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Critique de gabb


gabb
09 novembre 2023
Si je vous dis "Colson Whitehead", je suis à peu près sûr que vous allez me répondre "Underground railroad" ou "Nickel Boys" (ou peut-être "Harlem Shuffle" ?)
Et vous auriez raison, ce sont là ses plus grands succès.
Pourtant, d'autres titres un peu moins célèbres valent eux aussi le détour ! J'avais par exemple découvert Whitehead avec son tout premier roman ("L'Intuitionniste", paru en 2003) et ce texte loufoque, sombre et métaphorique, m'avait véritablement conquis. Avec "Apex" rebelote, nouvelle expérience étonnante et nouvel univers farfelu dédié cette fois-ci à une profession méconnue et insolite : celle des consultants en nomenclature ! de quoi s'agit-il ? Pour le savoir, interrogez donc le héros de ce curieux roman, il se fera une joie de vous expliquer en détail le fonctionnement de la prestigieuse agence qui l'emploie, une société spécialisée dans la création de noms pour des produits commerciaux.

Et quoi de plus emblématique qu'un Nom ?
A l'heure où tout est marque, logo, slogan, étiquette, quoi de plus dangereux qu'une dénomination mal choisie ?
Dans notre époque ultra-concurrentielle où le produit a infiniment moins d'importance que l'image qu'il véhicule, quoi de plus décisif qu'un intitulé engageant, quoi de plus capital pour une firme qu'une appellation en concordance parfaite avec les fameuses "valeurs de l'entreprise" ?

Ainsi notre consultant jongle-t-il allégrement avec les préfixes en vogue et les suffixes accrocheurs, maniant comme personne les phonèmes vendeurs et les morphèmes branchés. Fort d'une longue expérience, le voilà passé maître dans l'art sacré de Nommer les Choses (ne parle-t-on pas de "baptême" ?) et tout y passe, de la nouvelle lessive au dernier modèle d'enjoliveur, en passant par les aspirateurs révolutionnaires et les produits pharmaceutiques en tous genres.
Son coup de génie : Apex, le fameux pansement "ethnique" (c'est à dire coloré dans la teinte exacte de l'épiderme qu'il recouvre) dont le succès international ne se dément pas.
Et voilà que notre expert se voit confier une nouvelle mission : celle de renommer une ville, en tranchant parmi trois propositions émises par trois membres du conseil municipal. C'est le début d'un long travail d'analyse, émaillé de négociations et de tractions diverses. Tout un programme...

C'est bizarre, je vous sens moyennement convaincu...
Détrompez-vous ! le style plein d'originalité de Colson Whitehead ainsi que son ton vif et mordant, non dénué d'humour et d'un certain cynisme satirique, rendent la lecture d'Apex très plaisante !
Quant au message délivré par le texte, en nous invitant à prendre la mesure du pouvoir exercé par la publicité dans notre quotidien de consommateurs effrénés, il nous éclaire sur l'artificialité du sacro-saint "marketing" et sur l'absurdité de ces fameuses "techniques de communication" qui mettent toujours plus en avant la forme afin de mieux camoufler le fond.
N'oublions pas enfin les problématiques liées à l'appartenance raciale et au multiculturalisme de la société américaine : ces thématiques toujours chères à l'auteur ne sont pas en reste ici. En revenant par exemple sur l'Histoire de la ville en passe d'être renommée, le héros du roman dévoile les nombreuses injustices subies par la communauté noire des premiers occupants du lieu.
Et ce "sparadrap ethnique", dont le nom figure en titre de l'ouvrage, que doit-on y voir sinon l'allégorie d'un pansement chargé de masquer, voire même d'effacer, les blessures liées et la couleur de le peau et le passé traumatisant de l'esclavage ?

Voilà l'une des questions soulevées par Apex, roman fantaisiste et singulier qui n'a peut-être pas rencontré le succès des best-sellers mentionnés au début de cette critique, mais qui pour moi gagne a être connu.
Une belle réflexion sur le pouvoir des mots et leur emprise sur nos vies, sur notre façon d'appréhender le monde.
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