De minuscules images lui traversaient l'esprit. Elle vit Michael tirer sur les pans de sa veste écossaise l'après-midi où ils s'étaient rencontrés. Elle le vit se raser dans leur chambre d'hôtel le lendemain de leur mariage : sa méthode consistait à assister le bout de son nez et à le tourner de coté tandis qu'il rasait le dessus de sa lèvre, ce qui avait fait rire Pauline aux éclats. Elle le vit entrer dans sa chambre à la maternité les bras chargés de fleurs pour fêter la naissance de Lindy. Il portait plus de fleurs qu'elle n'en avait jamais vu et sans doute plus qu'ils ne pouvaient se permettre d'en acheter : une montagne entière de fleurs qui dissimulait presque son visage juvénile et impatient.
Dans sa mémoire, un soleil radieux éclairait ces scènes qui lui fendaient le cœur. Mais elle ne pleura pas. Pour une fois, les larmes ne voulurent pas jaillir. Elle comprit que Michael avait peut-être eu raison, parfois il faisait vraiment trop froid pour neiger.
Pauline était vraiment quelqu'un de bien. Michael songeait qu'on aurait pu en dire autant de lui. Seulement, ensemble ils n'étaient plus aussi bon qu'ils en avaient l'air. Ou plutôt... comment dire, plus très gentils. Ils n'étaient pas toujours gentils l'un envers l'autre, sans qu'il sût trop expliquer pourquoi.
...il avait le sentiment d'avoir contracté un mariage en prime, une union pas tout à fait authentique - peut-être une réaction extrême et prolongée à l'une de ses disputes avec Pauline.
Pauline ne doutait jamais qu'elle pourrait donner un tour plus convenable à l'existence des gens
Michael remarqua que son visage se composait d'une série d'ovales - un ovale contenant deux yeux marron à l'ovale allongé, une bouche ovale où il manquait à la lèvre supérieures ce creux qu'on rencontre chez la plupart des gens, et l'ovale de son crâne aux cheveux recourbés autour de la nuque. Jamais encore il n'avait songé à quel point il est apaisant de contempler un ovale.
Marcher à coté d'un petit enfant était aussi délicat que de recueillir de l'eau dans le creux de sa paume.
Il s'en alla, s'aidant de sa canne au bout en caoutchouc qu'on entendait piauler comme sous le poids d'un tourment.