Citations sur Le dieu oiseau (25)
- Je veux le faire. Je le ferai. J'attends ce moment depuis dix ans.
- Comme moi jadis. Mais si tu t'obstines, tu ne vivras pas aussi longtemps que moi.
- Je ne serai plus jamais esclave. Quoi qu'il arrive, tout ça...
Il balaya les cuisines, les autres serviteurs d'un geste du bras.
- ... Ce sera terminé dans six jours.
La cuisinière secoua doucement la tête, mais dans son regard, Faolan eut l'impression de lire une fierté lasse. Si elle cherchait à le décourager, c'était par amitié, par peur pour lui, mais au fond de son cœur, elle soutenait sa démarche. En plus de ses propres espoirs, le jour des sélectifs, Faolan portrait ceux des autres opprimés. Un petit sourire éclaira son visage. Quoi qu'il arrive dans une semaine, cela en vaudrait la peine.
Mais en cet instant, tout ce qu'il avait imaginé, fantasmé, s'effaça dans le sable. Il ne pouvait rien faire contre lui. Torok était le meilleur, car Torok était le mal absolu.
Tu es à moi, susurra son maître. Tu m'appartiens, aujourd’hui, comme hier et comme demain.
Depuis des siècles, ils s'étripaient pour plaire aux dieux et expier une faute dont personne ne se souvenait. Cette tradition serait-elle un jour abolie ? D'une génération à l'autre, les peuples restaient prisonniers de leur haine et la transmettaient, intacte, à leur descendance. Pourtant, c'était peut-être cela qu'attendait Mahoké : qu'un jour, l'un d'entre eux ait l'abnégation de renoncer à sa vengeance et de ne pas initier le banquet.
— Tu sais pourquoi j'ai fait ça ?
Et comme Faolan ne répondait pas :
— À cause de ce méchant regard que tu m'as jeté tout à l'heure. Tu paieras pour ça, et c'est bien dommage. Toi qui avais ta chance pour les sélectifs... Tu as tout gâché.
L'histoire racontait qu'à cette époque, il y a cinq cents ans, le monde était plongé dans les ténèbres perpétuelles, mais au moment même où Ticawan était revenu de l'île sacrée, brandissant l’œuf d'or au bout des bras, le soleil était apparu.
Il a eu le garçon tant espéré. Il était tellement fier. Le petit est né peu avant la précédente compétition. Moi, j'avais six ans, quand le Bras de fer est venu banqueter dans notre village. Mon demi-frère a été empalé sur une épée et ils l'ont fait rôtir. Mon père a été égorgé pour remplir des coupes en or, qu'ils ont bues.
Il voulait l’œuf. Il le voulait vraiment. Et il voulait sa vengeance. Tout ravager. Dominer.
Savoir, enfin, ce que cela faisait, d'être Torok.
Cependant, une partie de lui demeurait viscéralement liée à son ancien maître. Pire encore, en dépit de toutes ces horreurs, il éprouvait pour lui une reconnaissance trouble : sans lui, sans cet enfant qui l'avait réclamé à l'époque, dans la démence du banquet, il serait mort. Il aurait été dévoré comme son père. Torok lui avait sauvé la vie. Et pendant dix ans, Torok avait été toute son existence. Faolan n'avait jamais été seul. De façon folle, il s'était accroché à son tortionnaire, car sa famille décimée, cet homme était tout ce qui lui restait.
Les insultes de Quetzal résonnaient encore dans son esprit : la lesbienne et l’esclave. Les laissés pour compte, les méprisés.
– Oui, confirma-t-il. Nous sommes pareils.