AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de SebastienFritsch


Roman étrange, et pourtant prenant. Charmant par certaines côtés, cruel à d'autres moments.
Son étrangeté tient autant à son style qu'à son organisation : les phrases tourbillonnent, enchaînant descriptions, conversations, pensées intimes, jugements de l'autrice... et ce tourbillon se déplace dans les rues de Londres, passe entre les personnages, nous entraîne à la suite de l'un d'eux, puis nous pousse à le délaisser pour en suivre un autre, que le premier vient de croiser, à un coin de rue ou dans un parc. Et, pour enrichir encore ce tableau, Virginia Woolf place, de loin en loin, l'un ou l'autre personnage secondaire, la vieille dame d'en face, le laquais, la cuisinière, la secrétaire, qui tous apporteront une idée, une image, une opinion sur leur existence ou sur celles des autres. C'est ainsi que l'on vit, dans un temps et un espace limité, plusieurs destins insouciants, désabusés, répétitifs, grisâtres ou tragiques, et que l'on entend des échos issus de tous les milieux, les pauvres, les riches, les simples, les snobs, ceux qui commandent et ceux qui obéissent, tous ceux, en somme, qui font vivre cette ville.
D'ailleurs la ville, avec sa foule, ses véhicules, son ciel d'été, ses parcs, ses horloges dont les cloches rythment la journée que le roman traverse, la ville, donc, cette ville unique qu'est Londres, constitue un personnage à part entière.
Et si tous ces éléments tournent autour de cette fameuse Clarissa Dalloway qui donne son titre à l'ouvrage, elle n'en est pourtant pas le centre. Elle constitue plutôt un pivot autour duquel s'articulent les vies qui s'entremêlent au fil des pages. Et même ces vies ont l'air bien négligeables. Car c'est la ville, Londres, multiple et puissante, qui occupe toute la place, prend chaque être vivant sous son pouvoir, par ses bruits, la touffeur de son air, la complexité de son organisation urbaine, la répartition des rôles entre ses commerces, son parlement, ses habitations, ses lieux de loisirs.
Oui, c'est bien Londres qui joue le premier rôle. C'est bien Londres dont Virginia Woolf dresse le portrait dans Mrs Dalloway. Un Londres des années 1920, qui palpite, s'agite, cherche à oublier la boucherie de 14-18 ou à maintenir la grandeur de l'Empire ; un Londres qui sert de creuset aux regrets des quinquagénaires, aux souvenirs des vieilles femmes, aux espoirs des jeunes filles. Un Londres que Virginia Woolf nous donne à admirer, tandis qu'elle traite les humains qui s'y trouvent avec ironie, voire une certaine cruauté : elle ridiculise la Lady qui s'attarde sur des soucis sans importance, moque le médecin pontifiant et tyrannique qui impose à tous ses patients le même traitement sans les écouter ; elle offre un peu de lumière à un jeune couple meurtri par des souvenirs de guerre, elle enferme un homme dans l'impossibilité d'aimer et une femme dans la quête perpétuelle de l'admiration de son entourage ; et elle trace pour l'un des figurants de cette chronique de Londres, une route parfaitement rectiligne vers le drame.
Le résultat est riche, complexe, étrange, attachant, unique.

Commenter  J’apprécie          92



Ont apprécié cette critique (8)voir plus




{* *}