Ses coups de pieds me faisaient presque aussi mal que ceux de Jean-Mathieu. L’un frappait dehors, l’autre dedans. L’intrus affichait sa puissance en me martelant le ventre, il me rappelait jour et nuit qu’il tenait bon, qu’il me volerait ma liberté.
[...]
Instinctivement, tel un animal sauvage, j’ai amené sa tête sous mon nez. Je l’ai reniflé. Mes lèvres touchaient sa chaleur. Sans m’en rendre compte, j’ai posé un baiser sur son front. Hors de moi, l’intrus se transformait en enfant. Hors de moi, il possédait une existence propre, une individualité surprenante, inexplicable. J’osais à peine le regarder. Il gigotait de tous ses membres entravés. Hors de moi, ses coups de pied ressemblaient à des caresses.
Toujours est-il qu'accuser un puissant revient à se mettre en danger.
Je compris ce jour-là que l’identité propre d’une femme se résume à son prénom, son nom étant toujours celui d’un homme.
L'héroïsme se mesure avant tout à la conséquence du geste posé.
Les adieux déchirent, les adieux émiettent, les adieux décousent l'assemblage d'une vie.
Pour renaître, il faut avoir en amont avoir vécu. Il faut avoir frôlé la mort, respiré son odeur, entendu son ricanement. Un retour est toujours le fruit d'un départ et un départ est toujours la graine d'un choix.
Le puzzle commençait à prendre forme. Les contours placés définissaient le tri des pièces à poser à l'intérieur en partant du bas. Les emboîter une à une, en remontant peu à peu vers le haut, recréer l'image entière du ou des coupables.
Vous savez, Madame, je ne suis ni aveugle ni sourde et si je suis muette, c'est uniquement par nécessité. Une gouvernante a des devoirs, celui de se maîtriser en fait partie. Il n'empêche, j'ai mes opinions.
Parfois, une vie peut être longue, même si elle compte peu d'années. Tout dépend de ses drames, ce sont eux qui étirent les jours. Quant au poids d'une existence, il se mesure en douleurs, hélas, inexorablement. Le bonheur, lui, est un ensemble de légèreté, une bulle d'air parfumée, un impalpable souffle salutaire.
Je compris ce jour-là que l’identité propre d’une femme se résume à son prénom, son nom étant toujours celui d’un homme.