AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Henri-l-oiseleur


Voilà un roman très amusant et même, très agréable à lire malgré certaines recherches d'écriture qui dérouteront les lecteurs non prévenus. La fiche Babelio qui le présente ne parle que de genre et de féminité (comme si c'était la même chose), obsession prévisible à notre époque. Mais quand on lit vraiment le livre, abstraction faite des modes, on ne voit nullement le roman féministe militant que la fiche laisse prévoir. Il y a certes trois personnages féminins (un personnage féminin dans un roman, ce n'est pas "une femme", voir Marguerite Yourcenar à ce sujet) : Eliane Schubert, actrice de théâtre itinérant subissant un interrogatoire désagréable et anonyme grâce auquel elle raconte sa vie dans la troupe, les pays imaginaires qu'elle traverse et les violences catastrophiques qu'elle subit ; et Amandine Odilone ainsi que Bella Ciao, qui figurent dans la troisième partie, "Dura Nox, sed Nox". Ces personnages sont d'autant moins des "femmes" (ou d'autres, des "hommes") que le rôle principal de l'ouvrage est tenu par un immortel sans "genre" ni noms précis, qui s'incarne indifféremment en êtres de l'un et l'autre sexe littéraire, notamment en Amandine Odilone et en Bella Ciao : un des noms les plus anciens de cet Immortel qui vit "d'un Big Bang à l'autre" et au-delà, est Moô-Moô : " ... derrière la cuirasse innommable de centaines de milliers de siècles et de centaines de milliers d'identités successives, d'identités provisoires et cyniquement impropres et ridicules, [il] n'est nul autre que l'infâme, le cruel et hélas indestructible Moô-Moô, ce sale prince de la suie radieuse et des flammes rigides, des flammes froides, des flammes inhabitables..."
*
Donc le héros principal est une volonté et une identité fluctuantes mais maléfiques qui habitent souvent l'espace noir et le Bardô tibétain, ce qui explique cette incertitude des identités et des sexes toujours soumis aux aléas de la réincarnation. Cette instabilité des choses et des êtres s'exprime dans une prose adaptée, en l'absence totale et significative de points (mais qui a lu Claude Simon en a vu d'autres) sans sections, phrases segmentées ou séparations. La langue est absolument jubilatoire, riche sans obscurité, jouissant d'elle-même et de son déploiement, les aventures de l'immortel palpitantes et imprévues, "le sale prince de la suie radieuse" très drôle et sympathique. Quand on ajoute à cela le goût des grands nombres et des énumérations facétieuses, on pense immanquablement à Rabelais, d'autant que la franchise sexuelle (rien à voir avec le "genre", on le sait aujourd'hui) est de mise.
*
Donc cette lecture est un plaisir verbal de tous les instants, et on s'amuse aux multiples malices et allusions de l'auteur au communisme et à divers soubresauts historiques (il y a une version magique et féminine en terre cuite de Pol Pot, Madeleine Polpotte, accompagnée d'idoles de Micki Mouse, de Latrine Mariol, des Sept Filles Belettes, de Goldodrack, avec Trotski en divinité mineure, entre autres ...) Voilà qui change un peu du pesant esprit de sérieux militant des ouvrages littéraires "de l'imaginaire" publiés en français.
Commenter  J’apprécie          200



Ont apprécié cette critique (19)voir plus




{* *}