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André Gabastou (Traducteur)
EAN : 978B08BPFTX8D
195 pages
Actes Sud (02/09/2020)
3.52/5   28 notes
Résumé :
Plagiat, hommages, subterfuge et autobiographie se mêlent pour démontrer que tout est fiction et que seul le roman permet une certaine mise à distance, une "dédramatisation" de la vie. Telle est la ligne de conduite d’un écrivain qui écrit comme il respire.
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Cette brume insensée est l'avant-dernier opus d'Enrique Vila-Matas, paru en 2019 en langue originale, il est traduit dès 2020 en français.

Le narrateur, Simon Schneider, est un personnage de grande culture, mais qui semble un raté total, selon les normes en vigueur. Il survit tant bien que mal dans une masure sur le point de s'écrouler, de travaux littéraires. Il officie par exemple comme « traducteur préalable », celui qui défriche les difficultés des traductions pour ceux qui vont mettre leur nom sur la couverture. Mais sa principale passion et source de revenus, sont les citations. Il les collectionne de manière compulsive, et se fait payer pour en offrir un choix à son frère, Rainer, devenu Bros. Ce dernier, après quelques écrits ratés en Espagne, a émigré aux USA où il a commis quelques romans devenus cultes, et qui ont donné lieu à des tirages importants, en faisant une star de leur auteur. A l'instar de Pynchon et Salinger, il se cache, et personne n'arrive à le rencontrer. Suite au décès de leur père, Bros convoque Simon à un rendez-vous à Barcelone, en plein referendum pour l'indépendance de la Catalogne.

C'est un livre fascinant, amusant par moments, angoissant parfois, et qui l'air de rien posent un certain nombre de questions sur la littérature, et notre rapport au monde. le monde de Simon, construit sur la littérature, semble s'effilocher, se dissoudre, les gens disparaissent, sa maison est prête à s'écrouler. Cela paraît en opposition avec le monde de succès de Bros, riche et célèbre, vivant au centre, à New York. Mais le monde de Bros ne paraît pas plus solide : personne n'a de contacts ni de certitudes sur ce qu'il est, la qualité réelle de ses ouvrages questionne. D'autant plus qu'il se présente comme Pynchon, enfin un des Pynchon, groupe d'auteurs qui écrivent à tour de rôle des livres sous ce nom. Simon laisse entendre que ce sont les citations et suggestions qu'il fait à son frère qui sont le matériel essentiel des ouvrages de Bros, qui en eux-mêmes sont en réalité assez creux ; ce sont les interprétations qu'on en fait qui construisent le sens pas forcément intrinsèquement présent. Entre des livres morts, dans lesquels Simon va chercher des extraits, et les livres de Bros qui se construisent à partir de ces extraits, et qui d'une certaines manières ne sont pas vivants, puisqu'ils sont bâtis sur des dépouilles, sans véritables transmutation, résurrection, la littérature ne semble plus pouvoir exister. Simon et Bros, opposés, mais tous les deux dans une sorte d'impasse, comme les deux faces d'une même pièce, semblent incapables de donner un nouvel élan au monde, aux mots.

Le paradoxe de ce roman, au combien brillant, est de nous donner à lire une fiction très prenante sur la thématique de la disparition, de l'impossibilité de la fiction. Vila-Matas n'est certes pas le premier à le faire, mais son livre est vraiment très réussi, et malgré son propos il nous laisse sur la sensation que la littérature a encore de beaux jours devant elle.
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« Il avait besoin, dit-il, d'écrire un livre de non-fiction avec le cap de Creus et Barcelone comme décor qui représenterait un changement dans son oeuvre. Ou ne savais-je pas par hasard que la non-fiction rendait obsolètes les modèles traditionnels de la création ?
Non, je ne le savais pas, lui répondis-je, je n'en avais pas la moindre idée mais elle me semblait idiote parce que, pour moi, vivre, c'était construire des fictions. Il y avait en plus de multiples raisons de poids pour affirmer que n'importe quelle version narrative d'une histoire réelle est toujours une forme de fiction. À partir du moment où l'on ordonne le monde avec des mots, sa nature se modifie… »

Simon Schneider vivote près de Cadaqués, en Catalogne, dans la maison familiale délabrée du Cap de Creus qu'il n'a pas quitté à la mort de ses parents. Il vit en reclus la plupart du temps, à proximité de ses monumentales archives de citations. Oui, il vit, chichement il est vrai, de ce commerce. Il y a rajouté une compétence de « traducteur préalable » (invention de Vila-Matas ?) qui consiste à préparer le travail du traducteur qui signera finalement l'ouvrage. Mais il n'est pas submergé de commandes…

Sa seule source de revenus, c'est un écrivain américain qui le rémunère au long cours pour lui fournir des citations. Il a pour pseudonyme Grand Bros, mais son véritable nom est Rainer Schneider Reus. C'est une sorte d'auteur à la Pynchon, avec une foule d'adeptes et une volonté absolue d'échapper à ce statut par un strict isolement. C'est également et surtout son frère, qui a quitté la région de Barcelone vingt ans plus tôt. Les deux frères ne se sont jamais revus, l'auteur ne contactant son fournisseur que par de brefs messages elliptiques et ironiques.

Alors que la Catalogne est en ébullition, à cause de la tentative de 2017 de déclarer son indépendance, Simon devra sortir de son cocon pour rencontrer Rainer à Barcelone. L'auteur s'est en effet décidé à revenir sur les lieux de son passé. Mais quelles sont au juste ses intentions ?

Ce roman, aux multiples inventions, est centré sur les problématiques de l'écriture, de l'intertextualité. Il donne beaucoup à penser mais sans l'aridité qui caractérise souvent les essais sur ce sujet. La grande intelligence et la verve pétillante de Vila-Matas, trouvent ici une expression quasi-idéale. Dans une bibliographie qui, pour ce que j'en ai lu, ne comporte pas la moindre fausse note, je place cette Brume Insensée tout en haut. A peine terminé, j'ai envie de le relire !
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Ma libraire m'avait annoncé : "Le dernier Vila-Matas n'est pas son meilleur, mais il faut le lire pour la dernière phrase".

Et bien, je ne partage pas cet avis. C'est un opus bien représentatif de ce que nous offre cet auteur depuis tant d'années, même si "Le Docteur Pasavento" et ensuite "Dublinesca" restent, à mes yeux, ses chefs d'oeuvre.

Avec cette douceur et cette langueur teintées d'humour pour dépeindre le mal être de son héros, qui n'en est forcément pas un, mais plutôt le contraire et qui n'est sauvé que par la littérature, en se plongeant dans l'imaginaire d'autrui et en retenant leurs trouvailles pour continuer d'avancer sur le drôle de chemin que souvent nous offre la vie.

Le tout replacé dans le contexte politique de la Catalogne d'aujourd'hui. C'est bien la première fois que Vila-Matas nous laisse entendre ce qu'il en pense, me semble-t-il.

Et la dernière phrase ? Et bien lisez le livre et, à votre tour, vous me direz !
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Un nouveau texte de Vila Matas. Ai l'impression que cela faisait un moment que cet auteur nous a écrit.
j'ai beaucoup aimé certains de ces textes précédents et j'ai donc replongé dans ses mots.
Un homme Simon vient d'enterrer son père et va devoir abandonner cette maison au bout du monde, à Cap Creus à Cadaqués, car d'ailleurs elle est très proche du précipice. Simon est un homme de l'ombre de l'écriture, il est collecteur de citations, traducteur et nègre de son frère. Ce frère est parti à New York où il est devenu un auteur à succès, mais qui vit caché, comme le grand Salinger ou Pynchon. Il y a un accord entre eux. Mais ce grand frère lui donne rendez vous à Barcelone, après 20 ans de vie new-yorkaise. Rendez vous à Barcelone, le jour où la Catalogne revendique son indépendance.
Vila Matas va nous parler à travers ce personnage de Simon, de l'écriture, de la lecture, des "existences moindres"., des écrivains secrets.
C'est un livre à tiroirs, à miroirs et un hommage à l'écriture, à des auteurs, que ce soit Salinger, Pynchon, Toibin, des écrivains "disparus", secrets.
Des lecteurs qui se perdent dans des textes et qui ont l'impression que leur vie a déjà été écrite.
Foisonnant, l'auteur nous perd quelquefois dans les méandres des pensées de son personnage mais il est aussi dans la vie actuelle, avec des descriptions de la ville de Cadaqués, de la situation politique de Barcelone et à travers plusieurs personnages : Simon et son frère, la tante barcelonaise, le vieux peintre de Cadaqués ..
Et ce roman récit rend hommage aux écrivains qui écrivent dans l'ombre : ceux qui ne veulent pas apparaître, que ce soit Salinger et Pynchon, que ce soit les traducteurs qui nous transmettent les oeuvres, que ce soit les écrivains, collecteurs de citations (est ce que en fin de compte on n'écrit pas et on ne lit pas toujours le même livre) ou ceux qui écrivent pour d'autres.
Un texte foisonnant et qui nous incitent à découvrir d'autres auteurs, que ce soit les textes de Salinger et ceux de Pynchon, en autre.



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Hermétique ! J'aurais dû me méfier, tout était dans le titre. C'est brumeux, et ça n'a pas beaucoup de sens (pour moi du moins).
C'est le genre de livre qui tourne en rond autour de la littérature et de la théorie littéraire. La trame romanesque est ténue. Elle tourne autour d'un grandécrivain américain d'origine catalane, qui se cache du public (à la manière d'un Pynchon ou d'un Salinger, à qui il est explicitement fait référence), et dont le frère resté à Cadaquès a participé secrètement au succès en l'approvisionnant en citations (car il en est collectionneur). Ils ne se sont pas vus depuis 20 ans, et voilà qu'ils se rencontrent à Barcelone au lendemain de la déclaration d'indépendance de la Catalogne.
Ce roman est un prétexte à une théorisation du roman moderne, de l'écriture, de la place de l'écrivain, de l'autofiction, et à sa mise en oeuvre. Soit c'est génial et je n'ai pas les ressources intellectuelles ni les références littéraires pour comprendre (et donc c'est vexant), soit c'est complètement dispensable. Je peux adhérer à ce genre de projet s'il y a de l'humour, mais là, même si l'autodérision pointe quelquefois le bout du nez, je n'ai pas pu accrocher (j'ai failli abandonner plusieurs fois, ce qui n'est pas dans mes habitudes). A réserver aux amateurs de l'auteur ou de théorie littéraire.
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critiques presse (3)
LaCroix
12 octobre 2020
Dans une très belle fiction, le grand romancier Vila-Matas fait entendre les interrogations de l'écrivain aux prises avec les pièges et les enjeux du monde d'aujourd?hui.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LesInrocks
22 septembre 2020
Enrique Vila-Matas dresse le portrait fascinant et vertigineux d’un auteur aussi célèbre qu’invisible, qui pourrait bien être Thomas Pynchon himself.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
LeMonde
21 septembre 2020
Nouveau roman et nouvelle profession de foi en la littérature de l’écrivain espagnol.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
"Que ne tairais-je pas ? L'angoisse de la mort, l'angoisse que nous mourons absolument seuls et que le reste du monde continue à vivre allégrement sans nous. N'est-ce pas ce dont parle, en fait, la meilleure littérature que nous ayans connue ? La grande prose ne tente-t-elle pas d'aggraver la sensation d'enfermement, de solitude et de mort et cette impression que la vie est comme une phrase incomplète qui à la longue n'est pas à la hauteur ?".
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Le monde, tel que nous l’imaginons, n’est pas plus gros qu’une noix.”
Quelle bonne phrase ! pensai-je, pour atténuer l’adrénaline de la tragédie. Mais celle-ci n’accorda aucune importance à ma résistance et commença à me rappeler que, même s’il ne s’agissait pas de quelque chose de très connu, à tout moment une goutte brillante au milieu de l’azur sempiternel pourrait ne pas geler un jour et glisser dans les ténèbres du jamais plus et tomber le long d’une falaise éternelle, non comme une boule de neige ou un nuage mort, non comme une vieille bâtisse en ruine et perdue dans une langue de terre pénétrant dans la mer tout en haut de la Costa Brava mais comme une simple noix vide : voilà de quoi il s’agissait, d’une simple coquille de noix creuse.
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Ce qui dut jouer un rôle quand Rainer rompit définitivement avec Père en allant vivre le plus loin possible de la Catalogne, influencé, m’a-t-il toujours plu de penser, par cette phrase de Raymond Chandler qui clôt Adieu, ma jolie et pour laquelle j’avais passé une après-midi à lui demander de remarquer comme elle était bizarre. Il l’avait reconnue aussitôt comme une phrase d’une extrême beauté à tel point que, des années plus tard, il l’avait incluse comme conclusion de A New Future Is Good Business : “Il faisait beau et clair. On y voyait très loin, mais pas jusqu’où Velma était partie.”
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M’enliser dans une phrase me faisait toujours connaître un moment horrible parce que j’en vivais. Mon champ d’action étaient les versions en espagnol de livres français et portugais. C’était mon gagne-pain auquel je n’avais jamais vraiment réussi à m’habituer, parce que je n’étais pas un traducteur au sens précis du terme, mais un “traducteur préalable”, anticipant les difficultés du texte pour le “traducteur star” qui en définitive signait la traduction après que je lui avais ouvert la voie et suggéré les diverses alternatives à ces difficultés.
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À l’exception de quelques journalistes – n’arrêtant jamais d’importuner amis et proches, croyant que nous détenions des informations leur permettant de le localiser à New York –, sa première étape d’écrivain, disons la très poussiéreuse étape barcelonaise, s’effaça peu à peu. Il laissa une ribambelle de personnes insultées et d’ennemis en tout genre dans sa ville natale, mais son œuvre initiale – un fatras dont, en Amérique, il s’opposa à la réédition pour qu’elle ne lui porte pas trop préjudice – disparut de la circulation.
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Vidéo de Enrique Vila-Matas
En dialogue avec Tiphaine Samoyault Interprète : Manuela Corigliano
Un narrateur en panne d'inspiration se remémore ses années de bohème à Paris. La dèche, la mansarde, les petits trafics d'herbe : l'attirail classique de l'écrivain romantique qui aspire à la gloire d'Hemingway. Paris est une fête, c'est bien connu… En proie au doute, il commence à observer des signaux qui le ramènent invariablement à l'essence de l'écriture. Depuis la mystérieuse chambre 205, du modeste hôtel de passe Cervantes à Montevideo, mise en scène par Julio Cortázar, les symboles se succèdent, reliant Paris à Cascais, Montevideo à Reykjavik et Saint-Gall à Bogota, qui tous témoignent de l'impossibilité de l'écriture à raconter la vie. En revanche, on peut entrer dans l'espace de fiction pour transformer la vie en littérature. de digression en digression, on est happé dans un vertigineux vortex, ébloui par l'intelligence du propos, la générosité de l'auteur envers ses pairs, la finesse de son humour et une autodérision à toute épreuve.
Immense écrivain, Enrique Vila-Matas est traduit dans une quarantaine de langues et s'est vu attribuer les plus prestigieux prix à travers le monde.
À lire – Enrique Vila-Matas, Montevideo, trad. de l'espagnol par André Gabastou, Actes Sud, 2023.
Son : Jean-François Domingues Lumière : Patrick Clitus Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
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