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Critique de 5Arabella


Cette brume insensée est l'avant-dernier opus d'Enrique Vila-Matas, paru en 2019 en langue originale, il est traduit dès 2020 en français.

Le narrateur, Simon Schneider, est un personnage de grande culture, mais qui semble un raté total, selon les normes en vigueur. Il survit tant bien que mal dans une masure sur le point de s'écrouler, de travaux littéraires. Il officie par exemple comme « traducteur préalable », celui qui défriche les difficultés des traductions pour ceux qui vont mettre leur nom sur la couverture. Mais sa principale passion et source de revenus, sont les citations. Il les collectionne de manière compulsive, et se fait payer pour en offrir un choix à son frère, Rainer, devenu Bros. Ce dernier, après quelques écrits ratés en Espagne, a émigré aux USA où il a commis quelques romans devenus cultes, et qui ont donné lieu à des tirages importants, en faisant une star de leur auteur. A l'instar de Pynchon et Salinger, il se cache, et personne n'arrive à le rencontrer. Suite au décès de leur père, Bros convoque Simon à un rendez-vous à Barcelone, en plein referendum pour l'indépendance de la Catalogne.

C'est un livre fascinant, amusant par moments, angoissant parfois, et qui l'air de rien posent un certain nombre de questions sur la littérature, et notre rapport au monde. le monde de Simon, construit sur la littérature, semble s'effilocher, se dissoudre, les gens disparaissent, sa maison est prête à s'écrouler. Cela paraît en opposition avec le monde de succès de Bros, riche et célèbre, vivant au centre, à New York. Mais le monde de Bros ne paraît pas plus solide : personne n'a de contacts ni de certitudes sur ce qu'il est, la qualité réelle de ses ouvrages questionne. D'autant plus qu'il se présente comme Pynchon, enfin un des Pynchon, groupe d'auteurs qui écrivent à tour de rôle des livres sous ce nom. Simon laisse entendre que ce sont les citations et suggestions qu'il fait à son frère qui sont le matériel essentiel des ouvrages de Bros, qui en eux-mêmes sont en réalité assez creux ; ce sont les interprétations qu'on en fait qui construisent le sens pas forcément intrinsèquement présent. Entre des livres morts, dans lesquels Simon va chercher des extraits, et les livres de Bros qui se construisent à partir de ces extraits, et qui d'une certaines manières ne sont pas vivants, puisqu'ils sont bâtis sur des dépouilles, sans véritables transmutation, résurrection, la littérature ne semble plus pouvoir exister. Simon et Bros, opposés, mais tous les deux dans une sorte d'impasse, comme les deux faces d'une même pièce, semblent incapables de donner un nouvel élan au monde, aux mots.

Le paradoxe de ce roman, au combien brillant, est de nous donner à lire une fiction très prenante sur la thématique de la disparition, de l'impossibilité de la fiction. Vila-Matas n'est certes pas le premier à le faire, mais son livre est vraiment très réussi, et malgré son propos il nous laisse sur la sensation que la littérature a encore de beaux jours devant elle.
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