrons Isadora, sa personnalité étrange, farouche, égoïste, incapable de s'arracher de la Maison même une fois arrivée à l'âge adulte. Elle renonce même à se marier quand elle comprend que son potentiel mari voudra la déraciner tôt ou tard à de ce lieu si cher à son coeur. Isadora sacrifie tout à la Maison jusqu'à en devenir prisonnière, avec une vie presque recluse dont elle se satisfait malgré tout.
Perrine Tripier nous immerge avec beaucoup de talent dans la vie d'Isadora en peignant la nature, le jardin, le lecteur est étourdi par le soleil d'été, irait presque se chercher un verre d'eau à la cuisine tant il a soif à la lecture des courses échevelées dans les bois et après avoir construit une nouvelle cabane. Il remonte bien haut la couette ou le plaid à la lecture des hivers rigoureux qui figent le jardin dans le givre et devant le feu qui se meurt petit à petit dans la cheminée. Il hume l'air à la recherche de l'odeur des pollens de printemps, et est ébloui par les explosions de couleurs des fleurs du jardin. L'automne est la saison triste, la fin des rires des cousins, la maison se vide.
La langue est poétique, les phrases coulent entre nos doigts, on boit avec délice l'eau rafraichissante de l'été, les tasses de thé réconfortantes de l'hiver, on se pelotonne au fond du lit avec le livre, comme le faisait Isadora petite fille quand toute la famille sombrait à l'heure de la sieste dans la Maison blanche accablée par le soleil. La fin de vie d'Isadora et celles de la Maison se superposent, la peau du visage et les murs se craquellent, toutes deux ont des difficultés à tenir debout et à faire face à l'adversité. Isadora n'a plus qu'un souhait, que leurs fins s'unissent, que la Maison tombe en ruines, que plus personne après elle n'habitera. La maison sera son mausolée car nul n'est en mesure de rivaliser avec l'amour exclusif et illimité qu'elle lui a porté.
C'est lent, contemplatif, délicat, certains s'enchanteront, d'autres s'ennuieront.
J'ai pour ma part été conquise par la langue douce et râpeuse, l'amour débordant et les règlements de compte familiaux, la palette des émotions qui varie au fil des saisons ainsi que nos sentiments changeants à l'égard d'Isadora. Un premier roman très réussi qui ravit et perturbe, une auteure à suivre pour toutes les saisons à venir…
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Elle se souvient, lors de ces nombreux étés, des courses folles avec les cousins, la cabane haut perchée, les rires, les longues soirées, l'odeur du miel et de la résine, le moelleux du pain, l'immensité du ciel bleu, les battements des sauterelles, sa main dans celle d'Harriett...

Elle se souvient du craquement des feuilles sous ses pieds, l'automne venu, le silence de la Maison, le crépitement et la chaleur du premier feu de cheminée, l'odeur de la pluie la nuit, le bruit du vent sauvage, les vapeurs salées du potage, le chagrin de quitter la Maison pour aller au Collège...

Elle se souvient du soleil qui brille sur la neige, le grand rire de Klaus, les pulls de l'arrière-grand-mère, le réconfort du chocolat chaud de Petit Père, les figurines en bois de Noël, les cris des corbeaux noirs, le ciel gris, l'amour d'Oktav, le blanc éblouissant...

Elle se souvient du piaillement des oiseaux, les fils à linge tendus de draps, l'odeur de lessive, les dessins de Louisa, les brins d'herbe vigoureux, les rires clairs, la mélodie des cuivres et le poids de la solitude...


Ce n'est qu'au crépuscule de sa vie qu'Isadora quittera la Maison pour entrer à l'hospice. Une Maison où elle aura vécu toute sa vie, ne pouvant se résigner à la quitter, allant jusqu'à sacrifier l'amour d'un homme qui l'aura demandée en mariage. Une Maison qui aura connu, au fil des années, le bonheur en famille, des morts, des départs mais qu'Isadora aura aimée toute sa vie, y puisant sa joie de vivre, s'y ressourçant. Une Maison gorgée de souvenirs, de bruits, d'odeurs, de couleurs, de rires et de larmes, de cris et de silence. Au sein des quatre saisons, Isadora replonge, avec nostalgie, dans son passé, où elle retrouve les siens. Si les années passent, si la Maison se vide, si Isadora se retrouve seule, elle convoque à chaque fois l'enfance qu'elle tente de faire revivre, de peur, peut-être d'oublier, que ce temps est révolu et d'effacer les peines, les larmes, le silence et l'amertume. D'une infinie délicatesse, Perrine Tripier convoque l'enfance et donne à voir, à sentir, à ressentir des scènes, des événements, tels des tableaux qu'Isadora veut dépoussiérer. Sa plume, poétique, vivante, sensorielle, se révèle d'une incroyable justesse.

Un premier roman délicat et mélancolique...
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C'est le coeur lourd, plein de nostalgie, que je quitte à regret ce roman des souvenirs et des saisons, de la famille et de la solitude, des grandes joies et des deuils qui font l'essence de la vie.

La narratrice est une vieille dame, et elle vient de quitter pour toujours la Maison familiale dont elle avait la charge, la charge d'âme pourrait-on dire, tellement cette maison représente pour elle une personne à part entière.
Au fil des saisons, au fil des années, la Maison protège, accueille, vibre, pleure, resplendit, rayonne, se détériore.

La famille qui y habite (les parents, la grande soeur, le grand frère, la petite soeur et la narratrice) ne reste pas souvent seule car quand les grandes vacances arrivent, les oncles, tantes, cousins et cousines s'y précipitent. Mais le temps de l'enfance et de l'adolescence passe trop vite, et quand vient l'heure des choix et des départs, la maison se vide, sans compter les deuils qui viennent couvrir de leur ombre les vivants.

L'âge adulte marque le début de la mélancolie, car il faut savoir se séparer de son insouciance… La narratrice se charge de tout garder, de tout contenir, d'être la garante d'un temps révolu. Et c'est difficile. La solitude ne lui pèse pas, elle refuse de se marier pour ne pas quitter sa Maison, mais lorsque les années passent et que le corps se fait traître, même si une amitié épistolaire lui réchauffe le coeur, il lui faut doucement rendre les armes.

La vie passe, la vie s'en va, les souvenirs pèsent au fond de la mémoire, et le présent n'est plus qu'une lourde pierre qui entraine vers la mort.

Ce livre plein de poésie m'a emplie de vague à l'âme mais j'aime de temps en temps me lester d'un fond de mélancolie…
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Je crois que rien n'est plus beau qu'un moment d'intimité partagé. Si par un hasard improbable j'oubliais ce roman, je suis persuadé qu'à la seule lecture de son titre je ferais revivre la vie de cet autre moi, de cet autre vous.
C'est un don de pouvoir transmettre avec tant de poésie le parcours d'une vie, c'est un cadeau d'avoir la capacité de raconter avec la force et la fulgurance du vivant, le passé loin, le passé mort.
C'est un bonheur sans égal de pénétrer ses souvenirs dans les mots des autres. de s'introduire dans cette Maison-ruche, Maison-cocon, Maison-délice, Maison-souffrance suivant les saisons de la vie et de l'amour aussi.
« Il faut toujours s'efforcer de voir les choses familières, de les voir vraiment. Il faut visiter son propre palais avec l'étonnement d'un ambassadeur étranger. »
Les mots de Perrine sont les miens en vrac qu'elle sait placer dans le bon ordre pour faire de la musique sur tous les sentiments. Juste une manière d'être, une manière de vivre…
« J'ai toujours eu le passé plus facile qu'eux. Eux, toujours trop dans la douleur du présent. J'avais compris que le passé était la seule chose qui valait que ma vie soit vécue. »

Isadora, l'héroïne n'a pas la valise facile, elle a plutôt la tête dans les malles du grenier de cette Maison-émotion où j'ai vécu comme un privilège la renaissance de sa fratrie adorée, de ses parents feutrés, de ses amours éphémères et de ses jeux effrénés.
Dans cette maison blanchie de la peinture annuelle, cernée de chemins herbeux à proximité de forêts profondes et de lacs émeraudes, j'ai aimé passionnément écouter la jeunesse de cette femme devenue vieille désormais, c'est dévorant et inéluctable.
« On sait toute sa vie qu'il faudra mourir, et pourtant rien ne nous y prépare jamais, pas même la mort des autres. »

Jetez-vous sur le roman de cette gamine de 24 ans qui a la maturité que je n'ai pas à bientôt 69.
C'est son premier livre, j'espère que je ne serai pas mort avant d'avoir lu son trentième.



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J'aime les romans qui parlent de maisons. J'aime les histoires familiales qu'elles renferment avec leurs secrets, leurs joies et leurs drames, leurs rires et leurs pleurs.

La Maison d'Isadora Aberfletch est au coeur du premier roman de Perrine Tripier. Lieu d'intimité et de refuge, de retrouvailles et de partages, de querelles et de réconciliations, lieu de mémoire et de drames, de solitude et de regrets, elle reflète l'âme de ses occupants.

« Il est des lieux qui vous harponnent. Qui enroulent leurs mailles autour de vos songes, qui ajustent leurs griffes, juste assez pour vous laisser grandir, mais avec dans votre chair la meurtrissure de leur emprise.
Il est des portes dont le bruit quand on les pousse est comme un cri du temps qui brise encore l'oubli.
Il est des escaliers dont on aimerait tant gravir à nouveau les marches, juste une fois, en laissant couler dans sa paume le poli froid de la rampe. »

*
Vous êtes-vous déjà senti attiré par un lieu, au point de ne pouvoir vous en détacher sans être amputé d'une part de vous-même ?
Isadora Aberfletch, la narratrice, a vécu toute sa vie dans cette grande Maison familiale au charme désuet. Elle s'est retranchée corps et âme dans une solitude voulue, vieillissant avec sa Maison, s'y fondant, rejetant comme une amante jalouse ceux qui pourraient également l'aimer et s'y sentir bien.

Mais maintenant âgée et en mauvaise santé, elle doit se faire une raison : c'est un crève-coeur de l'admettre, mais il ne lui est plus possible de vivre seule dans cette maison isolée, humide, pleine de courants d'air et beaucoup trop grande pour elle.
Dans la chambre de la maison de retraite qu'elle occupe désormais, ses pensées continuent à vivre dans cette Maison, au milieu de tous ses souvenirs.

« Quand on ouvre la fenêtre de la chambre pour aérer, pour assainir cet air d'hospice des chambres de vieille, j'écoute le vent sauvage qui vient du fond du monde, et je l'imagine avoir traversé ma forêt, épousé les contours de la Maison, chargé ses bourrasques des odeurs de résine que je connais tant, et mes narines frémissent de délice… »

*
Ses souvenirs sont si vifs que je n'ai eu aucun mal à m'y projeter.
J'ai imaginé cette Maison imposante, toute lasurée de blanc, posée au milieu d'une colline verdoyante parcourue de bois. Un jardin parsemé de fleurs des champs et un verger chargé de fruits gorgés de soleil l'enchâssent avec simplicité. Des rais de lumière s'infiltrent par les fenêtres étroites, traversent les pièces, éclairant les vieux meubles aux couleurs fanées, jetant un regard doux empreint de nostalgie.

Certains pourraient la trouver inquiétante, triste ou malaisante, mais du fond de la mémoire de la vieille femme, cette maison l'a toujours accueillie, rassurée, apaisée, consolée. Elle est un cocon, un refuge, un nid dans lequel elle se love et revit ses rêves d'enfant.

*
L'autrice évoque les épreuves d'une vie à travers la métaphore des saisons. Elles sont le fil conducteur et le fil de souvenirs qui s'enroulent inlassablement autour de la maison d'enfance d'Isadora.
En tournant les pages de chacune d'entre elles, c'est un nouveau tableau qui se dessine avec ses couleurs, ses lumières, ses odeurs et ses bruits familiers.

« Je rouvre l'album, et le premier souffle qui s'en dégage est un soupir du temps, une bouffée d'odeurs ternies qui me replonge chez moi, subrepticement, pendant une fraction de seconde avant qu'elle ne se dissipe. »

Le récit commence par l'été et s'achève au printemps.
Ces jours estivaux gorgés de soleil s'imprègnent de l'insouciance et de l'innocence de l'enfance.
La Maison, ouverte sur l'extérieur et la nature environnante, est le royaume des jeux et des bousculades, des cris et des rires d'enfants. Elle abrite leurs clowneries, leurs rêves, leur envie de liberté, puis plus tard, leurs secrets et leurs désirs naissants.
La Maison se pare de couleurs chaudes accompagnées de senteurs de sève et de fleurs, de draps frais délicatement parfumé à la lavande et séchés par le vent d'été, d'odeurs appétissantes de cuisine familiale et généreuse.

« Les soirs d'été… le murmure des grillons qui s'élève au creux de l'herbe ondoyante… Sentir le vent léger monter des sapins plongés dans l'ombre, avec le ciel qui se teinte peu à peu d'indigo, une seule goutte d'eau et un pinceau imbibé d'outremer pour que le pigment violacé se diffuse en veines liquides sur le papier blanc… »

Chaque saison qui passe apporte ses moments de joie et ses profondes douleurs.
Avec l'automne, ce sont des senteurs humides de sous-bois, le retour du froid et de belles flambées, l'éloignement et la solitude, la douleur de l'absence.
L'hiver a ses moments de bonheur, les batailles de boules de neige, les câlins au coin du feu, les odeurs de chocolat chaud et d'épices, mais aussi les silences tragiques et l'isolement pesant.
Jusqu'à l'apaisement et le réconfort du printemps reléguant les ombres des souvenirs en arrière-plan.

Les enfants grandissent et la Maison se vide, emportant la gaieté et les moments heureux, la chaleur de l'été et le sentiment de sécurité, les jeux dans le grenier et les cabanes au fond des bois.
Seule, Isadora reste, figée dans le passé alors que le temps continue sa route, emmurée dans un présent trop douloureux et un futur dans lequel il est impossible de se projeter. Son équilibre, elle pense l'avoir trouvé dans cette Maison, entourée de ses souvenirs.

« J'avais compris que le passé était la seule chose qui valait la peine que ma vie soit vécue. Moi, la Maison et nos souvenirs, nous ferions de grandes choses. Car les choses familières ne sauraient mourir. »

*
La jeune autrice explore avec profondeur et poésie les pensées de la vieille femme. L'écriture, mélancolique et nostalgique, saisit les variations dans les émotions, découvrant peu à peu les désillusions, les douleurs.

Dans « Les guerres précieuses », il y a cette fidélité à ses origines, cet attachement foncier à cette Maison qui fut le théâtre d'une enfance heureuse, cette Maison que la narratrice a voulu garder envers et contre tout et tous.
Dans « Les guerres précieuses », il y a la fugacité du temps, l'importance de la mémoire et des souvenirs.
Dans « Les guerres précieuses », il y a tous ces moments de partage et de convivialité, toutes ces joies enfantines qui résonnent de cris perçants, de disputes et de rires. Des instants précieux qu'Isadora ne veut pas oublier, afin qu'ils ne meurent pas une seconde fois.

« Pour moi Petite Mère était translucide dans la véranda, elle peignait des toiles invisibles que nous ne savions pas voir. Elle emplissait mes souvenirs avec ses bras aux parfums de fleurs, elle me souriait dans mon sommeil, elle infusait tout. Rester à la Maison, c'était rester auprès d'elle, de la vraie elle, mais ça personne ne le comprit. »

Mais tous ces souvenirs ne sont-ils pas le plus souvent embellis par le passage du temps qui conserve les illusions, l'innocence et l'immaturité de l'enfance ?

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Pour conclure, ce que j'ai apprécié dans « Les guerres précieuses », c'est la justesse du ton, le rythme lent et introspectif, la profondeur des émotions qui évolue avec le changement de saisons, le charme suranné de cette Maison, ces escapades dans la nature, l'atmosphère sensorielle, intimiste et contemplative.
C'est un petit roman à la fois doux et amer, triste et gai, tendre et âpre, vibrant et troublant.
A découvrir.

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Merci à tous mes ami.es sur Babelio, ils se reconnaîtront, sans qui je n'aurais jamais lu ce beau roman.
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