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Citations sur Border la bête (19)

Sur la peau de bouleau arrachée, j'écris ce qui ne trouve pas de son. Sortes de poèmes un peu fragiles que je signe de trois marques d'incisives. La morsure fait du bien, c'est en fait plus fort qu'un mot, qu'une parole, qu'un ton. Parfois les dents traversent l'écorce, une petite fissure par laquelle la lumière s'enfonce à son tour. Mordre, mordre, mordre pour apposer une signature avec la bouche puisque c'est avec elle que je goûte au corps d'Arden.
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Babine aussi change. Elle change de couleur chaque jour. Sa voix mue. Plus assurée et tonitruante, chanteuse d'opéra, gorge déployée, langue musclée, inarrétable. Cette nuit, elle est sortie de son lit, ravissante mais ingrate. Brune et intransigeante. Je ne la visite presque plus. Elle n'écoute plus personne, pas même Jeff. Elle chante, elle chante, soliste merveilleuse, et les ruisseaux alentour se joignent à elle, et ce choeur terrible se déverse dans sa gorge. Ce chant dévaste tout, se transforme en une longue griffe et éraille le sol, y creuse des sillons profonds.
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Je vais souvent voir Babine avec Jeff, il la connait bien, de tout son long. Il a arpenté les sentes d'animaux qui longent l'eau bavarde, l'eau qui ne se laisse jamais avaler totalement par l'hiver. Je sais qu'elle termine sa litanie dans le lac Petit mais je ne suis jamais allée jusqu'à sa source. Je décide d'y aller seule, voir si la rivière a plusieurs gorges, si elle fait passer entre ses lèvres un chant diphonique ponctué de notes vibratoires et d'expirations hachées. Je tente de décomposer son chant, ses chants. Voix complexe, maîtrisée. D'abord, est-ce que le mot rivière se rattache seulement à l'eau et au mouvement ? Ou bien la rivière est-elle aussi rochers, branches, feuilles, aiguilles, troncs d'arbres morts, mousse, lichen, cincle plongeur, loutre, terre, invertébrés, ombres comme le pense Jeff. La glace et la neige, un étau. Babine cascade, blanche, sur quatre étages de rochers trempés et doux, passe sa langue râpeuse sur leur dos bossu. Cette langue se fend en deux, devient reptile. D'un côté elle rigole joliment avec ses reflets auburn et verts, d'un autre elle s'impatiente et marche sur ses propres pieds, s'immisce dans une ouverture comme un filet d'air, se ride de marques de vie avant de rejoindre l'effervescence des rapides plus bas.
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Par la fenêtre, je suis la lisière de la forêt, ou plutôt la cicatrice de la forêt, puisque la route est venue la couper en deux. Nous roulons chez une femme qui a dynamité un barrage de castors sur son terrain. La hausse du niveau d’eau, engendrée par la construction de bois et de boue des mammifères, a déséquilibré la vie de cette femme. L’eau, devenue clandestine, a franchi la frontière invisible du domaine humain. La propriétaire a fermé les yeux sur ce que les castors apporteraient de bon à ses terres. Le cours d’eau gonfle oui, le lit s’élargit, et c’est une aubaine pour la biodiversité, m’explique Jeff, mais l’humain s’en fout de ça, ce qu’on veut, c’est que rien ne bouscule l’ordre de nos choses. Il se racle la gorge. Trois petits sont toujours vivants, l’explosion n’a pas atteint la hutte.
Les parents sont en morceaux. J’aimerais lui dire qu’il peut pleurer devant moi, que de toute façon je suis du côté de l’œil qui ne pleure pas, je ne verrai rien. Nous roulons à la rencontre d’une femme qui parle l’explosif. Bombarderions-nous le niveau de la mer, les tempêtes et la chaleur, si nous le pouvions ? Nous ne parlons pas, parce que les mots pour décrire ce que nous ressentons sur cette route sont laids, vulgaires et violents. Il nous faut garder de la douceur et de la force pour une portée orpheline dont le monde s’est effondré.
Arden est déjà là. C’est elle qui parle avec la femme aux explosifs. On n’entend pas ce qu’elles se disent, la femme nous a simplement adressé un mouvement de menton. Jeff n’a pas dit bonjour, j’ai hoché la tête. Arden a déjà récupéré les petits, chacun dans une caisse de transport. Nous les calons à mes pieds dans le camion. Il faut faire vite, les ramener au refuge et les installer ensemble. Limiter le stress. Je demande à Jeff si sans parents les castors sauront instinctivement construire une hutte, se nourrir, préparer l’hiver. Il dit oui. Il dit juste oui. Après tout ce temps passé à chercher les mots jutes, finalement face à la cruauté de l’humain, se taire reste peut-être la meilleure chose à faire.
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Le rire d’Arden part au galop comme un coyote en fuite.
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Jeff sourit, un sourire tordu. Il dit C’est marrant, avec ses r un peu mâchés, when I asked you where you came from, t’as rien su me répondre et là je te demande où tu vas et tu réponds finalement à ma première question. Il me fait signe de continuer. La rivière Babine, elle, ne s’est pas interrompue.
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Incipit :
Quand le vent reprend son souffle, l’air se fige au-dessus du lac Petit. La glace soliloque sous le ciel blanc, parfois elle grince des dents, se met à rire et sa mâchoire claque. Sa peau blanche gercée de bleu semble forte et prête à recevoir les baisers ardents du printemps. Il y a d’abord une expiration de brume sur les sapins baumiers, puis le froid bondit d’un bout à l’autre du lac à la manière des chevreuils en fuite. Le chant de la glace rencontre le rire de la sittelle. Les trembles nus se tendent la main, si blancs et lourds d’une neige glacée. Dans la forêt, le pas silencieux des biches alertes, le ventre rond d’une mésange sur une branche tordue, une petite martre baille, dents minuscules et poils hérissés par une couverture de neige fondue tombée d’en haut. Le matin pointe le long de la rivière Babine.
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Ton prénom (...), j'ai besoin de l'écrire autant, toujours suivi de sa virgule comme un point final qui s'incline pour te laisser passer.
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Je m’approche de la glace. Fine, elle laisse voir à travers elle l’eau sombre qu’elle emprisonne. Des sillons filiformes semblent avoir été poussés par le vent à la surface. Ils ressemblent à des anneaux de croissance sur une souche d’arbre. De petites bulles informes coagulées et enfermées dans le poing du froid. Je tapote du bout de mon gant. La glace se brise. C’est comme ouvrir une respiration dans le paysage.
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Jeff ajoute que si on fabrique un dictionnaire pour aller au-delà de la description d’un paysage comme image figée, il faut aussi faire émerger des termes pour les humains, les traces qu’on laisse derrière nous, nos odeurs, perçues par des dizaines d’êtres différents sans qu’on le sache, ou encore la violence qui émane de nous. 
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