J’ai fait mon ciel d’un nuage
Et ma forêt d’un roseau.
J’ai fait mon plus long voyage
Sur une herbe d’un ruisseau.
D’un peu de ciment: la ville
D’une flaque d’eau: la mer.
D’un caillou, j’ai fait mon île
D’un glaçon, j’ai fait l’hiver.
Et chacun de vos silences
Est un adieu sans retour,
Un moment d’indifférence
Toute une peine d’amour.
C’est ainsi que lorsque j’ose
Offrir à votre beauté
Une rose, en cette rose
Sont tous mes jardins d’été.
LE POÈTE (p.165)
Je prendrai dans ma main gauche
Une poignée de mer
Et dans ma main droite
Une poignée de terre.
Puis je joindrai mes deux mains
Comme pour une prière
Et de cette poignée de boue
Je lancerai dans le ciel
Une nouvelle planète
Vêtue de quatre saisons
Et pourvue de gravité
Pour retenir la maison
Que j'y rêve d'habiter....
Deux cailloux bruns enclos
Dans leur coquilles d'eau,
D'un seul regard,
M'ont redonné la mer.
L'ARBRE QUI BOUGE...
L'arbre qui bouge et fait
semblant que c'est le vent.
L'homme qui parle et fait
semblant que c'est lui-même.
Deux cailloux bruns enclos
Dans leurs coquilles d'eau
D'un seul regard
M'ont redonné la mer.
Pour apprendre. . .
Pour apprendre à connaître
Par son nom une étoile
Et s'en faire un souvenir
Serti au métal de la mémoire,
Il m’a fallu aller
Au rendez-vous de la rivière,
A l'heure où l'aube hésite
A devenir le jour.
Pour apprendre que les villages
Ne sauraient exposer aux midis
D’un soleil trop curieux
Une âme trop fragile à mourir de clarté.
(p. 19)
Et nos corps en dérive
Iront de par la ville
Iront de par la vie
En quête de la grève
Ou vivre la sagesse
Et la paix des épaves. (167)
Des hautes profondeurs du ciel . . .
Des hautes profondeurs du ciel
Une larme est tombée
Sur terre
Et ce discret météore
Eût perforé le monde
Si mon cœur
Ce palpitant caillou d'humanité
N’en portait aujourd'hui la fêlure
Des hautes profondeurs du ciel
Une larme tombée
M'a parlé d’une peine d’étoile
Habitée par l'amour
Bel oiseau de si loin
Larme d’œil égarée
Sur ma triste planète
Te voilà faite perle
Pour la durée de ce mauvais caillou
Dont ton feu dévorant
A fait un coquillage
Plein de sel et d’échos . . .
p. 151 « Étraves »
La maison morte
Au coin de la rue aux Chimères
Il y a une maison morte
Le soir venu elle a fermé la porte
Et rendu l’âme ainsi qu’une petite fille
Harassée de chagrin de trop vivre
Elle a fermé sa porte avec un gros soupir
Et s'est éteinte doucement dans l'hiver
On a fait vœu de n’en rien dire
Et de ne point l'enterrer
A cause de la lune qui guette
Et qui se vanterait d’avoir tout vu
Mais ce que nul ne sait
C’est que la maison morte
A rendu l'âme et que son âme
Se promène toute nue dans le froid de la nuit
Dans la nuit allongée dans la rue aux Chimères
Et qu’elle chante
Une espèce de chanson malade
A propos d’une maison vieille
Qui s’en ira vivre à la mer
Dans les brumes venues du large
Et se prendra pour un navire
Avec en figure de proue
Une tête d’enfant sirène
Et sur le seuil
Un mât étrange aux vergues pourvues
De mains d'homme
Au coin de la rue aux Chimères
Il y a une maison morte
Elle a tout doucement fermé sa porte
Un soir d’hiver
(p. 40-41)
L'arbre qui bouge et fait
semblant que c'est le vent
L'homme qui parle et fait
semblant que c'est lui-même. (135)