AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HordeDuContrevent


« Je flambe dans le brasier à l'ardeur adorable ».

Cette citation d'Apollinaire sied à merveille au dernier opus d'Antoine Volodine. Goutte essentielle d'huile volodinienne, « Vivre dans le feu » concentre avec tendresse et facétie en effet tous les éléments de l'univers chamanique de ce singulier auteur qui a su développer, au fil des livres, un monde à nul autre pareil.

Ce roman est situé, comme tous les autres romans de l'auteur et également les romans de ses nombreux pseudonymes, dans le courant post-exotique qu'on pourrait qualifier, pour imager grossièrement, de post-post apo, la catastrophe étant désormais plus qu'un vague souvenir et la société entièrement détruite, quelques âmes errent et seul le clan a valeur de refuge. le post-exotisme c'est la dystopie ultime qui l'éloigne ainsi de la science-fiction pour former un courant singulier et marginal où les repères spatio-temporels ont explosé, où les codes sont autres, où rêve et réalité se confondent.

Nous faisons la connaissance du soldat Sam destiné à finir dans le feu. En effet, alors que lui et ses hommes, en terrain découvert, font face à l'arrivée inéluctable d'un nuage orangé de napalm déversé par avion, ne pouvant plus ni fuir ni se cacher, puisqu'il est certain de mourir, qui plus est dans d'atroces souffrances, il décide de faire un pied de nez à l'inéluctable et, les quelques secondes restantes, de composer un roman, un petit « roman hurlé, en accéléré ». Quelques microsecondes suffisantes, le temps d'un craquement d'allumettes, le temps d'un clignement de paupières, ou encore d'un ultime pétillement d'agonie, pour fuir dans l'imaginaire à défaut de fuir physiquement, avec dignité, face à la douleur sans doute inouïe qui déferle.

« Et vu comme ça, au jugé, je dispose d'une seconde. J'ai donc tout mon temps ».

Dans cette grandiose mais brève aventure imaginaire, Sam invente une histoire fantastique et fantasque, il s'imagine membre d'un clan composé de tantes et de grands-mères, d'une petite poignée d'oncles aussi. Les tantes de Sam cherchent à lui apprendre à « vivre dans le feu ». Des femmes belles et fortes, chamaniques, des femmes ancestrales, sans âge, qui ne sont menacées que par ce qui reste de la société, tueurs en tout genre, hommes et femmes davantage mus par la violence et les instincts primaires que par la volonté de refaire société. Cette dernière, en tant que telle, est détruite depuis bien longtemps.
Manuel pour débutants expliquant comment être dans les flammes, mentionnant la déformation de l'espace-temps à l'intérieur des flammes, travaux pratiques, expériences, anecdotes, voilà ce que lui transmettent ces tantes et grands-mères, certains hommes de la famille ayant pour destinée de vivre dans le feu. Pourquoi pas Sam ? Ainsi décident-elles de lui transmettre le flambeau si on peut dire, de lui donner de solides leçons de feu pour savoir exister dans le feu et arrêter d'être étranger au feu. Faire l'éternité entre deux flammes.

« L'habituation au feu n'est pas chose facile. J'en parlerai plus tard si les événements ne se précipitent pas ».


Si le feu nucléaire de Terminus radieux laisse place ici aux flammes du napalm, les paysages sont très proches de ceux traversés dans les autres livres de l'auteur, un paysage redevenu sauvage composé d'immenses steppes aux herbes hautes et sèches, ondulantes, vertes et argentées, aux fleurs et graminées comme les aime l'inventif Volodine, « touffes d'avoine sauvage, mirmine-bréhaigne, fière-mirmine, shizane –violette », immensités entrecoupées par endroit par des étendues désolées, anciennes mines, vestiges éparpillées d'anciens déserts industriels, ou casses immenses. La poésie émane de ces lieux désolés et hypnotise, un peu à l'image des photographies de lieux abandonnés, l'urbex.

« Jeep hors d'usage, berlines cabossées, écrasées, autocars désossées, démantelés, incendiés, caravanes éventrées, citernes vides, déchirées, camionnettes, camions, machines agricoles aux fonctions indiscernables, engins de chantier, matériel de l'armée. Coulures d'huile de vidange, odeurs jamais disparues de pneumatiques, de peinture en désagrégation, de carburants divers, de matières plastiques déjà en miettes. Un monde silencieux, puant, dangereux et désert. Un immense labyrinthe, trois dimensions qui s'étendait sur des kilomètres ».

Cette marche dans le Bardo nous plonge en mode onirique au sein d'une zone ténébreuse. L'aventure des morts ou des quasi-morts qui vont dans l'espace noir en direction d'une hypothétique renaissance ou simple survie, est une nouvelle fois mise en valeur, ici de façon très réaliste.
Roman tribal par ailleurs, cette famille dysfonctionnelle semble davantage régie par les lois claniques d'une tribu dans laquelle le noyau familial classique, père/mère/enfant, n'existe pas. La parenté concerne les oncles, les tantes et les grands-mères. le clan est la structure centrale dans l'éducation de Sam et la transmission familiale porte sur des valeurs étranges, des dons non-humains. Un clan qui casse les codes avec nos propres structures familiales et notre acception de la transmission. Les codes sont différentes, j'en veux pour preuve l'inceste qui n'est ici pas un tabou.

Alors que le sujet est atroce, mourir dans du napalm n'est pas sans rappeler de sombres moments historiques depuis l'holocauste en passant par l'image insoutenable de cette petite fille au corps ravagé, j'ai trouvé que l'humour noir était très présent et d'ailleurs dès l'incipit. Humour noir et humour fantastique lorsque l'on pense aux homoncules de Tante Yoanna qui a, en modèle réduit et à sa merci, dans une sorte de terrarium, des hommes qui dans la vie l'importune…De quoi leur faire faire ce qu'elle veut. C'est croquignolet à souhait…


Toujours aussi sombre, étrange, radicale, mais peut-être un peu moins sensorielle et poétique que mon préféré de Volodine, Des anges mineurs, mais paradoxalement plus facétieux, voire drôle, la dernière pierre de l'édifice post-exotique de Volodine n'est certainement pas la plus importante de l'édifice mais c'est sans doute la plus accessible du fait de la malice évoquée. Ce livre est d'autant plus important qu'il s'agirait du dernier livre signé Volodine dans l'épopée post-exotique, terminus incandescent qui en rend la lecture d'autant plus touchante.

Commenter  J’apprécie          8424



Ont apprécié cette critique (83)voir plus




{* *}