La fin de la solitude

Un ourlet de lumière est apparu à l'horizon, on a regardé en silence la route émerger de l'obscurité. Les doigts d'Alva caressaient on avant-bras, de bas en haut puis de haut en bas, et c'est peut-être à ce moment-là que je n'ai plus voulu échanger ma vie, pas même contre celle où mes parents vivraient encore.

- Je voudrais lire vos deux histoires.
- Vous n'avez jamais rien lu de moi. Peut-être que le ton ne vous plaira pas, et le reste non plus.
- Vous couchez avec une femme que vous aimez, dit-il d'un air las. Tout ce que vous écrivez en ce moment est soit atroce, soit excellent.

[La nouvelle] racontait l'histoire d'un homme auprès duquel le temps passait plus vite. Si on passait quelques minutes avec lui, une demi-heure s'était déjà écoule. Si une femme sortait avec lui et que leur soirée durait précisément trois heures, en réalité sept heures s'étaient écoulées, parfois douze. L'homme était resté seul toute sa vie. Les gens l'évitaient des qu'ils découvraient son secret et il était à la recherche de quelqu'un qui accepterait de vieillir à ses côtés, et pour qui ces années et leurs souvenirs seraient plu précieux qu'une vie entière sans lui.

- Non, je voudrais faire mieux que mes deux parents. Je voudrais survivre, tout simplement, et être toujours là. Quand mes enfants feront leur première rentrée, quand ils entreront dans la puberté, quand ils tomberont amoureux, quand ils deviendront adultes. J'aimerais les observer, savoir ce que ça fait de ne pas être seul dans ces moments-là.

Mes enfants se précipitent vers mon lit et m'enlacent. Vincent m'a fait un dessin, un homme grimaçant avec des béquilles, et Luise pose une peluche sur ma table de nuit, pour me tenir compagnie. Ils ont déjà sept ans, mais pour moi, c'est toujours un miracle qu'ils soient vraiment à moi. Je serai toujours leur père, peu importe que j'émigre un jour, qu'il m'arrive quelque chose ou qu'ils ne veuillent plus jamais me revoir.

Je suis entré dans le jardin et j'ai fait un signe de tête à mon frère. J'ai pensé : une enfance difficile est comme un ennemi invisible. On ne sait jamais quand il se retournera contre vous.

Je n'avais jamais eu le courage de la séduire, mais j'avais toujours eu peur de la perdre.
Je ne l'aurais pas avoué à l'époque, mais, finalement, toutes mes relations amoureuses après le lycée ont échoué parce que je n'arrivais pas à oublier Alva. [...] Les années qui ont suivi l'internat, l'échec de ces études de droit [...]. Sur aucune de ces photos Alva n'était là et, sans elle, rien ne me protégeait plus de la solitude.

"Elle t'adorait, dit-elle. Tu étais son trésor."
Je fixai la photo de ma mère. Pendant mon enfance, elle m'appelait son "limaçon" parce que, quand j'étais dans la nature, je me redressais souvent comme une limace pour absorber toutes les impressions. Chaque fois que j'hésitais, je lui demandais son avis. Elle était ma boussole. J'observai son regard, son visage familier, sa main sur mon épale.
Je m'aperçus, étonné, que j'avais les larmes aux yeux.
- C'est..., dis-je.

Ses années malheureuses à l'internat semblaient avoir aiguisé sa volonté ; Marty avait superposé le passé, le présent et l'avenir pour fabriquer un podium qui le mènerait au sommet.

- Tes parents sont mort.
Cette phrase me surprit [...].
- Oui, ils sont morts il y a six mois.
C'était comme si, pour chaque mot, je devais enfoncer une bêche dans un champ gelé.