Citations sur Un féminisme décolonial (17)
L'écriture du passé et de l'histoire des femmes racisées n'a pas eu la même trajectoire que l'écriture féministe européenne parce qu'il ne s'agissait pas de la même démarche. Pour les racisées, il ne fallait pas combler une absence mais trouver les mots qui redonneraient vie à ce qui avait été condamné à l'inexistence, des mondes qui avaient été jetés hors humanité.
J’ai aussi appris très tôt que si l’État veut écraser un mouvement, il a recours à tous les moyens, à toutes les ressources qui sont à sa disposition d’une part pour réprimer, d’autre part pour diviser les opprimé•e•s. D’une main il frappe, de l’autre il cherche à assimiler. La peur est une de ses armes favorites pour produire confor- misme et consentement. J’ai rapidement compris le prix à payer pour se permettre d’échapper à l’in- jonction : « Ne te fais pas remarquer, ne proteste pas trop, et tu n’auras pas d’ennui. »
On le sait, les femmes blanches n’aiment pas qu’on leur dise qu’elles sont blanches. Être blanc a été construit comme étant si ordinaire, si dénué de caractéristiques, si normal, si dépourvu de sens que, comme le signale Gloria Wekker dans White Innocence. Paradoxes of Colonialism and Race, il est pratiquement impossible de faire reconnaître à une Blanche qu’elle est blanche. Vous le lui dites, et elle est bouleversée, agressive, horrifiée, pratiquement en larmes. Elle trouve votre remarque « raciste ». Pour Fatima El Tayeb, dire que la pensée européenne moderne a donné naissance à la race représente une violation insupportable de ce qui est cher aux Européen•ne•s, l’idée d’un continent « color-blind », dépourvu de l’idéologie dévastatrice qu’il a exporté à travers le monde entier.
Pourquoi se dire féministe, pourquoi défendre le féminisme, quand ces termes sont tellement galvaudés que même l’extrême droite peut se les approprier ? Que faire quand, alors qu’il y a dix ans les mots « féministe » et « féminisme » portaient encore un potentiel radical et étaient jetés comme des insultes, ils font désormais partie de l’arsenal de la droite néolibérale modernisatrice ?
Une féministe [..] se pose la question de ce qu'elle ne voit pas, elle cherche à déconstruire l'étau de l'éducation scolaire qui lui a appris à ne plus voir, ne plus sentir, à étouffer ses sens, à ne plus lire, à être divisée à l'intérieur d'elle-même et à être séparée du monde. Elle doit réapprendre à entendre, voir, sentir pour pouvoir penser. Elle sait que la lutte est collective, elle sait que la détermination des ennemi.e.s à abattre les luttes de libération ne doit pas être sous-estimée, qu'ils utiliseront toutes les armes à leur disposition, la censure, la diffamation, la menace, l'emprisonnement, le meurtre. Elle sait aussi que la lutte est porteuse de difficultés, de tensions, de frustrations mais également de joie et de gaîté, de découvertes et d'élargissement du monde.
Lutter contre le fémi-impérialisme, c'est faire resurgir du silence les vies des femmes "anonymes", refuser le processus de pacification et analyser pourquoi et comment les droits des femmes sont devenus une arme idéologique au service du néolibéralisme (qui peut tout à fait soutenir ailleurs un régime misogyne, homophobe et raciste).
Le capitalisme est une économie de déchets et ces déchets doivent disparaître aux yeux de celles et ceux qui sont en droit de jouir d'une vie bonne. [...]
Ce que je veux souligner, ici, c'est que cette économie de production de déchets est inséparable de la production d'êtres humains fabriqués comme "rebuts", comme "déchets". Toute une humanité est vouée à effectuer un travail invisible et surexploité pour créer un monde propre à la consommation et à la vie des institutions.
La projection, devenue l'un des mécanismes typiques du discours raciste - "ce n'et pas moi, c'est l'autre" ou, en traduction, "ce sont les minorités racisées qui sont racistes, elles voient le mal partout" - préserve ici le sujet d'avoir à faire face à son propre racisme. "La culpabilité et les réactions défensives sont les briques d'un mur sur lequel nous bitons toutes ; elles ne conviennent à aucun de nos futurs", a écrit Audre Lorde.
Réécrire l'histoire des femmes, c'est suivre le chemin ouvert aux Etats-Unis, en Amérique centrale et du Sud, en Afrique, en Asie, et dans le monde arabe, pour mettre au jour les contributions des femmes indigènes, des femmes noires, des femmes colonisées, des féminismes antiracistes et anticoloniaux.
... le féminisme blanc n'a jamais accompli sa décolonisation.