Mahler: La symphonie-monde

"Ne regardez pas le paysage, il est tout entier dans ma symphonie", recommande Mahler à Bruno Walter venu lui rendre visite à Steinbach. Pour le compositeur, écrire une symphonie signifie: "Avec tous les moyens à ma disposition, créer un univers."

Malade de la scarlatine au début de l'été, la petite Anna (fille de Mahler) guérit rapidement. Mais sa sœur ainée l'attrape à son tour, et contracte la diphtérie. Maria est au bord de l'étouffement. Elle subit une trachéotomie. Trop tard. "Ses boucles noires et ses grands yeux bleus! Il ne lui a pas été accordé de vivre longtemps, mais il devait en être ainsi; elle devait être pendant quelques années la joie de son père et cela a en soi valeur d'éternité", dira Alma (épouse de Mahler).

Nerveux, exigeant, irascible, Mahler l'est aussi au pupitre: à Olmütz, les choristes "déclarent qu'ils sont définitivement enroués et qu'ils ne veulent plus travailler avec lui"! Et lui, à son ami Fritz Löhr: "Quand on attelle à une charrette le plus noble cheval avec des bœufs, que peut-on attendre de lui, sinon qu'il tire et transpire avec eux!"

Alma Schindler éprouvait une passion pour la musique et s'adonnait à la composition de lieder. Elle obtempéra cependant au diktat de Mahler lorsque celui-ci, au moment de l'épouser, lui demanda de renoncer à composer.

Mahler fut l'objet de caricatures qui laisseraient croire que sa musique n'est qu'un incessant vacarme. Au contraire, et à l'instar d'un Berlioz, il ne confondait pas orchestre "bruyant" et orchestre "puissant". La trame de sa musique, instable et douloureuse, est remplie d'alliages de timbres inédits et d'harmonies inattendues, et traversée de fortissimos fulgurants. Si Mahler ne laisse pas l'auditeur en paix, c'est par les accidents et les péripéties qu'il nous réserve au détour de ses partitions. Tout le contraire du confort, du ronronnement ou de l'emphase.

Et si Alma paraît étouffer à New York, Gustav (Mahler) se prend rapidement d'affection pour ce pays sans préjugé, où tout paraît possible: "Il n'est pas vrai que le dollar règne ici, il est seulement facile à gagner. On ne respecte qu'une seule chose, la capacité et la volonté." Mais il écrit ailleurs, à propos des États-Unis: "On s'y rend pendant quelques mois pour y gagner de l'argent, et puis on revient en Europe et à la musique!"