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Critique de michfred


J'avais lu depuis longtemps, et adoré,  Mendelssohn est sur le toit, de Jiří Weil. Je suis en train de le relire , tant Vivre avec une étoile m'a emballée et donné l'envie de m'y  replonger...

Jiří Weil est bien un des plus grands auteurs tchèques, avec Bohumir Hrabal.

Tous deux  partagent cette ironie parfois féroce, ce sens de la  dérision, cette logique de l'absurde qui rendent le désespoir à la fois plus élégant et plus radical. Ironie typiquement tchèque, celle d'un Kafka, d'un Léo Perutz-chez lesquels elle se marie à l'humour juif- et, plus tard, ironie d'un Kundera.

Tous tchèques, comme leur ville de Prague.

Comme eux, ardente et créative, pleine de légendes, d'histoire,  d'artistes, de clochers, de théâtres et de musique,  Prague,  pendant plus de mille ans,  abrita " ses" Juifs , leurs synagogues, leur cimetière, leurs échoppes, leurs écoles et leurs maisons , avec un tel sens du partage,  de la convivialité , une telle tolérance que bon nombre d' entre eux avaient oublié qu'ils l'étaient, et se sentaient tchèques et praguois avant tout.

Tel se sentait en tout cas Jiří Weil, athée et révolutionnaire,  qui s'arracha pourtant au charme de sa ville natale pour s'exiler de 1933 à 1935, en URSS, tout  enthousiasmé par le communisme...

Les lendemains qui chantent à la sauce stalinienne eurent tôt fait de le faire.. déchanter. Après un séjour quelque peu forcé au Kazakhstan (et quelques écrits incendiaires sur le goulag, premiers du genre, qui allaient lui  valoir d'être mis de nouveau à l'index, mais pour antisoviétisme cette fois, la Tchécoslovaquie étant tombée de Charybde  en Sylla, et de la férule nazie à celle de l'Union soviétique) ,  il revint à Prague, donc, en 1935 et , comme la poigne de fer nazie, progressivement,  se resserrait sur son pays,  il découvrit une deuxième fois, et cette fois dans sa propre patrie, qu'il était indéniablement juif.

Vivre avec une étoile raconte , sous la forme d'une fable aux codes transparents, cette prise de conscience-là. 

Depuis qu'"Ils" sont devenus les Maitres de la ville, depuis qu'"Ils"font régner la terreur et édictent Leurs lois, Josef Rubiček n'a presque plus rien:  plus de meubles, plus de vêtements, rien qu'un vieux poêle et quelques livres. Il vit d'expédients dans une masure insalubre  , en haut de la vieille ville, un taudis qu'"Ils" ne risquent pas de réquisitionner, il vivote , donc, avec le  maigre salaire que lui vaut le boulot que la Communauté ,  magnanime et sous Leur oeil vigilant, lui accorde,  au cimetière juif de la ville.

 Il n'a plus personne, très vite, plus de famille, plus d'amis. Rien qu'un chat vagabond et tendre qui jette sur lui son dévolu, et  qu'il baptise Thomas - un incrédule, comme lui.

Plus rien que des rêves d'amour et de baignades dans le fleuve avec la belle Ruzěna,  une femme mariée qu'il a aimée. 

Plus rien que son étoile,  celle qu'on lui a fait coudre contre son coeur et qui achève de l'isoler en le désignant à tous comme un paria. Son unique étoile. Sa mauvaise étoile.

La lente dépossession de tout ce qui fait de lui un homme,  la peur viscérale d'être désigné par les bureaucrates de la Communauté,  docile et apeurée, pour partir vers la Ville Fortifiée-  la périphrase désigne le ghetto de Terezin- ce "cirque pour les bêtes " que les siens sont devenus , et   qui, il le sait, n'est qu'une façade,  un leurre pour ceux qui croient encore à un espoir, et qui est surtout une étape vers l'Est, une étape sur la route  des convois ferroviaires qui partent pour on ne sait où et dont jamais personne ne revient.

Jusqu'où peut aller la peur? La dépossession? L'effacement de soi? Que reste-t-il quand on vous a tout pris?

La réponse de Josef Rubiček est étonnante, tonique, forte, et surtout éminemment tchèque. Je vous laisse le plaisir de la découvrir.

C'est la clé d'une immense, irraisonnée, infrangible liberté.

Un grand, grand livre.

Qu'on a encore du mal à trouver , et surtout à un prix raisonnable -sauf coup de bol inouï, n'est ce pas, Pecosa? Mais patience! Je viens de voir qu'en octobre 2019 Mendelssohn (est ) sur le toit - petite variante dans le titre...- va enfin être réédité et accessible à toutes les bourses! Finies les spéculations!

On devrait pouvoir lire et (re)découvrir cet extraordinaire écrivain et ses deux chefs d'oeuvre! Je m'en réjouis pour sa mémoire, et pour nous!

Messieurs les éditeurs, à quand une édition française de La Cuiller en bois et de Moscou à la frontière, les livres du goulag? Faisons savoir notre impatience!
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