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EAN : 9782754310901
Livre Actualité (31/08/2023)
3.81/5   37 notes
Résumé :
Née en 1926, au bord de la Sambre, une gamine est négligée et presque haïe par sa mère, cultivée et distinguée. Sa chance se révèle d’être belle, rebelle et intelligente ainsi que d’hériter la gnaque de son père, illettré.
Sa curiosité universelle l’élèvera peu à peu et créera sa personnalité autodidacte. Elle s’impose avec le temps et sera la seule, dans sa fratrie batelière de onze enfants, à évoluer aussi fort. Si son adoré Raffaele, venu d’un coin magique... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (36) Voir plus Ajouter une critique
3,81

sur 37 notes
Merci à l'autrice pour m'avoir permis de découvrir son roman Fière comme une batelière. Ce livre, lu au format PDF est court (environ 150 pages) et raconte la destinée d'Irène, fille de batelière belge entre sa naissance dans les années 1920 et sa mort au début du XXIe siècle.
Alicia, sa petite fille propose à sa grand-mère de raconter sa vie et vient régulièrement lui rendre visite pour l'écouter narrer ses souvenirs.
Irène revient d'abord sur la rencontre de ses parents, bateliers au début du XXe siècle entre Sambre et Meuse. On découvre la vie de ces nomades des canaux et des fleuves dont l'activité commerciale n'existe presque plus.
Mais le roman démarre vraiment avec l'arrivée d'Irène à l'âge adulte au moment de la Seconde Guerre mondiale. Sa rencontre avec Rafaele, un italien prisonnier en Alsace. Son épopée pour l'accompagner en Calabre d'où il est originaire. Son retour en Belgique avec de nombreux autres émigrés de la botte pour travailler dans les mines de charbon. Et puis leur vie, tout simplement mais racontée avec un beau talent d'écrivain.
C'est court, nerveux et en même temps très poétique. Maryna Uzun possède un vrai style qui nous transporte et nous fait vibrer. L'émotion du déracinement est présente mais sans jamais s'engluer dans le pathos. On découvre, à hauteur d'homme, enfin à hauteur de femme qui sont les véritables héroïnes du livre, la vie compliquée de l'après-guerre chez les gens simples, leur lutte de tous les jours pour vivre convenablement.
Il m'a pourtant fallu quelques pages pour rentrer dans l'histoire au début pour comprendre le dialogue entre Alicia et Irène et les passages entre le récit de la grand-mère et le dialogue avec sa petite fille m'ont parfois un peu embrouillés mais cela ne gâche en rien le plaisir de lecture. Peut-être que la mise en place de chapitres et d'interludes auraient été une bonne idée.
Le dernier quart du livre est une reprise en main de la narration par Alicia qui raconte ce qui s'est passé à partir des années soixante-dix et ses recherches pour en apprendre d'avantage sur les lieux et les faits. Une certaine émotion teintée de nostalgie se dégage de cette dernière partie qui clos magnifiquement l'histoire d'Irène
Ce roman aurait pu faire l'objet d'une saga familiale plus longue et plus épaisse mais, le choix de l'autrice est plus d'en faire un témoignage d'une époque, avec poésie et émotion et le pari est plutôt réussie.
Un beau moment de lecture !
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J'ai pris la photo de la couverture, un après-midi pluvieux, il y a des années. Je sentais que l'instant était magique. À cette époque, il a engendré ce poème : « Loin des Abbesses, de Barbès, la Seine ondule et fait un S. Je l'ai suivie au pas bien leste. Elle est splendide après sa « sieste » : elle se met à scintiller, c'est un croquis au pointillé d'un soleil cru, réapparu derrière un nuage tout ventru ! Je la préfère en « sfumato », lorsque le jour se lève tôt, sans les moteurs de la plaisance qui la sillonnent en tous sens ! Mais je me plie au sablier quittant mon fleuve aux peupliers. Silencieusement, il coule, j'ai caressé sa chair de poule… »
Il y aura toujours la Seine ! Serait-ce ma passion païenne ? Ses émanations m'atteignent où que je sois. Il y aura les peupliers, mes fidèles écuyers ! Certains lecteurs, qui ont fouillé mes opuscules de fond en comble, vont reconnaître ces vers. J'ai l'impression de les avoir engrangés, ceux-ci et tant d'autres, pour que tous ces recueils poétiques confluent dans mon nouveau roman.
Donc, ce paysage, au charme du noir et blanc, sans réellement l'être, sous ce soleil vaguement orange, me paraissait comme le portrait d'une personne, que je ne connaissais pas, d'une voie que j'attendais peut-être. La vie m'a apporté un éclaircissement : c'était Irène !

Née en 1926, au bord de la Sambre, une gamine est négligée et presque haïe par sa mère, cultivée et distinguée. Sa chance se révèle d'être belle, rebelle et intelligente ainsi que d'hériter la gnaque de son père, illettré. Sa curiosité universelle l'élèvera peu à peu et créera sa personnalité autodidacte. Elle s'impose avec le temps et sera la seule, dans sa fratrie batelière de onze enfants, à évoluer aussi fort. Si son adoré Raffaele, venu d'un coin merveilleux mais pauvre de l'Italie, a eu le privilège d'être instruit, il n'a pas la détermination d'Irène qui, dès l'adolescence, a pris soin de ses parents vieillissants...

Dans un risque-tout juvénile, cette fiction parcourt l'itinéraire « terre et mer » d'une batelière et son tohu-bohu époustouflant. Ôtez rigueur, exactitude et objectivité ! Accordez votre clémence à un certain toupet et à quelques incartades qui l'habitent et qu'elle conte dans son ivresse, tantôt plus lyrique tantôt plus joyeuse ! C'est le roman de la vie de cette femme qui s'est si bien accommodée à toutes les couches de la société, sans honte et avec panache, simplement en étant elle-même : Irène. C'est la chanson de l'amour que sa petite-fille, Alicia, lui porte au-delà de l'âge et des frontières.
Le lecteur entend le « je » d'Alicia, plus fiorituré, puis celui d'Irène plus dépouillé, puis encore celui d'Alicia, qui finit le livre, comme dans une Fantaisie de Schubert à quatre mains. L'une est une intello et rêveuse et l'autre est réaliste, très pratique, même si Irène est si sentimentale, d'où la différence de formulation des phrases.

De son existence entière, c'est pour les mariniers qu'Irène a éprouvé la plus grande admiration. Qu'elle aurait préféré vivre sur l'eau, inconditionnellement, perpétuer le voyage, pareillement à ces gens fiers qui se sentent si opposés à ceux de la terre ! Éternels explorateurs, nulle maison ne les apprivoise ! En dépit de cela, elle a quitté son chaland de beauté pour suivre son préféré jusqu'en Italie. Irène et Raffaele s'exposent sans arrêt au danger dans le contexte historique absurde de 1945. Leur naïveté les écarte de ce qui se trame en haut lieu, de la condition réelle des différentes nations à l'issue du conflit. Roosevelt, Churchill, Hitler, Mussolini, De Gaulle, Staline… Les amoureux ne mesurent pas entièrement le désastre et la difficulté qu'auront les peuples à se relever. Raf ne pense qu'à installer Irène dans un coin de rêve. La Calabre est magique dans sa tête, telle qu'il l'avait quittée à seize ans. Il compte épater sa belle ! Néanmoins, plus ils avancent vers le sud, plus ils vivent la déception, avec effroi et amertume. Ont-ils encore la solution de reculer, au risque de se perdre ? Et, pour couronnement, ils découvrent son adorée Reggio mutilée par les bombardements…
Que subsiste-t-il après cet effondrement ? Irène verse dans la vie courante un je-ne-sais-quoi, qui demeurera sa recette à elle, et petit à petit l'existence émerge dans sa majesté fabuleuse, dans ses envols infinis, dans une mouise somptueuse obéissant à une poésie inexplorée ! Irène, en femme d'action, réussit à bouleverser l'ordre des choses parce qu'elle s'est efforcée de se débattre, vigoureusement, malgré la fatigue et l'écoeurement.

Une amie m'a généreusement permis de connaître l'histoire d'Irène. Ainsi, ma prédilection pour la Seine, qui transparaît dans tous mes livres précédents sans exception, a trouvé un aboutissement dans notre Rencontre. À elle, ainsi qu'à sa famille, vont mes humbles remerciements.

Le choix de ma démarche est celui de donner la parole à Irène qui est avant tout fille de ses oeuvres. Ce ne serait jamais un portrait fidèle d'elle si un langage précieux se mêlait à ses traits de sauvageonne qu'elle a gardés fièrement tout le long de son chemin, tout en aspirant vers le raffinement. Son récit devait lui ressembler, rapide comme une tornade ! Qui l'aime la suive !

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Fière comme une batelière - Maryna Uzun (Nemorino) - roman - Éditions le Livre Actualité - Édité en 2023 - Dessin : Dimillimour.

"Destiné à la tribu d'Irène"

Déjà, le mot tribu me ravit, un mot qui fait penser à une nombreuse famille et là, je vais être gâtée.

Avec le titre, je comprends vite que l'histoire se déroule au bord de l'eau, pas loin de Paris où "les bateaux amarrés se dodelinent"

Irène, la septantaine, qui, pour tout le monde, est une coiffeuse retraitée, descend d'une longue lignée de bateliers.
"Mon coeur se penche sur la barge qui, dans le passé, sillonnait la Seine, elle aussi. A son bord oeuvrait la délicieuse Irène que je ne suis plus"

Irène sent qu'il est temps de laisser une trace de son passé.
Nous sommes en 1998. Alicia écoute, écrit, dessine les paroles de sa chère grand-mère, oui, elle sort d'une école d'Arts, est passionnée de voile et rêve de vivre sur une péniche.

"Mon idée (dit Alicia) d'écrire un roman à quatre mains, comme deux pianistes jouant Schubert, sachant que ses états d'âme et ses anecdotes y primeraient, l'a enchantée fortement".

Et voilà notre grand-mère égrenant ses souvenirs, sa vie sur la mignole (sorte de péniche), sa rencontre avec son "préféré" Raffaele, un calabrais clarinettiste au tempérament plutôt chaud !

L'histoire d'amour d'Irène commence au cours de la Seconde Guerre mondiale, la vie côtoie la mort ou l'inverse, mais Raffaele touche le coeur d'Irène et leur folle équipée commence, ils partent pour l'Italie, Irène la Belge et Raffaele le soldat italien. Ils auront quatre filles , Aria, Valentina, Giulia et Ramona.

Mais, au-delà de l'histoire d'Irène et Raffaele, on remonte plus loin dans le temps jusqu'aux arrière-arrière-arrière grands-parents et l'on découvre alors une extraordinaire reconstitution de cette "tribu", une fabuleuse aventure avec ses drames, ses amours, le dur travail de batelier, la vie des
ancêtres d'Irène,

Quelle épopée, quelle découverte, quelle densité dans l'écriture de Maryna Uzun, elle a un véritable don pour raconter, une plume trempée dans l'encre de la poésie, même si l'on n'utilise plus de plume depuis longtemps, j'aime cette image. Les mots se lisent dans un souffle, c'est magique,c'est prenant, c'est vivant de la première à la dernière ligne, pas de longueur, pas un instant d'ennui, lu en une après-midi.

Irène s'en est allée le 21 juillet 2010, mais son âme est dans le livre de Maryna Uzun.

"Si toute la famille s'est éparpillée aux quatre vents de la France et de la Belgique, un morceau du coeur d'Irène bat en chacun de nous"

"Irène...
Derrière ce prénom, que de ruisseaux murmurent !
Une sirène leste ou reine nonchalante
C'est elle qui se sent comme un poisson dans l'eau
Dans ma Seine irisée à l'instar du colvert !
Ses yeux bleus ont connu les larmes des départs
Qu'elle a su dépasser en fière batelière"


Alors, courez vite lire "Fière comme une batelière " et comme Alicia, vous aurez envie de vivre sur une péniche au fil des eaux.
Merci Nemorino pour cette belle lecture en ce dimanche lumineux.


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Après l'émouvant Voyage impaisible de Pauline dont les pudiques accents autobiographiques rendaient charmantes jusqu'aux imperfections et petites inexactitudes de langage d'une Ukrainienne à Paris, Maryna Uzun s'est lancée dans ce que l'on pourrait appeler une autobiographie par procuration : elle se fait la voix, disparue au moment de l'écriture de ce livre, de la grand-mère d'une amie, pour relater, à la première personne du singulier, le récit de sa vie mouvementée.


La matière du récit, c'est Alicia, jeune femme fascinée par la personnalité et par le parcours de sa grand-mère Irène, qui l'a rassemblée par bribes, au gré des confidences que, profitant de leur grande complicité, elle s'est attachée à encourager chez la vieille dame. La narration reconstitue donc ces échanges, dévidant chronologiquement les souvenirs égrenés par Irène elle-même, ponctués des commentaires souvent exclamatifs de la plus jeune, clairement en adoration. Il faut dire que la belle Irène, frondeuse et passionnée, ne devait pas avoir la langue dans sa poche et son récit, débordant de verve, coule comme le fit sa vie, en un fleuve se moquant des obstacles.


Née au quart du XXe siècle, entre Sambre et Meuse, d'un couple de bateliers, Irène grandit avec ses dix frères et soeurs dans une vie de dénuement, rude et nomade, alors que les péniches avancent encore au pas des chevaux et des hommes de trait. Jamais scolarisée, elle parvient à l'âge adulte avec pour tout bagage une dureté au travail et un tempérament de feu qui vont lui faire empoigner son destin à bras le corps. Comme sa mère avant elle avait tout quitté pour un coup de foudre irraisonné qui devait lui coûter cher en désillusions, la voilà qui, à la fin de la guerre, s'enfuit avec son amoureux, un beau Calabrais lui aussi plein de déceptions à venir. Alors, puisque décidément les hommes sont faibles en ce bas monde, c'est elle qui endossera dorénavant le rôle de chef de famille, tournant le dos à cette Calabre, en ruines après-guerre, qui n'attendait d'elle qu'effacement et résignation, pour se tailler une vie à sa mesure dans sa Belgique natale. Les houillères y accueillant à bras ouverts les travailleurs immigrés, elle élèvera courageusement ses enfants dans la misère des corons, tandis que son homme troquera le soleil méditerranéen pour l'obscurité poussiéreuse des mines de charbon. Une fois ce dernier vaincu par la silicose, elle s'usera sans compter à coiffer les femmes du quartier, ouvrant son propre salon et accédant enfin à un statut et à une aisance acquis de haute lutte.


Sur un fond historique et social assez sommairement esquissé, la narration s'attache avant tout au portrait, volontiers superlatif, de cette indomptable battante qui, tout en assumant sans broncher les conséquences de ses choix passionnés, sut triompher avec humour et bonne humeur de ses origines sociales, de sa privation d'éducation et de sa condition de femme. Quelques nuances se font bien jour, aussi brèves que tardives, quand, Alicia peinant à se remémorer le détail de ses conversations avec sa grand-mère désormais décédée, récolte des sons de cloche un peu moins univoques chez d'autres membres de la famille. Peu importe, la légende de la fière batelière restera ce qu'en auront retenu, avec peut-être un brin de naïveté et surtout pas mal d'emphase, Alicia et sa plume Maryna Uzun. Ces deux-là ont en commun l'exaltation presque enfantine de leur admiration, encore exacerbée par le lyrisme poétique d'une écriture aux envolées exubérantes. Et comme, cette fois sans légitimité dans l'histoire, les petites bizarreries de langage nées d'une expression originellement non francophone viennent pour le coup jouer les trouble-fête, l'on finit malgré soi avec le sentiment qu'une correction plus attentive, en même temps qu'un peu moins de candide impétuosité, aurait pu rendre ce livre bien meilleur.


Malgré ses imperfections, La fière batelière reste une histoire attachante, pleine de la tendresse d'une jeune femme pour une aïeule qui, sans ce livre, serait restée l'héroïne invisible et oubliée d'un quotidien modestement anonyme.


Un grand merci à Maryna Uzun, alias Nemorino, pour l'enthousiasme de son partage.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Une batelière, un mot qui résonne comme une douce invitation à voyager au fil de l'eau. En effet, Maryna Uzun rend hommage dans ce court récit à ces habitants de l'eau, passionnés, fiers, à ces amoureux des cours d'eau, fleuves, rivières ou canaux.
Dans ce monde à part où l'amour de l'eau et le métier de batelier se transmettent de génération en génération, l'autrice invite ses lecteurs à un pas de danse, un pas de deux entre une grand-mère, Irène, et sa petite fille, Alicia, avec qui elle a une vive affinité.

*
Qui n'a pas rêvé de vivre sur une péniche ?
Lorsque je vois celles de particuliers, amarrées sur les berges de la Seine, si bien entretenues avec leur magnifique terrasse sur le pont, cette vie de bohème sur l'eau me fait rêver. Alicia imagine aussi vivre dans ce cadre de vie fort agréable, le plein air, la nature et les voyages pour seuls voisins.

Pourtant, le métier de batelier est rude, dans un monde qui reste masculin. Issue d'une famille de mariniers belges, Irène va se confier à sa petite-fille et lui raconter son histoire, celle aussi de ce beau métier qui a évolué avec le temps et qui lie les hommes à leurs embarcations.

« Les vagues caressent ma carcasse. Je me figure couchée sur la berge chérie où mes souvenirs se sont entassés depuis sept décennies. Je les entends s'approcher en douce, sensuellement, comme si elles m'incitaient :
« Embarquons-nous, vent en poupe, dans un nouveau délire ! » »

On part pour une parenthèse à la fois hors du temps et très ancrée dans le cours de l'Histoire. En remontant le cours de la vie jusqu'à la fin du XIXe siècle, Irène rend compte d'un siècle en mouvement marqué par les deux guerres, par les privations, par l'évolution des transports et par conséquent du métier de batelier, les bateaux autrefois tirés par les hommes, puis par les chevaux, et enfin équipé d'un moteur électrique.
L'autrice entrelace les conversations passionnées entre les deux femmes et les souvenirs d'un temps révolu. La vieille femme vogue et cabote le long de son histoire familiale semée d'embûches, s'arrêtant entre autres, sur son enfance difficile, sur l'émigration massive des italiens vers les mines belges à la fin de la Seconde Guerre mondiale, sa rencontre avec son beau et séducteur Calabrais, Rafaele.

« … j'ai immédiatement été séduite par lui, ce gouffre noir qui révèle des pupilles incandescentes. le coeur efface les frontières. »

Elle nous parle de ses parents, de Mathilde, femme instruite et hautaine, mère mal-aimante emportée par un amour fou et aveugle pour son batelier superficiel, illettré, violent et volage. Et petit à petit, on entre dans cette famille, on fait leur connaissance, on descelle leurs qualités, leurs défauts, leurs petitesses, leurs peines, leurs remords.

*
Irène est un très beau personnage féminin portée par une force étonnante et sublime qui semble se transmettre de mère en fille. Séduisante, entière et généreuse, obstinée et indépendante, intelligente et travailleuse, j'ai aimé sa force de caractère, son regard confiant sans cesse porté vers l'horizon, son énergie et sa détermination à déplacer des montagnes, sa volonté de se cultiver et de sortir de sa condition, sa jovialité malgré les coups durs de la vie, sa détermination à passer toutes les écluses qui jalonnent sa vie pour protéger les siens et les sortir de la misère.

*
J'ai retrouvé avec plaisir l'écriture de Maryna Uzun, sa verve pétillante et son style bien particulier, son écriture créative et sa culture artistique, le plaisir de la langue que l'autrice aime tant triturer, pétrir et malaxer, découdre et recoudre avec originalité, humour et fantaisie. J'ai retrouvé son écriture fine, recherchée, virevoltante, décalée, ainsi que sa plume élancée qui s'amuse de jeux de mots et ne cesse de s'encrer de poésie.

« La paix niche, toujours, dans ton âme trempée ! »

Mais l'autrice a su se renouveler : en effet, j'ai ressenti une envie nouvelle, celle de coller à ses personnages par un vocabulaire plus simple et mesuré.

« Évite le trop de raffinement qui jure dans la bouche de quelqu'un de simple. Ta grand-mère, c'est de la soie brute ! »

Est-ce pour cela qu'il m'a fallu quelques pages pour entrer dans l'histoire, comprendre le changement de styles, sentir cette alternance entre présent et passé dans les échanges entre les deux femmes où se nichent souvenirs et confidences ?

*
Malgré le format très court, Maryna Uzun aborde de nombreux sujets qui m'ont plu : la dureté de la vie quotidienne au temps de nos grands-parents et arrière-grands-parents, la travail pénible de batelier puis celui éprouvant de mineur, l'exil et la souffrance liée au déracinement.
J'ai trouvé aussi intéressant la façon dont l'écrivain et son écriture deviennent le passeur d'une histoire.
De même dans les dernières pages du roman, le regard des descendants se croise pour nuancer le portrait de cette femme singulière au parcours si atypique.

« Irène...
Derrière ce prénom, que de ruisseaux murmurent !
Une sirène leste ou reine nonchalante,
C'est elle qui se sent comme un poisson dans l'eau
Dans ma Seine irisée à l'instar du colvert !
Ses yeux bleus ont connu les larmes des départs
Qu'elle a su dépasser en fière batelière. »

*
Merci Maryna pour ces pages que vous m'avez offertes. Les parcourir a été comme ouvrir les albums de photos de famille, l'occasion de voyager dans le temps, retrouver les personnes que l'on a aimées et qui ne sont plus là. Chaque souvenir est comme une photographie qui capturerait des instantanés de la vie quotidienne, des moments qui ont compté.
A découvrir.
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Citations et extraits (92) Voir plus Ajouter une citation
J’arpente de nouveau dix kilomètres dans le bois, entre Avricourt et Héming, et l’aperçois ! Il vient à ma rencontre sans savoir où exactement me trouver. Le destin veille ! Il agite les bras, remue l’air et s’exclame : « Whou-ou-ou-ou, vento porta moi ici ! » Le vent l’a convaincu de cheminer par là !? Dans un éclat de gaieté et d’émotion, nous nous roulons sur le sol glacé. Nos sens ont parlé. Nous nous embrassons goulûment… quoiqu’à la volée ! Nous sommes pressés de nous abriter parce qu’il est un fugitif et que notre plaisir a besoin d’un coin doux et tiède pour éclore. Et pourtant je n’arrive pas à m’empêcher de lui dévoiler mes pensées, de lui embraser le dedans, à la naissance de cet amour : « Attends ! J’ai envie de tes paumes caressantes ! Contemple dans le bleu de mes yeux cette mer languissante ! Autant ma maman était aveuglée par son batelier, malgré ses beuveries et ses coucheries démesurées, autant tu m’éclaires, toi, le soleil d’Italie, alors que je vivais dans l’ombre ! Ta voix chaude m’enflamme par les mélodies de ton pays. Ne ris pas de ce sourire qui semble m’avaler toute crue, toute nue, si menue ! … Je vois que tu ne comprends rien à mes délires, mais comme je savoure ça, de m’exprimer, me lâcher ! J’ai tellement de manque de mots prononcés depuis que je suis née !"
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« Que penses-tu, mon apprentie-risque-tout, de cet itinéraire plein de tohu-bohu ?
— Irène, tu me défies ! Pour l’instant, je m’imprègne des ambiances, trop différentes de mon existence sage quoique travailleuse également. Je déborde d’étonnement envers les bateliers, mais pas encore d’admiration. Dans mon adolescence, les élèves de ma classe m’intimidaient, me traitaient de main blanche qui ne se dispose qu’à dessiner, qui ne se défoule jamais, ne connaît pas l’action, craint les tâches ménagères… Qui n’est même pas capable de cuire un œuf, quoi ! En résumé, je me gave d’aliments purement et noblement intellectuels. Je me méfie des gros chiens, m’effraye devant les chevaux. Je mentirais si je te manifestais mon emballement d’emblée. Le sexe pour le sexe, mêlé de brutalité et, par-dessus le marché, de crasse, ça m’éjecte de la péniche, moi, la pro de la sublimation des pulsions libidineuses ! J’attends que tu me démontres que, dans une « basse condition », on est pareillement en mesure d’accéder à un je-ne-sais-quoi dont je peux rêver à mon tour. Quoi qu’il se produise, je deviendrai aussi instruite sur les cours d’eau et les villes qu’ils traversent, que tes haleurs-hydrographes !
— Je suis consciente que ce n’est pas de la prétention de ton côté. Pour que les ailes poussent, il faut que la personne soit aisée, qu’elle ait des loisirs lui permettant d’aller « au-delà ». Si tous ses efforts se réduisent à combler les premières nécessités matérielles, la joie de la création lui est fermée. Au meilleur cas, il lui reste l’amour cru, malheureusement fuyant, succédé par la trahison, la frustration ou la violence. N’empêche que, par tes multiples questions, tu as l’air d’aimer chercher le noyau qui se dissimule sous les feuilles de mon cerisier aux branches chargées, en espérant qu’il se change, à ton oreille intérieure, en joyau !
— Il n’y a pas que l’amour cru qui appartienne aux pauvres, il y a souvent, en plus, leur bonté inépuisable, leur générosité, que les enfants gâtés ne possèdent pas. Et surtout, il demeure leur faculté d’être heureux avec si peu… Je m’aperçois qu’il y a d’autres « ailes » que celles de la création… »
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Conviction, Espérance, Passion, voilà ce que je lisais hier soir sur la figure fière d’Irène alors qu’elle pose pour un photographe sur les marches de son atelier capillaire. En revanche aujourd’hui, j’ai remarqué un subtil plus : ce sont des ronds, en bas de l’image, en guise de hublots insolites ! Ces percées anodines dans le mur étaient utilisées simplement pour la décharge du charbon dans les caves et l’aération. Cependant mon observation aurait plu à Irène. C’est un drôle de hasard, à moins que, la coquine, elle ait prémédité le coup ! Les péniches parisiennes me fascinent unanimement par leurs exquises fenêtres au ras du fleuve... Je suis maintes fois tentée de les « immortaliser », surtout si l’encadrement de chacune est différent et représente une nouvelle couleur de l’arc-en-ciel ! Souvent, je ne capte que la partie inférieure des barges et ces oculus. Irène, dans les ondes des chevelures, est donc de retour sur sa mignole !
Toi, dont la vague combative déferle, je te salue ! Tu estimais cela si triomphant, l’idée de parler de soi parfois à la troisième personne, pour se procurer des forces calmes, s’observer avec détachement… Ton cœur rêvait que je m’abreuve de ses élans, que je m’imprègne de ses émotions et pensées, pour te les renvoyer plus abondants, magnifiés, plus limpides. Ma mascotte, ta foi semble avoir déteint sur moi !
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— Maman, depuis des décennies, tu n’as du ravissement que pour Irène, tandis que tu es le portrait craché de Raffaele, par le visage ! Réfléchis : la douceur de vivre méridionale lui a joué un mauvais tour ainsi qu’à beaucoup de jeunets, du moins à cette époque. A-t-il, un jour, choisi son chemin ? Un père lunatique à la suite de la mort de sa première femme adorée, une mère merveilleuse mais aveuglée par un charlatan, un pensionnat autoritaire, une guerre affreuse, une prison en Afrique, un transfert en Alsace, une batelière qui, sans crier gare, le désire à la folie, des copains qui l’attirent dans un farniente permanent, une mine de charbon où il est obligé à ramper au lieu de souffler dans la clarinette… Sa dernière contrainte est indéniablement la pire pour lui : pendant que le manque de respiration lui arrache la vie, voir Irène toujours dynamique et convoitée… »
Mon discours enflammé déclenche les larmes, si bénéfiques, à nous deux.
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"Mon cœur se penche sur la barge qui, dans le passé, sillonnait la Seine, elle aussi. À son bord, œuvrait la délicieuse Irène que je ne suis plus… "
Je la rassure du contraire : " Si ! Cachottière enjôleuse ! J’ai l’intention de savourer cette époque jusqu’à la moindre brindille ! "
Irène m’a consacré quelques heures, ce jour-là, en septembre 1998, pour témoigner de son aventure " amphibie ". L’endroit s’y prêtait, le ciel était à la fête. Son monologue l’a ramenée dans un univers qu’elle seule embrassait, pendant que je gardais le silence. J’ai toujours un bloc pour dessiner sur moi. Mon œil et mon oreille m’ont servi non pas à esquisser des paysages mais à noter rapidement les lambeaux de phrases, pêle-mêle et avec si peu de chronologie, qu’elle a prononcées. Mon idée d’écrire un roman à quatre mains, comme deux pianistes jouant Schubert, sachant que ses états d’âme et ses anecdotes y primeraient, l’a enchantée fortement.
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