L'esclavage, la colonisation, et après...

Cette expérience de la différence au cours de rencontres interculturelles ne se limitait pas selon Diderot à un préjugé de la différence. Il sous-entend que c'est la combinaison de ce préjugé et des désirs commerciaux qui produisait les conditions propices à la cruauté de masse.

L'éviscération de toute sympathie humaine, qui se trouve au coeur des pratiques commerciales émergentes, ne touche pas seulement les entrepreneurs, les marchands, les agriculteurs et tous les producteurs ou intermédiaires de l'économie globale en voie de développement, mais aussi les consommateurs. La quête du moindre profit trouve un écho dans la consommation de biens de plus en plus nombreux, de peu d'utilité sociale, qui ne font que stimuler des pratiques encore plus corrompues et encore plus rapaces, dans le pays comme à l'étranger.

L'influence de l'or est aussi funeste aux particuliers qu'aux nations. Si vous n'y prenez garde, vous en aurez l'ivresse. Après avoir entassé, vous voudrez entasser encore ... Avares, vous serez durs, et le sentiment de la commisération, de la bienfaisance s'éteindra en vous.

Il affirme que les pulsions profondes qui se cachent derrière le commerce, et ce quelles que soient les circonstances politiques, étouffent nos sentiments de compassion les plus élémentaires ainsi que nos autres instincts positifs envers les autres. Pour commencer, il considère que, en règle générale, les êtres humains ne respectent pas les règles de probité. Par conséquent, l'expansion et l'importante croissante du commerce prêtent à la malhonnêteté, à la corruption et à un large éventail d'injustices sociales dont les conséquences sont souvent tragiques en Europe comme à l'étranger.

Par conséquent, le point de vue de Diderot rejoint l'image traditionnelle des théories des Lumières sur le commerce, puisqu'il peut, sous certaines conditions, produire des liens sociaux pacifiques en rassemblant des peuples séparés autour d'un même objectif de survie et de prospérité collective. Il est cependant fondamental de noter que, dans ces passages, le terme "commerce" - "l'intérêt général qui doit lier les hommes" - fait moins référence au négoce et au profit qu'à la communication et à l'interaction mutuelle au service d'un objectif socialement précieux.

En fin de compte, il n'est possible de réformer des pratiques et des institutions commerciales injustes qu'en réorganisant d'abord le pouvoir d'Etat.

Pour Diderot, la passion -fatale- du profit qui pousse les hommes à s'engager dans des campagnes impériales est nourrie par les forces politiques, et non par les individus ou les entreprises qui, dans la société civile, sont mus par un ensemble de passions "naturelles" telles que l'intérêt personnel, l'ambition ou la gloire. Ainsi, il estime que "l'or ne devient point l'idole d'un peuple, et la vertu ne tombe point dans l'avilissement, si la mauvaise constitution d'un gouvernement ne provoque cette corruption".

La plupart du temps, donc, Diderot décrit le commerce comme un ensemble politique d'institutions et de pratiques et non comme une entreprise apolitique à qui l'on devrait permettre de se développer dans une sphère pacifique et relativement autonome, et dont les effets politiques et sociaux sont bénéfiques.

Loin de partir du principe que le développement du commerce et de la communication transnationale vont encourager la justice politique et donc affaiblir les régimes les plus tyranniques, Diderot laisse entendre tout au long de l'Histoire ... que le commerce est un ensemble de pratiques et d'institutions le plus souvent dirigées par des régimes despotiques se donnant pour but d'en faire profiter une petite élite au détriment de la plus grande partie de l'humanité. A la fin de l'Histoire ..., le commerce apparaît comme un concept à plusieurs facettes dont les effets varient selon les circonstances sociales et politiques qui le règlent.