La Libraire du Caire

On peut comparer la lecture au voyage. Nous nous rendons dans des contrées lointaines pour comprendre la diversité. Se faisant, nous nous rencontrons nous-même, c'est le filtre par lequel passe l'expérience, comme à travers l'objectif d'un appareil photo.

Nous sommes devenus victimes de nos pyramides : l'idée que nous les avons construites est une pilule qui nous fait du bien, nous l'avons pendant que nos maisons s'effondrent autour de nous.

(...) à quelques exceptions près, les Égyptiens écrivent rarement des romans se déroulant dans l'Égypte antique. Le colonialisme commence par nous couper de notre passé, puis il nous oblige à nous tourner vers les colonisateurs pour le connaître.

Entreprise et gestion

(...)Mes clients trouvaient-ils ces ouvrages utiles ?
Beaucoup d'entreprises égyptiennes étaient individuelles et dirigées par une forte personnalité masculine.La figure du pharaon dominait notre culture.


( p.124)

En Égypte , les hommes ont la mosquée, le barbier et l'" ahwa", le café, où ils fument la chicha, jouent au backgammon et aux dominos, écoutent la radio, regardent la télévision et le monde passer.Les jeunes gens ont leurs clubs de sport et les femmes leur maison, dont elles sont rarement propriétaires.
Les hommes sont définis par leur activité, les femmes par leurs relations personnelles.

Je pensai au tiers lieu que nous avions créé, un espace public se prêtant à d'intenses échanges privés. Ce que nous
cherchions dans les livres, les signes, le marc de café et les feuilles de thé, c'était nous-mêmes, les autres et des moyens de survivre.

Dans mes souvenirs, comme dans les rues du Caire, le présent ne renverse jamais vraiment le passé, pas plus que les deux ne s'unissent. Tels des voisins qui se chamaillent, ils adorent vivre côte à côte dans une discorde commune.

La vente des livres est également un dialogue et, comme dans tout dialogue, il y des gens qui les mènent, d'autres qui y participent, les interrompent ou se bornent à tendre l'oreille. Les libraires dépassent le cadre de leur fonction, ils jouent le rôle de gardien, d'entremetteur, de concepteur et de détecteur de tendances.

Plus j'y pense, plus je me demande comment notre dépendance à l'égard des savoirs importés limite notre capacité d'imagination. Les cultures colonisées sont-elles tellement habituées à être altérées qu'elles acceptent inconditionnellement ce savoir comme un cadeau, sans jamais réfléchir à sa véracité ou à la réciprocité ? Les écrivains orientaux ne racontent pas autant l'Occident que ne le font leur homologues occidentaux vis-à-vis de l'Orient. A qui appartient le passé : aux créateurs de ces récits ou à leurs consommateurs ? Est-ce aux écrivains ou aux lecteurs qu'il incombe de pallier les lacunes laissées par l'aliénation coloniale ?

Dans un autre contexte, j'aurais ravalé ma salive et enduré le silence. Un ou deux mandats, puis il s'en irait. Ce n'est malheureusement pas le mode de fonctionnement des dirigeants égyptiens. Ils n'abdiquent que sous pression, celle de la main de Dieu ou de la botte de l'homme. Je redoutais des décennies de gouvernement islamiste. J'avais conscience de mon impuissance à changer l'inéluctable. Une fois de plus, je n'avais de contrôle que sur moi-même. Je planifiai mon exode.