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Critique de HundredDreams


Une batelière, un mot qui résonne comme une douce invitation à voyager au fil de l'eau. En effet, Maryna Uzun rend hommage dans ce court récit à ces habitants de l'eau, passionnés, fiers, à ces amoureux des cours d'eau, fleuves, rivières ou canaux.
Dans ce monde à part où l'amour de l'eau et le métier de batelier se transmettent de génération en génération, l'autrice invite ses lecteurs à un pas de danse, un pas de deux entre une grand-mère, Irène, et sa petite fille, Alicia, avec qui elle a une vive affinité.

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Qui n'a pas rêvé de vivre sur une péniche ?
Lorsque je vois celles de particuliers, amarrées sur les berges de la Seine, si bien entretenues avec leur magnifique terrasse sur le pont, cette vie de bohème sur l'eau me fait rêver. Alicia imagine aussi vivre dans ce cadre de vie fort agréable, le plein air, la nature et les voyages pour seuls voisins.

Pourtant, le métier de batelier est rude, dans un monde qui reste masculin. Issue d'une famille de mariniers belges, Irène va se confier à sa petite-fille et lui raconter son histoire, celle aussi de ce beau métier qui a évolué avec le temps et qui lie les hommes à leurs embarcations.

« Les vagues caressent ma carcasse. Je me figure couchée sur la berge chérie où mes souvenirs se sont entassés depuis sept décennies. Je les entends s'approcher en douce, sensuellement, comme si elles m'incitaient :
« Embarquons-nous, vent en poupe, dans un nouveau délire ! » »

On part pour une parenthèse à la fois hors du temps et très ancrée dans le cours de l'Histoire. En remontant le cours de la vie jusqu'à la fin du XIXe siècle, Irène rend compte d'un siècle en mouvement marqué par les deux guerres, par les privations, par l'évolution des transports et par conséquent du métier de batelier, les bateaux autrefois tirés par les hommes, puis par les chevaux, et enfin équipé d'un moteur électrique.
L'autrice entrelace les conversations passionnées entre les deux femmes et les souvenirs d'un temps révolu. La vieille femme vogue et cabote le long de son histoire familiale semée d'embûches, s'arrêtant entre autres, sur son enfance difficile, sur l'émigration massive des italiens vers les mines belges à la fin de la Seconde Guerre mondiale, sa rencontre avec son beau et séducteur Calabrais, Rafaele.

« … j'ai immédiatement été séduite par lui, ce gouffre noir qui révèle des pupilles incandescentes. le coeur efface les frontières. »

Elle nous parle de ses parents, de Mathilde, femme instruite et hautaine, mère mal-aimante emportée par un amour fou et aveugle pour son batelier superficiel, illettré, violent et volage. Et petit à petit, on entre dans cette famille, on fait leur connaissance, on descelle leurs qualités, leurs défauts, leurs petitesses, leurs peines, leurs remords.

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Irène est un très beau personnage féminin portée par une force étonnante et sublime qui semble se transmettre de mère en fille. Séduisante, entière et généreuse, obstinée et indépendante, intelligente et travailleuse, j'ai aimé sa force de caractère, son regard confiant sans cesse porté vers l'horizon, son énergie et sa détermination à déplacer des montagnes, sa volonté de se cultiver et de sortir de sa condition, sa jovialité malgré les coups durs de la vie, sa détermination à passer toutes les écluses qui jalonnent sa vie pour protéger les siens et les sortir de la misère.

*
J'ai retrouvé avec plaisir l'écriture de Maryna Uzun, sa verve pétillante et son style bien particulier, son écriture créative et sa culture artistique, le plaisir de la langue que l'autrice aime tant triturer, pétrir et malaxer, découdre et recoudre avec originalité, humour et fantaisie. J'ai retrouvé son écriture fine, recherchée, virevoltante, décalée, ainsi que sa plume élancée qui s'amuse de jeux de mots et ne cesse de s'encrer de poésie.

« La paix niche, toujours, dans ton âme trempée ! »

Mais l'autrice a su se renouveler : en effet, j'ai ressenti une envie nouvelle, celle de coller à ses personnages par un vocabulaire plus simple et mesuré.

« Évite le trop de raffinement qui jure dans la bouche de quelqu'un de simple. Ta grand-mère, c'est de la soie brute ! »

Est-ce pour cela qu'il m'a fallu quelques pages pour entrer dans l'histoire, comprendre le changement de styles, sentir cette alternance entre présent et passé dans les échanges entre les deux femmes où se nichent souvenirs et confidences ?

*
Malgré le format très court, Maryna Uzun aborde de nombreux sujets qui m'ont plu : la dureté de la vie quotidienne au temps de nos grands-parents et arrière-grands-parents, la travail pénible de batelier puis celui éprouvant de mineur, l'exil et la souffrance liée au déracinement.
J'ai trouvé aussi intéressant la façon dont l'écrivain et son écriture deviennent le passeur d'une histoire.
De même dans les dernières pages du roman, le regard des descendants se croise pour nuancer le portrait de cette femme singulière au parcours si atypique.

« Irène...
Derrière ce prénom, que de ruisseaux murmurent !
Une sirène leste ou reine nonchalante,
C'est elle qui se sent comme un poisson dans l'eau
Dans ma Seine irisée à l'instar du colvert !
Ses yeux bleus ont connu les larmes des départs
Qu'elle a su dépasser en fière batelière. »

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Merci Maryna pour ces pages que vous m'avez offertes. Les parcourir a été comme ouvrir les albums de photos de famille, l'occasion de voyager dans le temps, retrouver les personnes que l'on a aimées et qui ne sont plus là. Chaque souvenir est comme une photographie qui capturerait des instantanés de la vie quotidienne, des moments qui ont compté.
A découvrir.
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