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Critique de Arthur409


Voici un roman de Jules Verne moins connu que ses grands « best sellers » que sont « Vingt mille lieues sous les mers », « Michel Strogoff » ou « de la Terre à le Lune ». J'en ai eu connaissance en faisant quelques recherches sur les récits imaginaires de voyages dans l'espace. Puis j'ai eu la curiosité de télécharger le roman complet sur ma liseuse, et me voilà parti avec le capitaine Hector Servadac et ses compagnons, pour un voyage de deux ans dans le Système Solaire.
Je ne vais pas raconter l'intrigue en détails, car Jules Verne le fait beaucoup mieux que moi, et, d'autre part, les héros de l'histoire ne découvrent que progressivement qu'ils sont embarqués sans avoir pu s'en rendre compte, dans une aventure spatiale… Une part de l'intérêt du livre réside dans cette découverte, ne la déflorons pas.
Comme à son habitude, Jules Verne a produit une oeuvre de divertissement, mais aussi un roman didactique, dans lequel on apprendra beaucoup de choses sur le système solaire, les planètes, les comètes et les astéroïdes. Il ne nous est fait grâce d'aucun chiffre, et c'est souvent un peu dur, car malgré l'instauration du système métrique le 13 brumaire an IX (4 novembre 1800), l'auteur continue dans cet ouvrage écrit en 1877 d'évaluer les distances en lieues. Je pense qu'il n'était pas le seul à compter de cette manière, car en France certaines traditions ont la vie dure : et par exemple, seule l'arrivée de l'euro dans nos porte-monnaie a pu mettre un terme à l'expression de sommes en « anciens francs »…
Nous trouvons dans « Hector Servadac » un condensé assez complet des connaissances astronomiques de l'époque : Jule Verne s'est sans doute abondamment documenté auprès d'astronomes professionnels comme Camille Flammarion, qu'il cite au passage. Mais si la vue d'ensemble du Système Solaire est proche de notre vision actuelle, on constate qu'à l'époque les comètes demeuraient très mystérieuses, d'où des descriptions et des explications qui nous font un peu sourire aujourd'hui…
Quoiqu'il en soit l'aventure est assez prenante, il n'y a pas de temps mort, et, si on se doute bien que tout finira pour le mieux, l'intérêt est maintenu tout au long du roman pour savoir comment tout cela va se terminer.
Le ton du récit est plutôt cocardier, et l'auteur use de stéréotypes assez répandus à l'époque : le brave capitaine Servadac, prototype du militaire français, est accompagné de son ordonnance, le dévoué Ben Zouf qui, comme son surnom ne l'indique pas, est natif de Montmartre et n'aspire qu'à retrouver sa butte, les espagnols sont « insouciants par nature, fainéants par goût, aussi prompts à jouer de la navaja que de la guitare … », les anglais sont flegmatiques et irrémédiablement isolationnistes. N'oublions pas que nous sommes dans un livre destiné à la jeunesse, à laquelle il faut, en plus de l'éducation, inculquer la supériorité de la France sur les autres nations !
En faisant connaissance avec les divers personnages de l'intrigue, j'ai réalisé quelques rapprochements, et je me suis souvenu que Hergé était dans sa jeunesse un grand lecteur de Jules Verne. Et l'astronome Palmyrin Rosette d'une part, le marchand Isac Hakabut d'autre part, se retrouvent à mon avis dans les aventures de Tintin, mais en beaucoup plus sympathiques que dans le livre de Jule Verne.
Palmyrin Rosette est l'archétype du scientifique complètement absent du monde, ne vivant que pour l'astronomie, et tout-à-fait méprisant pour quiconque n'a pas son niveau d'instruction. Il ne vit que dans l'espoir d'une découverte à laquelle il attachera son nom. Il revit dans « l'Etoile Mystérieuse », sous les traits du professeur Calys, qui, au début de l'album, se réjouit de prédire la fin du monde en ajoutant : « C'est moi, Hippolyte Calys, qui ai déterminé l'heure à laquelle se produira le cataclysme ! Demain, je serai célèbre ! »
A noter une coïncidence amusante : dans le livre de Jules Verne, Palmyrin Rosette a découvert une comète, à laquelle il pense un moment donner le nom de … « Rosetta », comme la mission envoyée en 2004 vers la comète « Chouri » !
Autre personnage qui revit sous le crayon d'Hergé : Isac Hakabut. Dans « Hector Servadac », il est dépeint avec un antisémitisme très déplaisant, comme « un juif allemand, et du plus vilain côté de l'Allemagne : c'est un renégat de tous les pays et de toutes les religions ». Il est commerçant de profession : «Son vrai métier, c'était celui de marchand caboteur de la Méditerranée. Son magasin – une tartane de deux cent tonneaux, véritable épicerie flottante –transportait sur le littoral mille articles variés, depuis les allumettes chimiques jusqu'aux enluminures de Francfort et d'Epinal. (…) il faisait le petit cabotage sur les côtes d'Algérie, de Tunisie, d'Egypte, de Turquie, De Grèce, et dans toutes les Echelles du Levant. Là, Isac Hakabut, toujours bien approvisionné de café, de sucre, de riz, de tabac, d'étoffes, de poudre, etc…, vendait, échangeait, brocantait, et, en fin de compte, gagnait beaucoup d'argent. »
Oui, on l'a reconnu : c'est le Senhor Oliveira de Figueira ! Bien sûr, il est beaucoup plus sympathique dans « Les cigares du Pharaon » ou « Au pays de l'or noir », mais Hergé lui donne la même origine : ce n'est pas un « juif renégat », mais les « Marranes », juifs convertis de force au XVIéme siècle au Portugal, prenaient souvent pour patronymes des noms d'arbres (Texeira, Oliveira, etc…). Et notre Senhor porte bel et bien une kippa dans la plupart de ses apparitions. Mais remercions Hergé d'en avoir fait l'ami indéfectible de Tintin.
Une dernière remarque pour terminer cette longue critique : les héros de l'histoire, entrainés malgré eux dans un voyage intersidéral et coupés de leur monde habituel, constituent un groupe multi-national avec des russes, des français, des espagnols, une italienne… mais ce groupe se plie sans difficulté au commandement conjoint du capitaine Servadac et du comte Timascheff, doués d'une sorte d'autorité naturelle, renforcée bien entendu par leur situation sociale. On pourrait croire que Jules Verne rêve un peu, et qu'inévitablement dans un groupe isolé ayant à affronter une situation périlleuse, des tensions et des crises d'autorité se manifesteraient inévitablement. Mais j'ai trouvé un parallèle avec les récits du commandant Charcot qui, au début des années 1900, affronte un hivernage de eux ans dans l'Antarctique et réussit à fédérer autour de lui un équipage qui se dévoue entièrement à sa tâche sans aucune contestation. (A lire dans « le Français au Pôle Sud » et « le Pourquoi-pas dans l'Antarctique », éditions Arthaud)
Bon voyage avec Hector Servadac !
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