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Critique de Meps


Meps
13 septembre 2023
Pour moi Edith Wharton est vraiment l'archétype de l'écrivaine new-yorkaise, bourgeoise de la fin du XIXème siècle. Alors quand je rencontre ce court roman et que je vois rapidement qu'il se déroule dans la campagne profonde du Massachussets, je me dis qu'on va pouvoir assister à un dépaysement intéressant.

Mme Wharton ne perd pas une graine de son talent dans ce déménagement. L'édition que j'ai lue est précédé d'une préface de la main même de l'auteure où elle explique surtout ses choix de narration (l'histoire dans l'histoire, le narrateur "sophistiqué" comme elle le désigne, pour raconter l'histoire de gens simples, le saut dans le temps) et l'option de la forme courte plutôt que du long roman. Ce sont les préfaces les plus intéressantes, notamment car elles sont les rares qui peuvent être lues en premier car l'auteur, conscient du caractère précieux de la découverte, n'y dévoile pas toute l'intrigue comme un préfacier moderne le fait souvent. Ici, on a donc d'autant plus conscience que les différents choix stylistiques sont parfaitement calculés dans le but d'un rendu particulier.

L'histoire dans l'histoire est un procédé qui renforce je trouve la connivence avec les personnages puisque nous sommes placés aux côtés du narrateur découvrant en même temps que lui les faits. le choix d'un narrateur sophistiqué parmi des gens simples rapproche ici le récit de son auteure (même si elle a choisi un narrateur homme) puisqu'Edith Wharton pourrait parfaitement être elle-même ce passeur d'histoire. le saut dans le temps et l'annonce partielle et anticipée d'un drame inéluctable dont on ne connait pas réellement la nature, nous place dans une attente assez insoutenable alors même que les évènements décrits sont ceux de la vie courante. Cette proximité narrateur-auteur-lecteur-personnages nous place donc presque dans une promiscuité, celle-même subie par les personnages principaux eux-même dans leur petite maison souvent réduite pour l'action à la petite cuisine et qui ne trouve son oxygène que dans les sorties vers la nature, les ballades en traineau, le pique-nique près de l'étang, les glissades en luge dans la neige... Une sorte de huis-clos avec sas réguliers pour ne pas étouffer, et nous sommes tout aussi étouffés que les personnages, solidaires de leurs souffrance comme de leurs joies.

Au delà de ces choix narratifs réussis, Wharton déploie son histoire et nous intéresse à cet Ethan Frome perdu dans sa propre vie qu'il n'a jamais pu choisir, lui dont la passion pour la science et l'intelligence auraient pu l'amener loin de son milieu d'origine mais que les drames familiaux successifs ont obligés à s'enfermer dans son village natal. Alors quand la nouveauté et l'éveil aux sentiments se présente à lui, il est touchant de le voir se débattre entre ses émotions et son devoir, entre ce que la vie lui a toujours imposé et ce qu'elle vient maintenant lui offrir...

L'histoire se déroule donc inévitablement vers le drame annoncé dès les premières pages alors même que le talent de l'auteur nous a de plus en plus attaché à ses protagonistes. Comme l'auteur l'avait senti elle-même, la concision du récit était nécessaire pour maintenir la tension dramatique à son comble et évite ainsi la dilution dans une forme romanesque au plus long court que l'auteure a pourtant déjà montré maîtriser parfaitement.

Un roman plus méconnu qui est pourtant essentiel pour confirmer tout le talent de cette auteure qui aura choisi la France pour l'écrire, elle qui s'y était installée depuis 1907 , qui a fait le choix de le commencer en langue française. Elle n'a pas quitté le pays même pendant la première guerre mondiale et repose dans un cimetière versaillais après avoir passé en France les 30 dernières années de sa vie. Elle n'était donc pas si bourgeoise et new-yorkaise que cela puisque je finirais presque par la dire française !
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