L'étranger solitaire, effrayé par son ombre, inquiet du bruit de ses pas, avance parmi les rangs attentifs des divinités inférieures aux noirs desseins. Il regarde moins les maisons que les maisons ne le regardent. Il se sent épié par les rues ; les pancartes, les fenêtres, les portes ont des yeux qui l'observent et des bouches qui murmurent sur son passage. La tension monte en lui et le serre de liens de plus en plus étroits. Qu'un passant vienne à lui sourire, pour lui souhaiter la bienvenue, ce simple sourire déclenche en lui une explosion. La peau de son corps, rétrécie comme un gant de peau neuf, semble craquer sur les sutures, libérant son esprit qui s'en va danser par-dessus les toits et embrasser les pierres des murs.
P41 « Malédiction »
La chatte Nitchevo ne savait pas que cet étrange accident de la matière, la terre, tournait dangereusement dans l'espace, et qu'un jour, sans qu'on s'y attende, elle s'échapperait d'elle même de son orbite et se briserait en des milliers de petits morceaux de désastre.
Nitchevo ronronnait sous les doigts de Lucio. C'était une attitude absolument contradictoire avec toutes les circonstances qui menaçaient leur existence commune -- et c'était peut-être pour cela que Lucio l'aimait tant.
Si le Créateur n'avait pas tout ordonné pour le mieux, du moins avait-il accordé un don inestimable aux animaux, en les privant de la faculté inquiétante de réfléchir sur l'avenir.
Extrait de: Le Boxeur manchot
Pour la première fois, ils se trouvaient ensemble dans le noir, sans plus éprouver la moindre peur l'un de l'autre. Ils se tenaient par la main, ils se regardaient avec une sympathie un peu triste. Ils n'essayaient plus de s'aider, mais seulement de se comprendre. Ils se savaient absolument séparés, absolument seuls l'un et l'autre. Mais ils n'étaient plus des étrangers...
La violence ou la guerre, entre deux hommes ou deux nations, apparaissent aussi comme une compensation aveugle et insensée à tout ce qui n'est pas vraiment achevé dans la nature humaine.
Si le Créateur n'avait pas tout ordonné pour le mieux, du moins avait-il accordé un don inestimable aux animaux, en les privant de la faculté inquiétante de réfléchir sur l'avenir.
- Elle a perdu la tête, disait sa mère. C'est cette décoloration qui a fait tout le mal; à travers le cuir chevelu, elle empoisonne le cerveau.
Je ne crois pas que ma soeur ait été réellement folle. Je crois que les pétales de son esprit se trouvaient simplement repliés par la peur, et je ne saurais dire si ce n'était pas l à la voie d'une secrète sagesse. Elle ne parlait jamais beaucoup, pas même à moi, mais de temps en temps elle lâchait une phrase qui vous coupait le souffle.
- (...) je ne peux pas assister passivement à la souffrance des autres, dit miss Gelkes. Je peux supporter mes propres souffrances, mais je ne peux pas supporter celles des autres, que ce soient des hommes ou des bêtes. Il y a tant de souffrances dans le monde, tant de souffrances qu'il faut supporter, les maladies, les accidents qu'on ne peut éviter. Mais il y a tant de souffrances inutiles aussi, infligées aux êtres vivants simplement parce que les gens sont durs et se moquent de ce que les autres ressentent. Quelquefois, on a l'impression que le monde a été conçu par le marquis de Sade !
Et ce qu'il y avait en elle de plus imparfait, c'est ce qu'elle avait de plus pur.