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Critique de Kirzy


Un jeune homme écrit à sa mère. Toute la beauté du geste réside dans le fait que la mère, illettrée, ne pourra jamais lire cette lettre. Ce qui autorise le narrateur à une incroyable sincérité, souvent très crue. le procédé n'est pas nouveau, on pense forcément à la formidable Lettre à mon père dans laquelle Franz Kafka dresse un réquisitoire bouleversant, analysant cette figure paternelle terrible qui l'a construit dans la peur et la culpabilité.

Un bref instant de splendeur est un roman d'apprentissage. Océan Vuong raconte comment il s'est construit, dans la solitude, sans père, sans frère ni soeur, aux côtés d'une mère aimante mal maltraitante et d'une grand-mère schizophrène, toutes deux hantées par la guerre du Vietnam qu'elles ont fui en passant par les camps philippins avant de migrer à Hartford dans le Connecticut. Sa solitude d'enfant puis de jeune adulte est exacerbée par son altérité ( petit, pauvre, asiatique, homosexuel ).

Océan Vuong écrit sa lettre dans une liberté absolue, faisant fi de toute logique chronologique. Son récit est fragmenté, maniant audacieusement ellipses et analepses, sculpté de fragments qui errent dans les cercles de la mémoire de façon spiralaire mais revenant toujours vers l'épicentre de la construction chaotique du moi. Ainsi les vignettes sur les mauvais traitements maternels s'allument puis s'éteignent rapidement comme des allumettes que l'on frotte.

Si le texte peut sembler un peu inégal et parfois même répétitif, il est traversé d'instants de pure magie littéraire. Océan Vuong est un grand poète, capable, par la seule force de ses mots, de créer des images impressionnistes touchées par la grâce. Dans cette mise à nu, les émotions sont toutes palpables et bouleversent, comme si nos sentiments nous faisaient penser. Il parvient à capturer des sensations fugaces presque irréelles, suspendues à un fil, à partir de quelque chose de très tangible.

J'ai relu de nombreux passages tellement ils m'ont éblouie par leur intensité : lorsqu'il raconte son travail dans les champs de maïs aux côtés de migrants latinos, ou son histoire d'amour et l'éveil à la sexualité avec Trevor, un jeune Redneck avec lequel il vit une relation à la fois tendue et passionnée mais qui ne peut survivre à l'âge adulte. Ou encore les superbes pages sur la mort de la grand-mère.

Je referme ce roman autofictionnel très singulier subjuguée par la vulnérabilité et la force qui se dégage de cet auteur. Envahie par la mélancolie née d'un paradoxe : le chagrin et la liberté d'Ocean Vuong grandissent à mesure qu'il écrit son chemin loin de ses ancêtres, lui qui a fait des études, lui qui s'est réfugié dans l'amour des livres, dans l'écriture de la poésie pour se construire, à mesure qu'il tend des fils entre des mondes qui ne se touchent plus.
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