[...] - Là où il y a une volonté, il y a un chemin, répond Haardt.
[...] Le soleil brûle, comme brûle sa réverbération sur la neige. Elle ne disparaît jamais à cette altitude. À Kochbel, on change les chevaux contre des yaks et les porteurs hounza contre des khirghizes. Les négociations sont quelque peu ralenties par les traductions : Pecqueur parle en anglais, un boy indien traduit en hounza, un porteur hounza traduit en khirghize ... et on repart dans l'autre sens !
[...] Le groupe Chine tombe en pleine bataille : un convoi de troupes régulières chinoises est attaqué par les rebelles chantous. Les soldats sont en mauvaise posture; pratiquement cernés, ils n'ont aucune défense contre le tir des montagnards musulmans. [...] Mais voyant surgir les autochenilles, ils croient à des renforts chinois et battent en retraite. [...] Dans cette panique, les Français gardent leur sang-froid. Déjà Specht a bondi sur le toit de sa voiture, en quelques secondes il a mis sa caméra en batterie sur son trépied et il filme, filme éperdument.
[...] C'est le premier pont. Il en reste quarante-quatre autres avant le col de Kilik.
Petro distingue sans peine le personnage assis en tailleur à l'autre bout de la pièce. C'est Bouddha lui-même: un énorme, gigantesque, immense Chinois, débordant de graisse, immobile dans un vêtement de soie noire brochée d'or. Il est complètement chauve. La faible lueur des veilleuses réfléchie par les murs écarlates pose des reflets sanglants sur son crâne et son visage, dont les traits sont beaucoup plus gros et plus lourds que la normale. Enfoui dans la graisse, coincé entre l'arcade sourcilière qui déborde et la pommette protubérante, l'oeil minuscule luit méchamment. Il est rouge! Ce pachyderme colossal a les yeux d'une souris blanche en colère: M. Hong est albinos. La bouche est petite, entrouverte, arrondie et palpitante comme celle d'un poulpe et, dessous, non pas un double menton, non pas un triple menton, mais deux doubles mentons étagés, un collier de plis épais tressautant au moindre mouvement.
Petro s'approche. D'un geste, Hong l'invite à s'asseoir près de la table qui les sépare. Aucun mot n'a encore été prononcé. Hong attend, mais Petro a appris la patience à l'école de l'Orient. Il ne bouge pas.
Enfin, Hong se décide. Il se déclare éminemment flatté de la visite de l'honorable étranger. L'honorable étranger répond qu'il est indiciblement heureux d'être reçu par le puissant maître de l'Association pour la protection des convois. Le puissant maître rétorque qu'il n'est qu'une modeste fleur cachée sous la mousse, etc.. Cela dure bien un quart d'heure. Après quoi, entracte, des servantes silencieuses apportent de l'alcool de riz tiède, des pistaches et des graines de pastèques qu'elles décortiquent de leurs ongles pointus pour leur maître et son hôte.
Le général ne répond pas. Strictement sanglé, presque trop, dans sa sobre vareuse militaire, le crâne rasé à la prussienne, les yeux, à peine bridés, vifs au-dessus du nez droit, la lèvre inférieure proéminente lui donnant comme un air de bouder, le général ne répond pas. Impassible, derrière son bureau, il signe des papiers.
En ce moment- 1930- il est au faîte de sa gloire. Son nom est connu non seulement dans toute la Chine, mais encore dans le monde entier: Tchankg Kaï-chek. (premières lignes du roman)