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Critique de Isidoreinthedark


Chris Offut, Ron Rash, David Joy : autant d'auteurs de romans noirs qui ont pour point commun d'ancrer leurs récits dans une Amérique méconnue, l'Amérique rurale des gens de peu, semblant tout droit sortis d'un XIXème siècle, dont ils n'ont abandonné ni les codes moraux, ni la violence.

Ces auteurs situent le plus souvent leur intrigue dans les Appalaches, écrin sauvage d'une oeuvre âpre et souvent tragique illuminée par la beauté sauvage d'une nature encore immaculée. C'est en tentant une incursion dans ma bibliothèque qui ressemble chaque jour davantage à la bibliothèque de Babel chère à Borges, que j'ai découvert un ouvrage oublié de Daniel Woodrell : « Un hiver de glace ».

L'intrigue se déroule au coeur des Ozarks, dans une région vallonnée aux paysages désolés et au climat aussi rude que ses habitants. Jessup Dolly a disparu, laissant derrière lui sa femme qui n'a plus toute sa tête et ses trois enfants. Ree, l'aînée âgée de seize ans, veille, comme elle le peut, sur ses deux petits frères ainsi que sur sa mère, qui passe ses journées à végéter dans son fauteuil. le shérif lui apprend que son père a bénéficié d'une mise en liberté conditionnelle grâce à une hypothèque sur sa maison et sur ses terres. S'il ne se présente pas au tribunal le jour du jugement, les Dolly perdront tout et devront affronter la rigueur de l'hiver sans même un toit sur la tête.

Grande soeur courage, Ree a décidé de se battre et va tenter par tous les moyens de retrouver son paternel, « le meilleur fabricant de blanche » du coin, mort ou vif, avant la date fatidique du jugement. La vallée des Ozarks où vivent les Dolly semble tout à la fois perdue dans le temps et dans l'espace. Loin de tout, la jeune adolescente va devoir affronter l'hostilité de son propre clan qui semble obéir à des préceptes d'un autre temps, et rechigne à briser les tables de la loi du silence.

Perdue dans l'immensité glaciale de l'hiver, Ree comprend que, parmi les habitants de la vallée, pour la plupart des cousins plus ou moins éloignés, personne n'est disposé à l'aider à découvrir ce qui est arrivé à son père. Seule son amie d'enfance, Gail, déjà maman d'un nourrisson, va la soutenir dans son impossible quête, celle d'une vérité que le clan Dolly préfère dissimuler. La jeune fille est loin d'imaginer les ténèbres dans lesquelles son entêtement à découvrir la vérité pourrait la mener. Las. Ree n'a d'autre de choix que de continuer à mener son enquête, au risque de tout perdre.

A l'instar de David Joy ou de Chris Offut, David Woodrell nous dépeint un monde que l'on croyait disparu, celui d'un clan passé maître dans la fabrication de cocaïne, activité illicite dissimulée au coeur d'une nature hostile. Les hommes comme leurs femmes y sont aussi frustes que durs au mal et obéissent à des codes moraux que nous avons depuis longtemps oubliés. Des hommes qui ont depuis toujours appris à se taire, à ne jamais « balancer », et qui connaissent trop bien la sentence qui menace celui qui aurait le malheur d'enfreindre la loi du silence.

A l'instar de son héroïne, le roman marche sur un fil. Il mêle une violence extrême et une cruauté effroyable à des instants saisissants d'humanité. Ce mélange improbable de noirceur absolue et de douceur lumineuse transforme la quête de Ree en une odyssée poignante. le style épuré de l'auteur laisse la place au surgissement d'une forme de poésie touchante qui évite au roman de sombrer dans les ténèbres qui menacent d'emporter son héroïne.

Si « Un hiver de glace » saisit le lecteur par sa rudesse et sa violence, la beauté troublante du roman se niche au creux de quelques instants de grâce, telle que la baignade de Ree et de Gail dans une source glacée. L'intégrité, l'abnégation, et le courage de l'héroïne, qui fera tout pour sauver les siens en font un personnage traversé par la lumière qu'il est impossible d'oublier et donnent au roman ce supplément d'âme qui invite définitivement David Woodrell à la table de Chris Offut, Ron Rash et David Joy.
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