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Critique de VACHARDTUAPIED


«Vingt-deux ans d'Asie, en chemin de fer, en chars à buffles, cahotant sur de grosses roues de bois peint, à motocyclette, à dos d'éléphant, en prahu, en catamaran, à cheval, en Rolls Royce - elle ne m'appartenait pas - ou en camion parmi les choux et les sacs d'oignons.» Gabrielle Wittkop n'a ménagé ni sa peine, ni ses différentes montures pour sillonner cette Asie qui exerce sur elle un pouvoir d'attraction irrésistible. Elle y est souvent allée pour des reportages parus dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Les carnets que publie Verticales ne sont cependant pas une recension d'articles mais bien une sélection des notes qu'elle prenait au jour le jour, au gré de ses vagabondages tropicaux.

Née en France, Gabrielle Ménardeau, lesbienne, mariée à Justus Wittkop en 1946, écrivain déserteur antinazi et homosexuel, s'installe avec son mari à Bad Hombourg, près de Francfort. Elle écrit des romans vénéneux (le Nécrophile, Sérénissime Assassinat ou les Rajah blancs), qui ne seront remarqués qu'avec le travail des Editions Verticales. Elle ne goûte que brièvement le succès littéraire, se donnant la mort à 82 ans, en décembre 2002 après avoir appris qu'elle souffrait d'un cancer. Elle envoie un dernier message à son éditeur : «Je vais mourir comme j'ai vécu : en homme libre.»

D'un caractère bien trempé, végétarienne, ne supportant pas que l'on fasse souffrir les animaux, Gabrielle Wittkop affronte en solitaire l'adversité de l'étuve climatique, des gargotes crasseuses, des jungles hostiles («Les arbres moussus et gluants […] m'ont souvent fait vomir»), des bateaux surpeuplés, des rencontres louches.

Mais la libre dynamique du voyage suffit à effacer les désagréments, et les notes sont dominées par un plaisir gourmant d'appropriation de l'étrange et de l'étranger dans le suc du style qui rappelle le jeune Claudel de la prose poétique de Connaissance de l'Est : «Le banian sert d'abri à un tout un monde de mendiants. Je les retrouve, ceux de l'Inde, les aveugles aux yeux de lait qui psalmodient, les béquillards, les monstres hydrocéphales, les squelettes déguenillés allaitant des larves, les spectres gris pourrissant sous les croûtes.» «[Les sangsues] glissent partout leur avidité d'ectoplasme, passent dans les pantalons, dans les bottes, dans les manches, comme immatérielles en leur cheminement et se fixent, se gorgent, bientôt changées en collier de pois chiches, en grappes violâtres comme sur le point d'éclater et qui retombent parfois dans le linge en ruisselet pourpre.»

On peut évidemment regretter qu'aucune note ne soit datée, le livre reconstruisant, à partir de plusieurs voyages, un parcours cohérent démarrant en Thaïlande, passant par la Malaisie, s'attardant dans les diverses îles d'Indonésie.

Gabrielle Wittkop fait un sort à Bali, «l'artificieuse, la maquillée», en quelques lignes cinglantes : «Je suis frustrée par ces structures corpusculaires et brisées sur elles-mêmes. Je ne puis souffrir ni ses peintures en camaïeu, ni l'hibiscus à l'oreille d'une valetaille effrontée.»

Une fois réglé le compte de l'île des dieux, Gabrielle Wittkopp exprime son admiration pour Bornéo, île «sans attraction ni sightseeing» et particulièrement la ville de Kuching «pas très jolie mais pleine de fantôme et pourtant de vie…»
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