Sauver les phénomènes

"Sauver les phénomènes" est un récit aussi bref que saisissant : le sauvetage, à l'aube de la Seconde guerre mondiale, de ce qu'il est convenu d'appeler depuis les "archives Husserl". Plus que l'aspect littéraire qui n'appelle pas de commentaire particulier, c'est leur intérêt historique exceptionnel qui confère à cette centaine de pages une valeur certainement unique.

Lorsque le père franciscain Herman Van Breda, alors étudiant en philosophie à Louvain, est entré en contact avec la veuve du philosophe d'origine juive Edmund Husserl, décédé depuis peu, la chape du nazisme n'a cessé de se renforcer dans l'Allemagne de 1938.

Le propos initial de Van Breda était de compléter un travail universitaire consacré au philosophe, et il lui était apparu opportun de se rendre lui-même à Fribourg, où résidait Mme Husserl chez qui il savait pouvoir trouver des sources indispensables à sa recherche.

Lors de ce premier voyage, il prend aussitôt la mesure de la masse de documents laissés par Husserl, la plupart inédits, et perçoit très vite leur caractère inestimable dans la perspective d'une meilleure compréhension ultérieure de l'oeuvre du philosophe. Il résout alors - avec une bonne dose d'inconscience ou, si l'on est croyant, une foi qui renverse les montagnes - de les sauver pendant qu'il en est encore temps - l'on est en pleine crise de Munich, c'est-à-dire à deux doigts de la guerre - et ce quels qu'en soient pour lui les risques.

Le récit décrit les trésors d'ingéniosité et de ruse que le franciscain va devoir employer pour parvenir à ses fins, recourant à une chaîne de solidarité passant, entre autres, par des religieuses allemandes, des diplomates belges et l'université catholique de Louvain.

Van Breda aurait pu faire de son aventure peu commune un véritable roman policier. Il est probable qu'il n'en avait ni l'envie ni la tournure d'esprit. Toujours est-il que son texte se découvre avec avidité et une manière de jubilation. Cette petite histoire dans la grande est on ne peut plus saisissante et montre les ressources d'intelligence autant que les capacités de résistance des individus face aux pires oppressions.

Ces événements à peine concevables lorsque l'on songe aux conditions de l'époque, m'étaient tout à fait inconnus. Il faut rendre ici hommage aux éditions Allia pour avoir exhumé une pépite qui ravira beaucoup de monde, et pas simplement les philosophes ou les historiens.