"Il faut savoir se contenter de peu, surtout en prison, et comme toute idée de femme m'était interdite de par la force, force me fut donc de me résigner."
Et m’y voici au « cachot », muni de legere à copier dix fois avec le français en regard. Un cachot d’ailleurs sortable, lumineux, sans rats ni souris, sans verrous (un tour de clef avait suffi), de quoi s’asseoir, et, — moindre chance — de quoi écrire, et d’où je sortis au bout de deux petites heures, probablement aussi savant qu’auparavant, mais à coup sûr plein d’appétit, tôt assouvi, d’amour de la liberté (la bonne, qui est l’indépendance) et qui sait ? de cet esprit, vraisemblable, d’aventure, qui, trop débridé, m’aura jeté dans les casse-cou d’un peu tous les genres !
Cette fois j’étais bel et bien coffré. Et je fus admis à la pistole des condamnés. Une liberté relative : les portes des chambres ouvertes de six heures du matin à huit heures du soir, et l’accès des prisonniers les uns chez les autres. Une vingtaine environ de « camarades » dont plusieurs français, ce qui me flatta peu d’ailleurs.
Rimbaud, malgré son extraordinairement précoce sérieux qui allait quelquefois jusqu'à de la maussaderie traversée par des foucades d'assez macabres ou de très particulières fantaisies, et moi, resté gamin en dépit de mes vingt-six ans sonnés, avions ce jour-là l'esprit tourné au comique lugubre, et, cabrionesques, n'allâmes-nous pas nous aviser de vouloir "épater" les quelques bonnes têtes" e voyageurs là consommant bouillons, pains fourrés, et galantines arrosés de vin d'Algérie trop cher !
Quand vint mon affaire, une espèce de silence se fit dans l'auditoire assez nombreux ce jour-là. J'étais une espèce de monsieur dans la région, en outre d'une réputation assez détestable que j'y avais : un de Rais mâtiné de plusieurs Edgard Poe qui auraient compliqué leur rhum et leur cas d'absinthe et de Picon : tel moi dans l'imagination de passablement de mes voisins accourus à la ville pour voir juger "le Parisien".
Rue Chaptal. Presque au coin de la rue Blanche, à droite en venant de Notre-Dame de Lorette. Une grille monumentale sur une cour pavée, menant au réfectoire de la pension L... A main droite, une petite porte donnant accès à l'intérieur de l'établissement, aux côtés de laquelle, accrochés, deux panneaux noirs portaient en lettres d'or des sciences et arts divers enseignés dans l'établissement. Un immense mur avec des défenses interminablement longues, lourds caractères officiels à demi effacés par les intempéries, d'afficher et de déposer des ordures, en vertu de telles ou telles lois de telles années déjà très anciennes, et, derrière, le dépassant d'à peu près un mètre et demi, les constructions basses des études et des dortoirs.