Il faisait partie de ces hommes rentrés vivants du front et il gardait une raideur dans la jambe, souvenir d’une blessure dont il ne tirait aucune fierté. Il regardait autour de lui ce monde qu’il redécouvrait, un monde que la guerre venait de changer définitivement, un monde auquel il devait s’habituer, un monde que les femmes avaient réinventé pendant ces quatre années, un monde qu’il peinait à se réapproprier. Sans sa jambe raide il serait bien allé jusqu’à l’auberge, chez les trois sœurs. Mais le trajet l’effrayait un peu. Non pas qu’il n’en fut pas capable, mais parce qu’il redoutait de paraître diminué devant les autres et devant ceux croisés en chemin.
Marie rêvait, au contraire, de l’amour parfait, de cet homme qui, un jour, viendrait la chercher, viendrait lui dire des mots qu’elle brûlait d’entendre. Elle aimait ses sœurs, mais elle étouffait dans cette auberge trop petite pour elle, dans cette vallée trop sage, entre la rivière et le couvent. Et puis, tous ces hommes qui, chaque soir, un peu trop avinés, la regardaient avec convoitise, tous ces hommes finissaient par lui répugner.
Il en jouait, courant après toutes les femmes passant à sa portée, comme tin enfant incapable de refréner ses envies devant un étalage de gourmandises. On le disait parfois serviable, gentil. Il n’était qu’infantile et égocentrique, prêt à tout sacrifier à son plaisir, quel qu’en soit le prix.
Elle tournait les pages avec douceur, pour ne pas les froisser.
Elle s’en moquait bien. Elle, malgré son âge, plaisait encore. Qui pouvait en dire autant ? Elle se sentait fière de son amant. Elle l’aimait, malgré l’alcool, elle l’aimait, malgré son vin mauvais, elle l’aimait, malgré son égoïsme.
En attendant, les pauvres religieuses, elles y perdent leur latin !
Célestin aimait bien les religieuses, mais il savait aussi que leur façon de voir le monde ne correspondait en rien à sa façon à lui d’appréhender les choses. Il savait que, s’il commençait à donner son opinion, la religieuse finirait par lancer un « Ohhhh !
Il ne faut pas leur en vouloir. Ils sont plus bêtes que méchants.
Le temps et les heures ne semblaient pas avoir de prise sur cette femme un peu boulotte, entre deux âges, qui paraissait ne pas se soucier de son aspect physique, encore moins de trouver un mari.
Pour l’heure, elle devait prendre des allures de veuve et se pencher sur la vie d’une femme vieillie prématurément, d’une femme qui se laissait aller pour mieux se laisser cajoler.