Le travail de deuil est étroitement lié aux circonstances du décès de l'être cher. Ainsi une séparation brutale provoque souvent une hébétude traumatique et amplifie la durée du chagrin.
La pochette plastifiée protégeant le manga de Kentarô Ueno, intitulé ''
Sans même nous dire au revoir'', représente un quartier commerçant de la banlieue de Tokyo.
La précision du coup de crayon est telle qu'en plissant légèrement les yeux vous avez l'impression d'observer une photo en niveau de gris. L'oeil est pourtant attiré par quelques gouttes d'eau qui en surimpression brouillent quelque peu ce paysage urbain et poussent instinctivement le lecteur à effleurer du bout des doigts cette jolie couverture. On pourrait croire qu'il s'agit de gouttes de pluie mais en réalité se sont les larmes de l'auteur.
Kentarô Ueno exerce ses talents de mangaka dans l'atelier aménagé au-dessus de l'appartement qu'il occupe avec son épouse Kiho et leur fille Karim âgée de dix ans.
En ce 10 décembre 2004, à bientôt minuit, il travaille sur ses planches pour satisfaire une importante commande du magazine ''Comic Beam''. Au même instant, à l'étage au-dessous, Kiho s'écroule face contre sol.
Ni le massage cardiaque prodigué par Kentarô, ni l'intervention des sapeurs-pompiers, n'arrivent à ranimer la jeune femme.
Le processus de résilience se concrétise chez Kentarô Ueno par le besoin de raconter sous la forme d'un manga cette mort tragique et aussi le long travail de deuil qui commence. Perpétuer le plus longtemps possible le souvenir de Kiho aidera peut-être Karim à surmonter la disparition de sa maman.
La veillée mortuaire, le crématorium, le recueillement des ossements, le petit autel où brûlent les bâtonnets d'encens avec en arrière-plan une photo de Kiho sont reconstitués avec minutie. Ces dessins, parfois sur une double page, sont plus vrais que nature.
Le rituel de la séparation, l'absence insoutenable de l'être aimé, les souvenirs heureux, le sentiment de profonde injustice, les promenades en solitaire au coeur de la nuit, les planches du manga sur lesquelles perle parfois une larme : une kyrielle d'images qui montrent et suggèrent tout autant.
Laisser du temps au temps pour se reconstruire, laisser le chagrin lentement s'estomper, laisser les jours meilleurs venir par les hasards de la vie...