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Critique de Bouteyalamer


De retour de Colmar où j'ai vu sa magistrale exposition au musée Unterlinden (bien des toiles sont inspirées du retable d'Issenheim), j'ai lu la chronique chinoise de Fabienne Verdier. Dix ans en Chine, dont quatre au fond du Sichuan avec une très modeste bourse du gouvernement chinois, deux ans à Shanghai avec une bourse d'ethnologie financée par une fondation américaine, et enfin 4 ans à Pékin comme attachée à notre ambassade. L'essentiel — en termes de récit et de formation — se passe à Chongqing dans les années 80, peu de temps après le désastre humain, économique et civilisationnel de la Révolution Culturelle. Tout est pauvre, bouleversé, suspicieux, personne ne parle le mandarin mais seulement le dialecte local, les maîtres classiques ont été exécutés, exilés ou découragés. Il faut à « Mademoiselle Fa » un courage et une patience exceptionnels pour se faire accepter par les professeurs et les élèves qui ne pratiquent que le réalisme révolutionnaire, craignent de se compromettre (on l'empêche longtemps d'apprendre la langue locale), puis pour retrouver la trace d'un maître classique mais déconsidéré, et faire admettre au commissaire politique, à la hiérarchie universitaire et au Maître lui-même de lui apprendre la calligraphie et la peinture. Elle passe des mois à graver des sceaux, former des traits, écrire des poèmes et copier des paysages anciens, pour enfin peindre à quatre mains, alternant les touches avec celles du vieux Maître, et surtout obtenir sa confiance et son amitié.

On ne s'arrêtera pas à la forme du texte. « Mademoiselle Fa » exprime son admiration pour tout ce qui est spontané et traditionnel et son aversion pour le poids des contraintes administratives et politiques. Elle ouvre des guillemets pour faire dire au Maître de longues tirades pédagogiques opposant la Chine à l'Occident, comme si l'Occident était un et que son maître le connaissait. Certains y verront le besoin d'un père et celui de souffrir, mais peu importe, il s'agit d'une initiation autant que l'apprentissage d'une discipline technique, l'admiration est sincère, l'expérience longue et courageuse, et beaucoup de peintres ont souffert, de Buonarroti à Van Gogh. « Pour lui, la calligraphie était un organisme vivant. Il fallait débuter par un apprentissage intérieur, par l'attitude mentale et physique nécessaire pour donner vie au trait. J'ai mis quelques années à m'y entraîner ». « Il était difficile de le suivre ; il disait une chose et son contraire le lendemain. Son enseignement n'était jamais un discours, une démonstration, une théorie. Il procédait par touches, à la fois opposées et complémentaires pour que, peu à peu, je parvienne de moi-même à l'équilibre. J'avais l'impression qu'il m'apprenait à marcher sur une corde raide, comme un funambule ».

Et puis on y retrouve l'artiste contemporaine, son travail sur les fonds, son usage étonnant du pinceau (toujours vertical, qui peut dépasser 30 cm de diamètre) ; la recherche d'un geste rapide après une longue réflexion ; l'inspiration mystique ou tellurique ; et mieux encore, l'étonnement devant le travail achevé, pourtant longuement préparé : « Il m'a aussi appris à charger d'encre le pinceau car, dans son manteau de crin, se trouve une réserve intérieure qu'il faut apprendre à maîtriser à la verticale. Il s'agit de prendre conscience de la pesanteur et de la gravitation universelle, le pinceau devenant alors un véritable pendule, un lien entre l'univers et le centre de la terre ».
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